Du contrôle démocratique du budget

La discussion budgétaire, c’est la comparaison de quelque chose
qui n’existera pas avec quelque chose qui n’a pas existé.
En outre,
les délais fixés font que l’examen du budget s’apparente
à une visite de château par un groupe de touristes : au pas de
course et avec interdiction de toucher à quoi que ce soit.

Question à mille dirhams : quelle est la définition du budget ? On répondrait sans un brin de doute : au sens moderne, il signifie la prévision des recettes et des dépenses de l’Etat pour une année. En fait, étymologiquement, le mot budget – déformation anglaise du français «bougette» – désigne un petit sac de cuir. A sa première apparition, en 1733, le mot a été associé à une image. Un chef de gouvernement qui engage sa responsabilité devant une Assemblée législative. Le premier ministre libéral de Grande-Bretagne, Robert Walpole, est caricaturé en charlatan, distribuant élixirs magiques et attrape-nigauds : il présente le budget.

L’image peut être lue autrement. Dès l’origine, budget et démocratie parlementaire ont partie liée.
Deux siècles et quelques décades plus tard, au Maroc comme ailleurs, la question du contrôle démocratique sur les recettes et les dépenses publiques reste posée. La phase publique du projet de Loi de finances pour 2004 est lancée. Le Parlement a encore près de deux mois pour examiner le projet de budget, afin que l’année financière puisse commencer comme il se doit le 1er janvier 2004. S’il ne se prononçait pas à temps, une guillotine constitutionnelle le priverait de ses prérogatives et le gouvernement pourrait appliquer son projet. Qu’on se rassure, une telle atteinte aux droits de la représentation nationale ne s’est jamais produite.
Les critiques, pourtant, ne manquent pas à l’égard du budget à la marocaine. Il serait opaque, incomplet, gaspilleur et, pour tout dire, peu démocratique. Le fait est que quelques centaines de personnes tout au plus savent vraiment lire et comprendre les documents budgétaires. Quelques dizaines de parlementaires connaissent à fond la machine. Ils sont un peu plus nombreux à s’intéresser aux budgets sectoriels, notamment les membres de la commission des finances. Comment espérer que l’institution maîtrise les enjeux budgétaires alors que les représentants de la Nation n’ont pas encore compris que plus de dépenses publiques signifie plus d’impôts. Le budget, qui devrait être l’occasion par excellence du débat et du contrôle démocratique, reste encore un champ clos pour techniciens pointus.
Le Parlement ne manque pas de raisons de se plaindre des conditions dans lesquelles s’exerce son contrôle sur les comptes publics. La discussion budgétaire c’est la comparaison de quelque chose qui n’existera pas avec quelque chose qui n’a pas existé. Les évolutions des masses budgétaires pour l’année suivante sont évaluées par rapport à la Loi de finances initiale de l’année en cours, alors qu’on sait que cette dernière n’a pas été appliquée telle quelle : le gouvernement peut, en effet, reporter ou annuler des crédits votés. Les parlementaires peuvent, s’ils le veulent, se tenir au courant de la réalité de l’exécution budgétaire. Et leur pouvoir s’étend non seulement à la conformité comptable, mais aussi au bon usage qui est fait des fonds. Certes, les rendez-vous codifiés que sont les lois d’exécution ne sont pas toujours respectés. Mais si tous les députés faisaient à fond ce qu’ils ont juridiquement le droit de faire, le contrôle démocratique du budget serait autre.
Le fond du problème tient en fait à l’équilibre des pouvoirs dessiné par la constitution, un équilibre délibérément favorable à l’exécutif. La constitution a donné au gouvernement la haute main sur la procédure budgétaire. Il est maître de la nomenclature budgétaire (par ministère et par titre), si bien que le Parlement ne sait pas grand-chose de l’affectation détaillée de l’argent. Les délais fixés font que l’examen du budget s’apparente à une visite de château par un groupe de touristes : au pas de course et avec interdiction de toucher à quoi que ce soit. Comment s’étonner que toute la procédure ne soit, selon l’expression fameuse d’Edgar Faure, que «litanie, liturgie, léthargie» ? L’évaluation est la terra incognita du parlementarisme à la marocaine. Pourtant, certaines évolutions vont dans le sens d’un meilleur contrôle démocratique. L’information financière progresse. Elle n’est pas encore utilisée à bon escient. Peut-être un jour nous sera-t-il donné de voir plus clair dans la «bougette» ?