Au Royaume
Mohamed Moujahid, le médecin militant de gauche
Gynécologue de formation, il est l’un des rares médecins à devenir secrétaire général d’un parti politique.
Membre fondateur de la GSU et du PSU, son grand rêve est de créer
une grande formation où se fondent tous les autres partis de gauche.
Le 4 mars courant, il devient à quarante-six ans secrétaire général
du PSU.

Mohamed Moujahid n’a ni le charisme ni la verve d’un Mohamed Sassi, pressenti au poste de secrétaire général du Parti socialiste unifié (PSU) lors de son premier congrès, en février dernier, mais il a deux qualités que tous les militants lui reconnaissent : un sens aigu du consensus, et une intégrité intellectuelle avérée. Des qualités suffisantes pour bâtir un grand parti de gauche, dont ce médecin de formation a toujours rêvé ? Quand Mohamed Sassi était l’hôte de Mustapha Alaoui dans l’émission «Hiwar» quelques semaines avant le congrès, Moujahid était au milieu des invités : pour d’autres chefs de parti, la situation aurait été gênante. Mais, lui, a la conviction que son camarade sait séduire, le PSU qui a besoin d’une opération de charme n’en sortira que gagnant, à quelques mois des élections pour élire le deuxième Parlement sous le règne de Mohammed VI. Pour lui, c’est le plus important.
Né en 1961 à Douar Klaie, un patelin situé à quelques encablures de la ville de Taounat, rien ne prédestinait ce fils de commerçant en produits alimentaires à devenir un jour secrétaire général d’un parti. Si on échappe au milieu rural pour faire des études poussées et devenir un jour médecin gynécologue, c’est pour gagner confortablement sa vie, et pas autre chose. La majorité des leaders de partis sont issus des grandes villes, ils sont universitaires, avocats ou hommes d’affaires, Moujahid est le seul, avec Abdelkrim Khatib et Saâdeddine El Othmani (sucessivement SG du PJD), à être médecin. Il faut dire que peu de médecins marocains ont des atomes crochus avec la politique. Après un Bac décroché à Meknès en 1979, Mohamed émigre à Rabat pour passer le concours de la Faculté de médecine. Il a dix-huit ans. Sept ans après il en sort médecin généraliste. Un cursus sans accroc.
Il exerce encore dans son cabinet à Settat
Après son service militaire, dont une partie au Sahara, il regagne la capitale pour faire sa spécialité en gynécologie. En 1993, il obtient son diplôme et intègre la santé publique, à Taroudant, comme chef de service. De cette période, il se rappelle : «J’étais le seul spécialiste en gynécologie dans une région qui compte un million d’habitants, j’étais mobilisé pendant deux années 24h/24, il m’arrivait de ne pas dormir trois nuits de suite.»
Mobilisé comme médecin, Moujahid l’est aussi, et jusqu’au coup, dans la politique. À l’âge de sept ans déjà, il tendait l’oreille pour suivre les discussions enflammées du père, ancien résistant, dans sa boutique, avec une ribambelle d’amis qui lui rendaient visite. Le nom de Mehdi Ben Barka revenait souvent dans le débat. Ex-militant du Parti de l’Istiqlal, le père avait une solide formation politique, dont le fils allait très vite s’imprégner ; mais c’est au lycée Moulay Ismaïl de Meknès que Moujahid affine sa formation politique et théorique en potassant les ouvrages de Marx, Lénine et d’autres théoriciens du socialisme scientifique.
Nous sommes en 1975-76, les arrestations s’abattant sur les militants marxistes n’épargnent aucune région du Maroc : trois militants de son village, parents proches, tombent dans les filets de la répression, ils écopent de lourdes peines. Cette étape, Moujahid l’a vécue au fond de lui-même comme une insulte. C’est le déclic qui a réveillé le révolté qui dormait en lui. Il s’engage dans l’action politique, notamment dans le groupe Al Qa’idiyine (les militants de base) qui donna lieu, au début des années 1990, au Mouvement des démocrates indépendants, l’un des quatre mouvements de la nouvelle gauche, dont l’OADP, à se fondre dans un même parti, la Gauche socialiste unifiée (GSU). Mais au prix d’un travail harassant ! La gestation a pris plus de dix ans. Des réunions-fleuves et des nuits blanches pour rassembler tous les courants de la nouvelle gauche. Comme beaucoup de militants des années 70 et 80, le jeune militant paye un tribut pour son engagement politique. Au moins deux fois : en 1984, il passe huit mois dans la prison Laâlou de Rabat (prison civile), alors qu’il est encore étudiant à la Faculté de médecine. Et en 1986, un mois dans le fameux centre de détention clandestin, Derb Moulay Cherif. Il était alors médecin interne à Taroudant. C’est d’ailleurs pour des raisons de santé qu’il quitte la santé publique pour monter un cabinet privé, à Settat, dans lequel il pratique toujours.
Moujahid, le militant, entre au secrétariat général de la GSU (il avait 40 ans) en 2001, il est le seul à y être reconduit lors de son premier congrès en 2004. Un autre travail non moins laborieux attendait le parti : reconnaître les courants en son sein et s’ouvrir aux autres mouvements de gauche. Un nouveau processus est enclenché : la fusion avec Fidélité à la démocratie de Mohamed Sassi, issu de l’USFP. Elle eut lieu en 2005, elle était ressentie par les militants des deux courants comme une victoire de l’unité contre la désunion, et un pas important vers la construction de ce grand parti de gauche dont rêvent les héritiers de Mohamed Bensaïd. Il s’agit, pour Mohamed Moujahid, d’une tâche primordiale. «Un grand parti de gauche, oui, mais pas au prix des valeurs de modernité et d’ouverture, ni au détriment du droit à l’expression des courants au sein de cette vaste structure», nuance-t-il. Et l’USFP dans tout cela ? «Les partis de la Koutla sont nos alliés stratégiques, comme le sont tous les démocrates de ce pays qui embrassent les mêmes idéaux», répond-il.
