Les règles d’or de l’excellence logistique

La bonne maîtrise des flux permet de limiter les blocages qui sont souvent dus à des synchronisations défaillantes. Il est important de faire intervenir des compétences de la supply chain en avant-vente et dans les processus d’élaboration de la stratégie de l’entreprise.

Rabii El Gomri
Docteur et professeur de Supply chain management à l’ISTL

La logistique, comme démarche globale, se situe bien comme une partie du management moderne ; la performance logistique d’une entreprise est d’ailleurs souvent à l’image de la préoccupation principale de ses responsables : au départ, essentiellement l’exécution, ensuite la planification, enfin, et aujourd’hui encore trop rarement, la maîtrise.

L’objectif est de répondre à la demande du client. Celui-ci n’est satisfait que si le produit est disponible au bon moment. La disponibilité dépend cependant de la gestion des stocks, elle-même fonction du planning de fabrication et celle-ci n’est réalisable que si les matières premières sont livrées au bon moment. Tous les flux matières premières de l’entreprise sont ainsi interdépendants. Ce qui s’est exprimé dès les années soixante par l’expression chaîne logistique ou «supply chain», constituée de maillons reliés entre eux. De cette modélisation en chaîne, on tire deux enseignements, l’un physique, l’autre mathématique :

y La solidité d’une chaîne est égale à la solidité du maillon le plus faible (exemple : une livraison ratée peut provenir d’une erreur d’approvisionnement de matière première, bien en amont).

y L’optimisation d’une somme d’activités interdépendantes ne résulte pas de la somme d’optimisations locales : seule la gestion globale de tous les flux de matières et de produits dans l’entreprise peut aboutir à la meilleure productivité.

Le principe est de casser les silos classiques hérités de l’organisation scientifique et cartésienne du travail. L’idée est d’établir un lien et de laisser passer plus facilement les informations entre les services qui sont associés à la gestion d’un flux. L’objectif est de donner une représentation transversale du flux au plus grand nombre des acteurs de la supply chain. Cette visibilité permet au niveau de l’action de limiter les blocages qui sont souvent dus à des synchronisations défaillantes.

Positionner la supply chain Management au bon niveau

Implémenter une approche supply chain dépasse largement le cadre des métiers logistiques classiques d’une entreprise (stockage, transport, planification, approvisionnement, administration des ventes ….). Pour faire de l’investissement rentable dans une logique supply chain, il est primordial que l’esprit du service client s’imprègne dans l’ensemble de l’entreprise.

Cette implémentation est liée à la culture de l’entreprise. Cette nouvelle façon «de faire de la logistique» doit être comprise et assimilée par le PDG en premier lieu pour en faire l’orientation de l’entreprise. Le service supply chain doit aussi pouvoir parler d’égal à égal avec les ventes, le marketing, le développement, l’industrialisation, les achats, la production, les méthodes.

Modifier ces comportements ne peut pas se faire rapidement. Demander aux personnes de les changer n’aboutira pas à créer la dynamique nécessaire. En effet, la zone comportementale n’est pas une zone de changement.

L’influence ne peut se faire qu’avec une intégration des notions de service client dans la vision, et des principes d’action issus des valeurs et des règles pour progressivement faire évoluer les croyances de chaque individu. Sur ces points, il est essentiel que les messages soient clairement explicites et proviennent de l’encadrement de l’entreprise et que celle-ci soit bien sûr exemplaire.

Il est aussi primordial que tout le monde reconnaisse que les actions doivent être subordonnées aux flux, et que les flux de réalisation soient pilotés par la supply chain. Les flux génèrent la satisfaction client et le chiffre d’affaires de l’entreprise. Ils ne doivent sous aucune raison se ralentir tant qu’il y a des besoins clients. Il est primordial que tout le monde y soit subordonné et que l’information soit partagée de façon transversale entre les acteurs de la supply chain pour renforcer sa résilience et améliorer son agilité sur le marché, et cela par le déploiement des systèmes d’information intégrés de type ERP; cette information n’est plus perçue comme un avantage à garder jalousement, mais comme une donnée à partager rapidement pour adapter la chaîne dans sa globalité. Ce partage ne peut se produire avec fluidité et transparence qu’à partir du moment où il y a une compatibilité entre les raisons d’être des entreprises prenant part à la supply chain.

Savoir créer et partager une raison d’être est déjà compliqué dans une entreprise, mais le défi le plus important est d’aligner des entreprises dans une même supply chain, où les entreprises ont leurs propres visions et sont même parfois en compétition sur d’autres supply chains.

Bien que cette démarche soit essentielle avec les fournisseurs et les clients, elle est tout aussi importante et efficace en interne. De plus, pour être crédible avec ces derniers, mieux vaut donner l’image d’une entreprise qui le fait en interne et qui est capable de démontrer concrètement comment l’appliquer, et ce que cela apporte.

Construire la solution à partir des besoins clients ou du marché

Les clients ont tendance à exposer leur solution aux fournisseurs. Sous couvert d’obtenir des commandes, les commerciaux acceptent et retransmettent les demandes de «solutions» en interne. Il est bien plus constructif d’élever le débat sur les besoins ou encore les problèmes du client (ou du marché) et d’établir une relation dans laquelle on pourra construire, à partir des besoins, la meilleure réponse, en tenant compte des besoins et du contexte. Cela demande, en effet, de faire intervenir des compétences de la supply chain en avant-vente et dans les processus d’élaboration de la stratégie de l’entreprise. On peut segmenter la valeur que l’on apporte aux clients selon trois axes :

 Proximité client.

 Innovation technologique.

 Excellence opérationnelle.

Chaque marché n’est pas exclusivement dans une de ces seules segmentations, et c’est d’ailleurs ce qui fait que, sur un même marché, chaque offre peut avoir, selon les besoins des clients, un avantage compétitif. Pour chaque marché visé par l’entreprise, il est intéressant de comprendre ce qu’attendent les clients, et de mettre en place le modèle qui permettra de créer la meilleure satisfaction. Une fois la position connue, il reste à définir quels sont les critères qui permettront au client de considérer que notre offre vaut bien le coup d’être étudiée. Il vaut mieux avoir, aussi, les bons indicateurs de performance et montrer que l’on sait atteindre les niveaux de performance attendus. Il est pratiquement impossible de travailler dans l’aéronautique si vous ne savez pas tenir 100% des délais que vous donnez. Les pénalités de retard sont énormes, et les clients transfèrent ces clauses à leurs fournisseurs.

Pour gagner des clients sur le long terme, à ce niveau, la démonstration passe par la création d’une relation de confiance, qui se construit à partir des valeurs, des compétences et de la capacité à communiquer de manière constructive des personnes en contact avec les clients.

Enfin et afin d’évaluer la performance du processus supply chain de manière synthétique, il est intéressant de mesurer le coût de la supply chain, en pourcentage du coût des ventes pour une performance donnée. Cette mesure de l’efficience du processus permet de montrer que le processus d’amélioration continue fonctionne, et que le service est de plus en plus compétitif. Cela permet aussi de comparer sa performance supply chain avec celles des entreprises du même secteur d’activité.