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Au Royaume

Une dame de fer au secrétariat général de l’Education nationale

Originaire de Ouezzane, elle abandonnera ses études à la fin du collège pour devenir institutrice.
Poussée par l’amour du savoir, elle y revient et décroche BAC, CES, cycle supérieur de gestion…
Elle quitte l’Education nationale, en 1989, pour aller aux Finances, puis retourne à ses premières amours.

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Leregard perçant, l’explication volubile, sa confiance en elle trahit une fierté et une force de caractère peu communes, que cache mal un sourire de velours et un visage gai. Son âge, elle ne le fait pas. La quinquagénaire qu’est Latifa El Abida paraît plus se situer aux abords de la quarantaine.
Promue secrétaire générale du ministère de l’Education nationale depuis le 13 mai 2005, Mme El Abida peut savourer sa revanche sur le destin. Celui d’une femme issue d’un douar perdu près de Ouezzane, qui se voit propulsée à la tête d’un mastodonte qui emploie 280 000 fonctionnaires. Le couronnement de trente-deux ans d’une carrière, entamée en 1973 dans une école primaire à Rabat comme institutrice de français. Cette fulgurante ascension -principal motif de fierté-, elle ne la doit à aucune appartenance politique ou syndicale, pas plus, affirme-t-elle, qu’au clientélisme. «Je n’ai jamais demandé rien à personne, c’est pour dire que les compétences, le sérieux et le travail comptent dans ce pays», lance-t-elle.

Son père payait le «tartib»: elle est interdite de bourse d’études…
Que dire de son enfance ? Latifa est la fille du Cheikh du cercle de Térouane, tout près de Ouezzane. L’homme est un notable, marié à deux femmes. Latifa est le troisième rejeton d’une fournée de quatre. Mais elle a aussi huit demi-frères et soeurs. Le père décéda et laissa tout ce monde livré à son sort : Latifa avait à peine sept ans et faisait sa première classe au primaire. C’est sa mère, qu’on appelait «arrajoula», pour son caractère bien trempé, qui reprend le flambeau : la scolarité des enfants avant tout. Mais avec quels moyens ? Le père payait le «tartib» (un impôt sur la fortune), et cela interdisait aux enfants l’accès à une bourse d’études. Peu importe, la fille est première de sa classe, et arrajoula n’avait de choix que retrousser ses manches pour l’inscrire à Fès, c’était plus commode qu’à Ouezzane, au collège Bani Marine. C’était l’année où la princesse Lalla Amina obtint aussi son CEP, les autorités faisaient le tour des douars pour dénicher les plus brillants pour les faire venir à Rabat accompagner la princesse au Collège royal, elle faillit être parmi eux… Si ce n’est que sa mère tenait à garder sa fille auprès d’elle.
Latifa, malgré ses notes brillantes, interrompit ses études au niveau de la quatrième année secondaire, pour chercher un job. Elle effectuera deux ans à l’école des institutrices. Une année après, en 1972, elle rencontre son prince charmant, un adjoint technique au ministère de l’Equipement, l’épouse et le suit à la capitale pour entamer sa carrière d’enseignante qui dura jusqu’en 1985.
La naissance de deux enfants ne l’empêcha pas de reprendre ses études : un bac, un diplôme au CPR (Centre pédagogique régional), une licence et un CES en sciences économiques à la Faculté de Rabat. Le tout couronné, en 2002, par un cycle supérieur de gestion à l’ISCAE.

Objectif : rendre à l’école publique son rayonnement d’antan
Ces diplômes la mèneront vers la consécration. D’autres horizons s’ouvrent progressivement à l’institutrice : elle quitte ses élèves et s’en va tenter sa chance aux Finances, après avoir réussi le concours d’inspection générale. En 1989, elle est chef de service des secteurs sociaux à la direction du budget de ce ministère. Etonnant revirement : entre l’école et la gestion financière de la chose publique, il y a tout un monde. Elle le franchit avec brio.
Mais, en 1995, elle retourne à l’Education nationale à l’appel de Rachid Belmokhtar, ministre en charge du Département, à l’époque. Gestionnaire féru, qui voulait rationaliser son département à l’image d’une entreprise : objectifs, stratégie, contrôle… Il fait appel alors à Mme El Abida pour s’occuper de la direction du patrimoine, puis de la direction du budget et du contrôle de gestion. Elle ne quittera plus ce ministère : en 2003, elle se voit confier la direction des ressources humaines et de la formation des cadres. Elle s’attela à une tâche qui lui parut urgente : la déconcentration de la gestion des ressources humaines. «Il était inconcevable, malgré tous les efforts et toute la volonté du monde, de continuer à traiter 280 000 dossiers en un seul lieu, la capitale», remarque-t-elle. Le centralisme à outrance complique la gestion, dit-elle, «il est incompatible avec une structure de grande taille et il est impensable de continuer à gérer à la pelle au lieu d’une gestion individualisée». Mais c’est là un vaste chantier d’avenir, elle en est consciente.
Que signifie pour Latifa El Abida, femme, l’accès à un poste de secrétaire générale? «Que les femmes sont aussi compétentes et sont capables d’assurer, comme les hommes, des hautes responsabilités», répond-elle. Un autre signal, très fort : l’école publique reste un tremplin social. Il est urgent, dans ces conditions, de lui rendre son rayonnement d’antan. «Je continuerai à militer pour cette école, de toutes mes forces», lance-t-elle, déterminée. Comment ? C’est là un autre grand chantier. «Le MEN souffre d’un véritable problème de management. L’école a grossi, or les méthodes de gestion n’ont pas suivi. On se rend maintenant compte que la vraie qualité de l’école, plus que celle de l’enseignant, réside dans le processus de production du savoir. On doit suivre de près l’acte pédagogique. Ecouter mieux les enseignants. Il faut une reconsidération de ces derniers. C’est l’affaire de toute la société, et non de l’Etat exclusivement.» Or, il y a un poste-clé dans une école : le directeur de l’établissement. «Nous devons en faire un véritable manager», s’engage-t-elle..