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Sondage. Bouchaib SERHANI : « La majorité des cadres ne pensent pas suffisamment à leur retraite »
Beaucoup de cadres privilégient le présent à leur retraite. Par négligence, du fait des charges familiales élevées, le financement de l’éducation des enfants en particulier, ou pour vivre dans de bonnes conditions. Il y a un peu de tout cela. Bouchaïb Serhani, DG de Gesper Services, analyse leur comportement et défriche quelques pistes pour s’assurer des revenus convenables après la vie active.

Nous avons effectué un sondage sur la retraite (échantillon de 352 personnes, toutes cadres). La majorité y pense. Cependant, le sujet est relégué au quatrième rang de leurs préoccupations derrière la santé, leur emploi actuel et le pouvoir d’achat. Comment analyser vous cette situation ?
Il est vrai que tous les cadres pensent à leur retraite mais ils ont tendance à la reléguer dans leurs priorités que je classe comme suit.
La première, c’est l’éducation des enfants. La majorité des cadres, pour ne pas dire la totalité, envisage une carrière pour leurs enfants avant leur propre retraite, et, par conséquent, doivent leur assurer une bonne instruction avec pour objectif un bon emploi à la clé une fois leurs études terminées. L’éducation des enfants a un prix qui passe avant toute autre considération, y compris la préparation d’une retraite comprise.
La deuxième priorité, c’est de profiter de la vie. Cette majorité de cadres privilégie le bien-être, une belle voiture, de fonction de préférence, un bon logement dans les meilleurs quartiers, soit à travers un logement de fonction ou une propriété privée payée avec un prêt immobilier qui grèvera les ressources mensuelles et donc réduira les éventuelles économies.
La troisième priorité non négligeable et qui serait un pendant de la deuxième est de profiter de ses petites vacances où une petite semaine à deux peut coûter plus de deux dizaines de milliers de dirhams. Quant aux vacances annuelles, ça sera tous les deux ans, et pourquoi pas chaque année, en Espagne ou en France et pour certains en Grande-Bretagne.
Enfin l’emploi. Il est vrai que dans ces conditions l’emploi serait la 1ère priorité car le salaire étant proportionnel à l’emploi. Plus un emploi est intéressant, plus il permettra aux cadres de pouvoir faire face aux dépenses de leurs propres priorités telles que le bien-être de la famille, enfants et vacances compris.
Compte tenu de la hiérarchie des préoccupations, pensez-vous que les actifs préparent sérieusement leur retraite – en dehors de ce qui est obligatoire ? Votre interprétation ?
Au risque de me tromper, je pense que la majorité des cadres ne pensent pas suffisamment à leur retraite pour des raisons multiples.
Certes, j’ai connu des cas où des cadres investissaient régulièrement pour leur retraite privée, à travers des caisses privées connues et/ou à travers des épargnes retraites proposées par des compagnies d’assurance, tout ce qu’ils pouvaient. Cette épargne retraite était, jusqu’en 2015, fiscalement intéressante. J’ai connu des cas où des cadres avaient investi la totalité de leurs primes annuelles – des montants très importants – dans ce processus en plus de leurs cotisations mensuelles auprès d’une caisse de retraite comme la CIMR.
Malgré tout, une majorité de cadres se contentent des cotisations mensuelles pour préparer leur retraite via une caisse de retraite privée, la CIMR, ce qui est à mon sens insuffisant. Cette caisse privée avait évolué avec le temps et propose aujourd’hui des taux de cotisation qui vont jusqu’à 12% de la masse salariale pour la part salarié et autant pour la part patronale, abstraction faite de la majoration de 30% supportée par l’entreprise et qui ne génère pas de points.
Cette même caisse et/ou les compagnies d’assurance permettent des retraites anticipées pleines à 55 ans ou des retraites différées qui généreraient à terme plus de revenus.
Que pensez-vous du niveau de pension que versent les caisses actuelles ?
Quand on pense aux caisses actuelles, une seule est obligatoire : la CNSS. Que penser de cette caisse ? C’est une caisse destinée aux Smigards et financée par les cadres qui n’en profitent que très peu. Si un cadre, disposant d’un salaire de plus de cent mille dirhams, prend sa retraite en 2019 après avoir cotisé à cette caisse durant plus de trente ans, il aura une pension de 4010,16 DH.
Les cotisations sont plafonnées à un salaire de référence qui est actuellement équivalent à un peu plus de deux fois le Smig mensuel, ce qui me fait dire que c’est une caisse de Smigards. Bien entendu d’autres cotisations basées sur le salaire réel (important pour les cadres) sont versées à cette caisse pour financer d’autres couvertures.
Au vu du montant dérisoire de la pension servie, les cadres sont tenus d’avoir d’autres revenus à travers des caisses privées ou des compagnies d’assurance.
Dans le même sens, certains employeurs souscrivent au profit de leurs salariés, ou de certains d’entre eux, une couverture complémentaire via la CIMR. Mais du fait de la non-obligation de cette couverture, ces entreprises l’utilisent comme instrument de motivation pour attirer les meilleurs profils. Et comme les taux de cotisation varient de 3 à 12%, la plupart des entreprises souscrivent des couvertures pour tout leur personnel, y compris leurs cadres, à un taux unique de 6% et rares sont celles qui vont au-delà de ce taux. Celles qui le font, soit 8 à 12%, le réservent aux cadres.
