Gérer les personnalités difficiles en entreprise : Avis de Youness Bellatif, DG du cabinet Convergence

«Les entreprises n’ont pas encore pris au sérieux les problèmes comportementaux»
En milieu professionnel, toute personne peut avoir des problèmes comportementaux qui indisposent son entourage et l’entreprise. Youness Bellatif, DG du cabinet Convergence, explique comment s’en sortir.
Déprime, hystérie, paranoïa, obsession…, quand l’environnement de travail est pesant, des problèmes comportementaux peuvent en naître. Quels sont généralement les risques et pour les individus et pour l’entreprise ?
Il faut rappeler que le monde de l’entreprise est un monde de pression, de stress, de tension, de changements, de conflits… Ce qui, de nature, amplifie les risques psychosociaux. Sous la terminologie RPS, on entend stress mais aussi violences internes (harcèlement moral ou sexuel) et violences externes (exercées par des personnes extérieures à l’entreprise à l’encontre des salariés).
Les facteurs à l’origine des RPS sont connus et peuvent être regroupés en 4 familles :
– les exigences du travail et son organisation. Cela peut concerner l’autonomie dans le travail, le degré d’exigence au travail en matière de qualité et de délais, des objectifs contradictoires ;
– les relations interpersonnelles qui dépendent de la nature et de la qualité des relations avec les collègues, les supérieurs, la reconnaissance, l’équité… ;
– la prise en compte des valeurs et attentes des salariés et tout ce qui concerne le développement des compétences, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée… ;
– les changements du travail. Il est à rappeler que le contexte actuel dans lequel nous vivons (crise, mondialisation, insécurité de l’emploi…) alimentent un climat anxiogène dont les effets sur le mental sont beaucoup plus profonds qu’on l’imagine.
Comme nous pouvons le constater, quand l’environnement est difficile, il est clair que les RPS ont un impact sur la santé qui peut engendrer, entre autres, des pathologies mentales (anxiété, déprime, obsession…).
Les RPS ont également un impact sur l’entreprise. On peut noter un lien entre l’apparition de ces risques et l’absentéisme, le taux élevé de rotation du personnel, le non-respect des horaires ou des exigences de qualité, des problèmes de discipline, la réduction de la productivité, des accidents de travail et des incidents, une dégradation du climat social, des atteintes à l’image de l’entreprise…
Je précise toutefois qu’il faut être prudent pour les termes qu’on utilise car, souvent, on a tendance à confondre la paranoïa et la méfiance ou la prudence; la déprime et la baisse du moral ; l’hystérie et l’exubérance. Or, il est important de distinguer entre les termes médicaux de ces pathologies et les expressions familières que nous utilisons fréquemment.
Je pense qu’on surdimensionne parfois les individus par rapport à leur comportement.
Quand peut-on parler de danger ?
C’est quand la personne vit sous stress permanent, durable et intense. Dès lors, le corps ne tient plus, l’énergie s’épuise. La personne est prise en otage par son environnement professionnel ; elle n’a pas le temps de souffler, de prendre du recul… Dès lors, elle peut être sujet au burn-out. On le sait, tout extrême dénote d’une pathologie.
Pensez-vous qu’il existe une montée de ces risques au sein des entreprises ?
Oui, malheureusement, tant que les entreprises ne sont pas touchées par l’impact économique de ces problèmes, elles ne les prennent pas au sérieux. Les symptômes existent, les faits sont présents sauf que ni les DRH ni les managers n’osent s’attaquer à la problématique.
Comment distinguer un caractère difficile d’un individu souffrant d’un trouble de personnalité ?
Les troubles de personnalité sont une amplification de certaines caractéristiques psychologiques d’un individu normal. Cette exagération engendre généralement des difficultés relationnelles permanentes. Quelqu’un de difficile peut s’adapter dans son environnement alors qu’une personne atteinte de troubles est dans l’incapacité de le faire.
Quels sont les comportements nocifs que vous observez ?
Dans l’entreprise, toute personne peut être sujette à des dérives comportementales :
– vis-à-vis de son supérieur, un collègue, suite à une incompréhension ;
– vis-à-vis de l’entreprise qui ne lui a pas donné ce qu’il attendait ;
– vis-à-vis de soi en se dévalorisant et en se victimisant.
Il ne faut pas tomber dans le piège de celui qui a le pouvoir qui est forcément le plus «dangereux» ou le plus nocif. C’est parfois en se reprochant soi-même des choses qu’on finit par attaquer les autres.
A votre avis, comment les entreprises peuvent-elles gérer les cas extrêmes ?
Le souci majeur pour un manager est d’avoir une équipe performante, quels que soient les personnalités et les modes de fonctionnement individuel en son sein, la diversité étant génératrice de richesse. Cela veut dire que le manager doit utiliser la psychologie comme un ensemble de moyens, de savoir-faire et de savoir-être pour amener le collaborateur à rechercher l’excellence, que ce soit sur le plan personnel ou collectivement. Les meilleures équipes mettent en évidence le fait que chaque acteur peut et veut donner spontanément ce qu’il a de meilleur, en sacrifiant une partie de son ego. C’est un exercice de leadership difficile, car en fait cela nécessite une bonne connaissance de soi et des autres.
D’autre part, rien n’empêche l’entreprise à mettre en place des dispositifs internes qui accompagnent les personnes en difficulté. Ce sont des soupapes de respiration qui diminuent les RPS en entreprise. Elles peuvent également mettre en place des espaces de confrontation saine pour que cela devienne un axe de performance pour elles.