Augmentation des salaires : Entretien avec Houcine Berbou, DG d’Academus Business & Management

Les entreprises qui évoluent dans une sphère très concurrencielle préfèrent mettre le paquet sur la partie variable. Pour retenir les talents, les augmentations peuvent dépasser 20%.
Chaque année, c’est le même casse-tête : qui augmenter et de combien. Beaucoup d’entreprises qui ne pratiquent pas de politique de rémunération claire se hasardent sur un terrain miné. Houcine Berbou, DG du cabinet Academus Business & Management, revient sur les différents scénarios envisagés en matière d’augmentation salariale.
Généralement, cette période de l’année marque les négociations salariales pour la suivante. Dans un contexte de croissance et d’inflation faibles, les budgets d’augmentation salariale resteront maigres, quels scénarios les entreprises peuvent-elles prévoir par rapport aux augmentations ?
L’équation à résoudre cette année est la suivante : d’un côté, motiver les équipes en véhiculant un message d’optimisme à même d’inciter à la productivité et à la performance individuelle et collective, et, de l’autre, composer avec les contraintes budgétaires et de maîtrise de la masse salariale. Au regard de ces deux contraintes, les entreprises vont tout de même donner des augmentations mais s’inscriront dans un schéma raisonné en opérant des augmentations ciblées. Celles-ci concerneront davantage les managers influents, les postes sensibles, les créateurs directs de la valeur (commerciaux, recouvreurs, chefs de projets…). D’autres entreprises qui avaient toujours l’habitude de faire du saupoudrage et qui sortent d’une période morose (absence d’augmentation salariale pendant plusieurs années) vont revenir à cette pratique, mais avec des budgets beaucoup plus réduits.
Les entreprises prévoient entre 4 et 5% d’augmentation selon les enquêtes de rémunération. Faut-il s’attendre à la confirmation de ces prévisions ou plutôt à un retournement de situation ?
En tenant compte de ce que j’ai avancé plus haut, je pense que la période des augmentations généralisées et indifférenciées est terminée. Ce constat est valable autant pour le secteur privé que dans certains établissements publics à caractère commercial et ouverts à la compétition. En effet, quand on sait que la masse salariale est une composante directe du prix de revient et que la chasse aux coûts est une pratique usuelle, surtout en périodes difficiles, on peut comprendre que les entreprises sont devenues très allergiques aux augmentations salariales généralisées. Ajouté à cela le fait que l’augmentation salariale touche généralement la partie fixe donc irréversible du salaire. La plupart des entreprises qui évoluent dans une sphère très concurrentielle préfèrent mettre le paquet sur la partie variable du salaire.
La question des rémunérations reste généralement épineuse. Pourquoi les entreprises ne communiquent-elles pas sur les politiques d’augmentation ?
Dans le secteur public, les choses sont claires dans la grille de la fonction publique ou dans les statuts particuliers du personnel. Les avancements sont régulés par l’ancienneté et soi-disant la performance. Je dis soi-disant car presque 98% des agents obtiennent la note maximum. Chacun peut donc connaître à l’avance la date et le montant de son augmentation salariale.
Dans le privé, les choses sont un peu plus compliqués. Les augmentations salariales sont un sujet tabou chez le top management et chez les salariés. Les premiers ne disent pas tout pour que les salariés ne se comparent pas et en ne disant pas tout, les salariés n’ont pas tous les éléments pour opérer des recours auprès de leurs supérieurs. Les salariés, quant à eux, notamment ceux qui profitent des augmentations, ont souvent tendance à sous-dimensionner le montant de l’augmentation, voire à nier cette dernière pour éviter tout regard suspicieux. Mais, si l’on veut catégoriser les entreprises par type, on peut grossièrement identifier trois classes.
Dans les grandes entreprises structurées qui emploient la masse (les banques par exemple), la grille salariale (indices ou classes des salaires) est toujours de mise. La logique gaussienne est pratiquée et le taux d’augmentation ne dépasse généralement pas les 3% (mis à part certaines catégories spécifiques, les managers par exemple). Ces entreprises sont généralement régies par des conventions collectives où tout est formalisé.
Dans les entreprises qui se disputent les talents (vu la rareté des profils), la logique est différente. Les augmentations sont ciblées et ne suivent pas le trend du marché. Dans certains cas les augmentations peuvent dépasser les 20% (cabinets de conseil, start-up, société d’ingénierie, managers pointus). Les augmentations sont un domaine réservé au top management et on ne communique pas dessus.
Dans les entreprises en situation de crise (chutes successives de chiffres d’affaires), les augmentations sont quasi absentes. La communication de crise via le canal des partenaires sociaux est de mise.
Beaucoup d’entreprises procèdent à la politique de «saupoudrage» pour maintenir la paix sociale, faute d’installer une politique de rémunération claire. Quelles conséquences peut engendrer ce type de réaction ?
En l’absence d’une politique de management des compétences et d’une indexation de la rétribution sur la contribution, les conséquences d’une telle pratique sont de deux ordres.
Le premier est la démotivation et le nivellement vers le bas de la task-force de l’entreprise. Le fossé va se creuser davantage entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien. Le climat social n’est pas sain et les conflits empêchent l’entreprise de se développer
Le second est que les règles d’une gestion rationnelle de la masse salariale dans le cadre d’une grille salariale équilibrée (logique compétence) sont outrepassées. La logique de l’individu l’emporte sur la rétribution du potentiel, de la performance et de la compétence.
En fin de compte, qui peut-on augmenter et de combien?
Un système salarial doit être la résultante d’une politique salariale bien définie qui doit être elle-même guidée par la politique générale de l’entreprise. Avant de se poser la question de savoir qui sera augmenté et de combien, je pense que la réponse à une autre question qui doit précéder est de savoir ce qu’on «paye dans notre entreprise» afin de trouver une voie en matière de gestion des augmentations. En effet, un salaire peut payer le diplôme, l’ancienneté, la loyauté, la compétence, la performance, le potentiel, l’expérience et le background… Ainsi, c’est en fonction de ce que l’on paye qu’on peut identifier celui qui a droit à une augmentation et dans quelle proportion. Exemple, une entreprise qui rétribue la loyauté va devoir augmenter régulièrement et substantiellement les éléments fidèles au détriment des jeunes swicheurs.