Au Royaume
Quand le Trésor courbe l’échine devant les banques !
Si un dirigisme de la courbe des taux est désormais de mise, les autorités financières gagneraient à l’admettre et à le défendre ouvertement avec les bons arguments.

Révélation explosive passée inaperçue ! Dans un entretien-fleuve, accordé à nos confrères de le360, la directrice du Trésor et des finances extérieures (DTFE) s’est exprimée sur la situation extrêmement tendue du marché des Bons du Trésor qui traverse une zone de turbulences. Souvenez-vous, ce compartiment avait été marqué au premier vendredi de l’année par la hausse la plus spectaculaire jamais enregistrée de son histoire : jusqu’à 160 points de base sur les Bons à 30 ans, sur le marché de seconde main. Faouzia Zaâboul révèle que c’est le 4 janvier qu’a été décidée cette correction de la courbe des taux. Une décision prise «à l’unanimité» par les membres du «Comité de la courbe».
Ce collège présidé par le Trésor rassemble les représentants des différentes autorités financières ainsi que les opérateurs du marché pour déterminer l’algorithme qui établit la courbe des taux. La méthodologie tient compte de plusieurs variables, dont les taux sur le marché primaire (nouveaux Bons), les prix des échanges sur les anciens titres (marché secondaire) qui ont pour repères le taux directeur, le niveau d’inflation, les besoins en financement…
C’est cette courbe mise à jour quotidiennement qui permet aux gestionnaires de valoriser leurs portefeuilles au jour J pour déterminer ce qui sert de valeur liquidative hebdomadaire pour les OPCVM ou de valeur de portefeuille de placement pour les banques et assurances à l’occasion des bilans annuels ou semestriels. Il s’agit d’un indicateur d’une grande pertinence pour les investisseurs à ne travestir sous aucun prétexte. Pourtant, c’est bien ce que s’est permis ce Comité, comme l’admet implicitement la trésorière du Royaume.
«Au lendemain de la deuxième hausse du taux directeur (décembre 2022), suite aux discussions qui ont eu lieu au sein du Comité de la courbe, il a été décidé de manière consensuelle de ne pas corriger la courbe des taux à la fin de l’année 2022», a confié Zaâboul. Et le prétexte est embarrassant: «Cette période coïncide avec les arrêtés des comptes et des bilans, d’où le report de la correction à la première semaine de janvier». La responsable admet ainsi qu’elle a (au moins) cautionné un dirigisme sur le marché des taux permettant d’offrir aux banques et assurances une base de valorisation à même d’embellir leurs comptes. Un cadeau qui se chiffre en centaines de millions d’économies en provisions pour dépréciation de titres de placement. Lesquelles provisions ont déjà plus que triplé malgré toutes les techniques d’optimisation utilisées par les banques.
Une telle mesure est peut-être justifiée dans la conjoncture actuelle : moins de bénéfices pour les banques et assurances est synonyme de moins d’impôts sur les sociétés, sachant qu’il s’agit de contribuables catégorie poids lourds taxés au taux (assez ?) fort. Banques et assurances avec leur galaxie de fonds sont aussi les premiers clients du Trésor dont le souci est d’émettre ses bons à moindres frais et sur une longue durée. Par conséquent, si un dirigisme de la courbe des taux est désormais de mise, les autorités financières gagneraient à l’admettre et à le défendre ouvertement avec les bons arguments. S’entêter à insulter l’intelligence des investisseurs et des gestionnaires non adossés aux banques en persistant dans un mode de calcul de la courbe à la carte risque de mener à une perte de confiance… Scénario cauchemardesque pour tout marché financier.
