Idées
Les incertitudes de la Loi de finances
Même si les perspectives à moyen terme relativement favorables bénéficieraient d’une réorientation de certaines politiques macroéconomiques pour assurer des taux de croissance élevés, le climat psychologique des entreprises
et des ménages ne semble pas au beau fixe

Le débat budgétaire doit être un moment privilégié pour la représentation nationale lui permettant de porter un regard rétrospectif sur l’évolution des finances publiques mais aussi, et surtout, de s’interroger sur la cohérence et la pertinence des choix et arbitrages présentés par le gouvernement en matière budgétaire et fiscale. Or ces choix sont marqués par de nombreuses incertitudes sur les conditions de la croissance. La prévision pour l’année 2015 est basée sur un ensemble d’hypothèses, notamment l’impact des perspectives d’évolution de l’économie internationale à travers la hausse de la demande mondiale adressée au Maroc et le comportement de la demande intérieure. La pertinence des hypothèses retenues par le gouvernement est discutable.
Le scénario macroéconomique sous-jacent au projet de Loi de finances retient un taux de croissance de 4,4%. Ce scénario est légèrement supérieur au consensus des prévisionnistes de Bank Al-Maghrib et du HCP. Le ministère des finances estime que l’environnement international serait plus porteur, la consommation des ménages plus vigoureuse et table sur une reprise de l’investissement des entreprises. Or, si le contexte économique est effectivement marqué par un redémarrage progressif de la croissance en Europe et une faible inflation, il ne reste pas moins fragile. La reprise de l’activité risque d’être moins prononcée que prévu dans la zone euro et l’accélération de l’activité moins rapide dans les pays émergents. En conséquence, la demande mondiale serait moins dynamique qu’anticipée.
Le moindre dynamisme de la demande intérieure contribuerait également à revoir la prévision en baisse, sous l’effet des difficultés dans le secteur de la construction et du logement, qui induirait un investissement des ménages plus dégradé que prévu, et d’un investissement des entreprises qui tarde à redémarrer. Le gouvernement anticipe une amélioration des revenus futurs des ménages et table aussi sur une baisse du taux d’épargne. Il est attendu que la consommation des ménages soit en hausse et qu’elle progressera un peu plus vite que le PIB. La faible inflation et la résistance des salaires se traduiraient mécaniquement par une hausse de la consommation. Cela semble peu probable étant donné le niveau élevé du chômage. Un rebond de l’activité domestique ne semble pas pouvoir être envisagé à court terme en raison du manque de confiance des ménages et des entreprises. Le milieu des affaires se montre relativement prudent et ne croit pas à une reprise franche de l’investissement des entreprises l’an prochain. Les marges des entreprises restent faibles. Le taux d’utilisation des capacités de production est toujours inférieur à sa moyenne de long terme.
La prévision pour 2015 suppose un redémarrage rapide et durable de l’activité que n’annoncent pas les derniers indicateurs conjoncturels. D’une part, les comptes nationaux indiquent une stagnation de l’activité au deuxième trimestre de 2014, et, d’autre part, les enquêtes de conjoncture n’annoncent pas d’accélération de l’activité d’ici la fin de l’année. La demande mondiale connaît un redémarrage plus lent qu’anticipé, en lien avec les mauvaises performances de nos partenaires au deuxième et troisième trimestres 2014. La consommation des ménages s’est montrée moins dynamique depuis le début de l’année que dans la prévision. Enfin, l’investissement des entreprises a reculé au 1er semestre 2014, en dépit de conditions de financement plus favorables.
Revenir à une croissance aux alentours de 4,5% paraît optimiste vu l’affaiblissement du potentiel de croissance. Dans ce contexte, la croissance ne s’accélérera que progressivement, le déficit commercial ne se réduira que lentement et le taux de chômage restera toujours aussi élevé… Le Maroc peut certes passer au-dessus de sa croissance potentielle mais encore faut-il que l’économie ait les ressorts nécessaires. Or, on ne les voit pas. Même si les perspectives à moyen terme relativement favorables bénéficieraient d’une réorientation de certaines politiques macroéconomiques pour assurer des taux de croissance élevés, le climat psychologique des entreprises et des ménages ne semble pas au beau fixe. Les réformes politiques ne semblent pas avoir été perçues comme un levier de croissance.
