Au Royaume
Radi, l’homme de tous les compromis
Issu d’une famille de grands propriétaires terriens, rien ne le
prédisposait à devenir un militant de gauche.
Homme de consensus, habile à louvoyer entre les contraires, le perchoir
lui va comme un gant.
La seule chose que lui reprochent parfois les militants : il se consacre trop
à ses fonctions de président du Parlement, au détriment de
son engagement militant.

C’est l’homme de l’USFP au sein du Palais, disaient de lui, sur le ton de la confidence, certains de ses proches. C’est l’homme du Palais au sein de l’USFP, rétorquaient, assassins, certains de ses détracteurs. Abdelwahed Radi est ainsi fait : insaisissable sans être flou, conciliant sans compromission, prudent sans être petit. On ne lui connaît ni amis intimes ni ennemis déclarés. Les vieux militants de l’UNFP se rappellent avec nostalgie le jeune député d’El Qsiba qui a enflammé, en 1964, avec ses discours engagés, le Parlement lors de la motion de censure présentée par l’UNFP et l’Istiqlal contre le cabinet de M’hammed Bahnini. Les plus jeunes se rappellent en 1977 ses duels oratoires avec feu maître Abdelhamid Kacimi, chef de file du RNI à la Chambre des représentants.
Rien, à l’origine, ne prédisposait ce natif de Salé, issu d’une grande famille de propriétaires terriens du Gharb, à devenir un militant passionné de la gauche. Orphelin à 11 ans, c’est au sein du Mouvement national qu’il se trouvera une seconde famille où il saura naviguer à merveille entre l’archaïsme du terroir et la modernité des institutions.
Un tiers socialiste, deux tiers notable, les militants le baptisent «Aradi» (terres)
Mais à l’USFP, Abdelwahed Radi n’a ni la fougue d’un Omar Benjelloun ni le charisme d’un Abderrahim Bouabid, encore moins l’aisance d’un Mohamed Elyazghi. On ne garde en mémoire que cet apparatchik discret, un tantinet austère, qui a toujours su louvoyer entre ses responsabilités envers le parti et ses accointances avec le pouvoir. D’ailleurs, les militants ne lui en voudront pas d’avoir accepté d’être le SG, sur demande expresse de Hassan II, de l’éphémère Union arabo-africaine scellée avec la Libye, dans les années 80.
Un tiers socialiste, deux tiers notable, il se voit affublé par les militants du parti du sobriquet de Abdelwahed « Aradi» («terres» en arabe), allusion peu subtile à sa condition de grand propriétaire terrien. Ils ne lui en voudront pas non plus d’avoir été le ministre de la Coopération de Hassan II. Ils lui passeront ces «écarts de conduite militante» quand ils ne pardonneront rien aux autres dirigeants du parti. Lors du Ve congrès de l’USFP, ces mêmes militants ne retiendront que son socialisme jovial et compatissant pour l’adouber au sein du bureau politique. Pendant les joutes du congrès, on le voyait chaleureux, sympathique, «usfpéiste version Radi», commentera un militant ittihadi qui l’a longtemps côtoyé.
Mais la consécration, il va la connaître en 1997 quand son élection à la tête de la Chambre des représentants sera l’acte fondateur de l’alternance. Il se complait alors dans ses nouvelles fonctions, mettant toute son énergie et toute sa maîtrise du métier au service de la diplomatie parlementaire. Député depuis 1963, il en connaît toutes les ficelles et tous les registres. D’ailleurs, comme il l’a déjà fait dans le parti, Abdelwahed Radi va s’imposer sans s’installer, doucement et presque sur la pointe des pieds, sans brusquer ni exaspérer. Désormais, il est le troisième personnage de l’Etat et le perchoir lui va comme un gant. Il donne la pleine mesure de son talent de diplomate et d’homme de consensus.
Toutefois, les militants vont lui reprocher son dévouement à ses nouvelles fonctions au détriment de l’engagement partisan. Mais s’est-il jamais retrouvé dans le militantisme de base ? S’est-il jamais senti à l’aise dans un milieu où la loi est la violence psychologique, l’embuscade et la rancune recuite ?
Quand Abderrahmane Youssoufi décide de se retirer de la vie politique et de démissionner de ses charges de premier secrétaire de l’USFP, c’est chez Radi qu’il se rendra pour l’informer de sa décision. Un symbole ? Non. Une véritable seconde consécration, selon les observateurs. Quand les ministres USFP se méfient des intentions belliqueuses d’un Elyazghi triomphant, c’est encore Radi qu’ils choisissent comme protecteur. Tout un programme. Il se soumet, contraint, diront certains, à leur volonté, mais pas pour longtemps. Les confrontations, surtout avec ses amis, l’indisposent. Mais on ne se refait pas après quarante ans de carrière. Radi est le fruit de son milieu et d’une certaine culture politique
Abdelwahed Radi, un pacifique que les confrontations rebutent, surtout avec ses amis.