Je termine cette question pour dire que si des cadres au niveau de certaines entreprises avaient souscrit à ces taux de 10 ou 12% dès la mise en place de ces derniers et que leur âge est aux environs de la quarantaine, ils pourront espérer un rendement sur cet investissement de l’ordre de 4% par an, et espérer avoir 70% de leur salaire. Ce cas était valable avec un taux de 6% dans les années 70/80, mais avec le temps ce rendement s’est dégradé.
Aujourd’hui, la CIMR a étoffé son système où des salariés peuvent souscrire à une couverture individuelle sans part patronale.
Sur quels paramètres devrait-on insister pour améliorer la situation ?
J’estime que l’organisation de la CNSS doit être revue et que les couvertures pour la retraite base doivent être traitées en fonction des salaires réels des cotisants et non lié à un salaire de référence à charge pour la CNSS de placer cet argent là où il sera mieux rémunéré et ainsi assurer une pension des adhérents qui tournerait aux alentours de 70 à 80% du salaire.
La rémunération actuelle des dépôts des cotisations est presque identique à celle des années 70 alors que jusqu’au début des années 90 le taux d’inflation avait été à deux chiffres. Donc si aujourd’hui le taux peut paraître honnête, il l’était moins avant les années 90.
Pour faire bouger cette institution, il faut être très patient car beaucoup de générations seraient parties à la retraite avant qu’une décision ne soit prise, et, par conséquent, il faut trouver des solutions à travers une meilleure répartition des charges patronales en instaurant des taux de cotisation logiques mais compensés par la réduction ou l’élimination d’autres charges patronales inutiles, comme, par exemple, la taxe sur la formation professionnelle.
De même, les taux de cotisation à l’AMO qui sont plafonnés pour le secteur public ne le sont pas pour le privé, ce qui est une injustice sociale et contraire à l’article 6 de la Constitution qui stipule que tout les citoyens sont égaux devant la loi. Si les charges du privé étaient alignées sur celles du public pour ce qui concerne l’AMO, les entreprises privées seraient motivées pour mettre en place de meilleures couvertures complémentaires pour leurs cadres.
Que conseillez-vous à des actifs pour qu’ils puissent avoir des revenus convenables à leur retraite ?
Je serais tenté de dire aux cadres actuellement actifs de mieux gérer leurs dépenses et qu’ils classent celles-ci en fonction des vraies priorités: enseignement des enfants, modération du coût des loisirs… Avec l’âge, les dépenses de santé augmentent de plus en plus et seront plus conséquentes à la retraite. Compte tenu de tout ce qui a été dit, je recommande donc aux cadres actifs actuellement de souscrire à des couvertures complémentaires qui leur permettraient de vivre décemment.
Comment ?
Une épargne retraite individuelle à travers la CIMR ou une compagnie d’assurance de leur choix. Par ce canal, ces cadres doivent souscrire à des retraites complémentaires à celle qui sera servie par la CIMR. Il s’agit d’un versement mensuel à laquelle peuvent s’ajouter d’autres versements occasionnels comme les bonus par exemple ou des indemnités particulières.
Tous ces versements sont capitalisés par la CIMR ou la compagnie d’assurance en contrepartie d’un revenu régulier supplémentaire à partir d’un certain âge. Le capital ainsi constitué est reversé sous forme de rente viagère ou peut être reversé sous forme de capital à 50, 60 ou 65 ans, ou plus ou moins, en fonction de l’option choisie, étant entendu que l’épargnant ne peut se permettre de demander ce versement qu’après avoir atteint l’âge de cinquante ans et après avoir cotisé durant 8 ans au minimum.
Ces contraintes d’âge et de durée de dépôt avaient été aggravées par le plafonnement d’un certain avantage qui avait vu le jour à l’occasion de la Loi de finances de 2015 (voir Code général des impôts – CGI).
Lesdites conditions d’avantages ou de contraintes sont rappelées chaque année à travers ces CGI qui sont émis par la Direction générale des impôts et ont pour objectif la fraude fiscale.
Comment évaluer ces avantages ?
Sur la définition des éléments fiscaux et la retenue à la source, on constatera qu’il est question de définir le net imposable. C’est ce net imposable qui permet à l’entreprise de calculer l’impôt sur le revenu à retenir à chaque période de paie et de le mettre à la disposition du Trésor.
Une fois le net imposable classique connu, l’entreprise déduit les montants de l’épargne retraite dans la limite de 10% de ce premier net imposable annuel récurrent avant de procéder à la retenue de l’IR, sous réserve que ces cadres aient informé leur employeur en fournissant tous les justificatifs qui leur permettraient de bénéficier de cette déduction. Ce sont ces avantages qui fixent les conditions pour en bénéficier en fonction de la durée de l’épargne et de l’âge minimum requis. Ainsi ce sont les cadres prévoyants qui pourront se permettre une retraite paisible, et, par là, en profiter.
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