SUIVEZ-NOUS

Idées

Extension du domaine du respect

La démocratie est un long et dur apprentissage fait à  la fois de renoncements, de respect, mais aussi d’irrespect. Ce dernier est le droit légitime de refuser l’injustice et les abus lorsqu’ils découlent d’une extension abusive du domaine du respect.

Publié le


Mis à jour le

Il y a dans le vocabulaire des hommes des mots et des vocables qui tombent peu à peu dans l’oubli, deviennent caducs et puis meurent. Ils sont pourtant si anciens mais paraissent tout neufs  parce qu’ils ont peu servi. Vialatte disait cela du bonheur : une idée neuve qui remonte à la haute Antiquité. Cette Antiquité qui a fait naître ou inventé tant de mots et de concepts, lesquels retrouvent toute leur actualité aujourd’hui pour peu que l’on se donne la peine de penser le monde tel qu’il bouge, se meut et se répète. Mais le présent nous presse et nous bouscule ; et cette course contre la montre nous coupe d’un passé composé de riches enseignements qui préfigurait et annonçait ce qui advient.

Tout cela pour dire qu’il est heureux de lire des informations venues d’ailleurs sur le troisième Forum de Rennes, en France, organisé du 14 au 16 avril en collaboration avec le quotidien Libération sous le thème du «respect». Le journal a du reste réservé un riche supplément à cette manifestation sous le titre : Respect : un nouveau contrat social. Dans l’édito de présentation, le mot RESPECT est souligné comme étant «une exigence, une éthique, une valeur, un combat. Le mot a circulé de gauche à droite, prenant à chaque fois, selon le contexte et les époques, une intensité et un sens différent». Il est donc heureux qu’un mot aussi simple et souvent galvaudé fasse l’objet de tout un forum, trois jours durant, et réunisse une myriade d’universitaires, de philosophes et d’écrivains, mais également d’hommes et de femmes politiques de tous bords. Finalement, on a beau dire, on revient toujours aux fondamentaux car même lorsqu’on pense que tout change, on s’aperçoit que rien ne change, ni se transforme parce que l’homme revient toujours au point de départ de sa condition d’homme : une condition humaine, trop humaine. L’exemple le plus frappant, dans tous les sens de l’adverbe, est certainement le choc écologique et le débat aux accents apocalyptiques qui en découle et se radicalise après la catastrophe naturelle et l’accident nucléaire de Fukushima. Le forum a passé en revue tous les aspects de la vie sociale, politique et culturelle française sous l’angle du respect. 

En parcourant le supplément consacré au mot Respect comme «nouveau contrat social», je n’ai pas pu échapper à la comparaison avec le débat institutionnel qui agite la vie politique marocaine. Que de pédagogie nous reste-t-il encore à exercer avant de donner aux mots le sens commun qui fasse fédérer tout un peuple dans sa majeure partie en cours d’alphabétisation politique ! Car soyons réalistes, les institutions ne sont pas seulement des organes auxquels il faudrait trouver des fonctions. La démocratie n’est pas un horizon mais un cheminement plus un art de vivre ensemble dans la cohésion et le respect. Ce mot bénéficie en français  d’une belle définition  qui vaut une citation : «Sentiment qui porte à accorder à quelqu’un une considération admirative en raison de la valeur qu’on lui reconnaît, et à se conduire envers lui avec réserve et retenue, par une contrainte acceptée». La contrainte acceptée est la base de ce contrat social qu’il s’agit d’élaborer et de faire admettre comme une belle fiction politico-juridique afin de sortir de la représentation ou la personnalisation du pouvoir. Ici, la «contrainte acceptée» par la fiction de la loi se substitue à la crainte imposée par la violence du bâton. Mais c’est par l’éducation et la pédagogie que se forgent les lois et s’assimilent et non par leur publication et leur énonciation.

Voilà pourquoi il ne serait pas inutile de multiplier, partout à travers le pays, des forums et des rencontres (dans les écoles, les universités, les cafés, les salles de spectacles) autour de  mots et de vocables qui nous paraissent aller de soi et dont tout le monde se gargarise à longueur de jours et de colonnes de journaux. La démocratie est un long et dur apprentissage fait à la fois de renoncements, de respect, mais aussi d’irrespect. Ce dernier est le droit légitime de refuser l’injustice et les abus lorsqu’ils découlent d’une extension abusive du domaine du respect.

Pour conclure tout en restant dans l’esprit des lois et de la démocratie, écoutons ce que nous dit un penseur lucide et fervent défenseur de la liberté et des droits des citoyens, Alexis de Tocqueville, après son étude de la démocratie américaine : «On ne saurait trop le dire : il n’est rien de plus fécond en merveilles que l’art d’être libre ; mais il n’y a rien de plus dur que l’apprentissage de la liberté».