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Au Royaume

Une question d’argent

Le citoyen ne veut pas porter plainte, il veut payer moins. L’agent d’autorité qui doit entretenir une famille avec 83 DH par jour n’insiste pas trop non plus.

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Maintenant que les esprits se sont calmés après les grèves de protestation contre le projet de code de la route, il serait utile de revenir sur un point majeur qui conditionne la réussite de toute la politique de l’Etat en matière de sécurité routière.

Améliorée, amendée, adaptée, la loi doit in fine être appliquée. Le sera-t-elle ? Le meilleur des textes ne servira à rien si la corruption persiste. Le discours officiel s’appuie sur deux arguments pour contourner le problème. Selon le premier, la loi protège davantage le corrupteur que le corrompu. Le premier peut donc ainsi, même après avoir accepté de se faire «racketer», porter plainte et être écouté. Selon le second, s’il n’y avait pas de corrupteur, il n’y aurait pas de corrompu.

En fait, la corruption obéit d’abord à une logique économique. Le citoyen paie aujourd’hui 100 DH pour échapper à une amende de 400. Demain, il déboursera 300 DH pour ne pas payer une amende de 1 500. Le fait que la future loi oblige policiers et gendarmes à arborer nom et matricule sur leur uniforme n’y changera rien. Le citoyen ne veut pas porter plainte, il veut payer moins. L’agent d’autorité qui perçoit 2 500 DH par mois, qui rentre chez lui en stop et doit nourrir, scolariser et vêtir une famille avec 83 DH par jour n’insiste pas trop non plus. 300 DH c’est 12% de son salaire d’un coup. Allez parler d’honneur et de dignité dans ces conditions !

Tout cela est humain et si ce n’était la question de principe, on pourrait même dire que c’est… compréhensible.
La même chose vaut dans le cas du transport professionnel. La corruption est un compromis utile pour le contrôleur et le contrôlé. Pourquoi ? La plupart des véhicules sont soit mal entretenus soit surchargés (et souvent les deux à la fois). Dans le premier cas, le transporteur gagne plus en payant l’agent d’autorité qu’en entretenant son camion. Dans le second cas, le transporteur n’a pas le choix : s’il n’accepte pas la surcharge, son client s’adressera à un autre fournisseur, dans ce marché dominé par l’informel. Il accepte donc la surcharge et intègre la «tadouira» dans ses charges. L’agent d’autorité, lui, ferme les yeux, il a tellement vu de surcharges et de pneus non réglementaires qu’il est devenu expert en risques. Si la situation est vraiment grave, il fera appel à sa conscience, sinon c’est sa pauvreté qui l’emportera sur ses scrupules.

Conclusion : si, foncièrement, le projet de code de la route est un bon texte, sous réserve de quelques améliorations, le problème n’est pas résolu pour autant et quand on combine amendes de 1 500 DH et réalité du pays, il faut bien admettre, oui, que la nouvelle loi aura comme conséquence d’aggraver la corruption. Le texte ne suffit pas.