Au Royaume
Les caciques se suivent…
A quoi sert le départ d’un chef de parti s’il ne fait que servir
de tremplin à l’accession d’un autre baron ? Les élites,
lassées d’attendre, sont allées chercher ailleurs.
Abderrahmane Youssoufi a rendu son tablier. Sous d’autres cieux la démission d’un chef de parti, qui a largement fait son temps, aurait pu paraître banale. Au Maroc, ce geste ne l’est pas.
Chez nous, un chef de parti ne démissionne pas. Seul M’hamed Boucetta a eu la grandeur de ne pas se représenter à la tête de l’Istiqlal, lors d’un des congrès du parti, en février 1998.
Le départ volontaire de Si Abderrahmane ouvre donc une nouvelle brèche dans l’inamovibilité de ces caciques qui usent le fauteuil du pouvoir jusqu’à ce que homme et meuble, un jour, ne fassent plus qu’un. Et quand l’homme s’en va, à «l’insu de son plein gré», le fauteuil, lui non plus, n’existe plus. Trop tard ! Ceux qui avaient, vainement, mis leurs ambitions sous l’éteignoir de la patience, sont partis créer leur propre formation politique, user leur propre fauteuil. L’histoire du Maroc post-indépendant est jalonnée de ses exemples qui se terminent le plus souvent par des scissions, affaiblissant à chaque fois les partis politiques : la matrice originelle devient une coquille vide et les dissidents n’arrivent pas à drainer suffisamment de monde pour constituer une vraie force.
On peut certes épiloguer, dire que Youssoufi est parti car il a senti tourner le vent, qu’il aurait dû démissionner au lendemain des législatives de septembre 2002. Le constat n’est pas dénué de pertinence, mais il a eu le courage de partir, sans attendre le retour d’une éventuelle nouvelle heure de gloire. Il est parti… ce que beaucoup de barons refusent même d’envisager.
Maintenant que la page est tournée, le problème n’est pas épuisé pour autant. Car, chez nous, non seulement les chef de partis ne démissionnent pas mais, de plus, l’éventuel successeur est soit adoubé par les apparatchiks du parti, soit même désigné à l’avance. Or, comme les formations politiques ont perdu leurs élites, qui ont attendu trop longtemps, on se retrouve, sans surprise, avec un autre cacique… à la place du cacique. Est-ce ainsi que les partis se renouvelleront ? Le doute est fortement permis.
C’est là le véritable aggiornamento que doivent accomplir les partis. Attirer, en amont, l’élite, laisser jouer l’émulation et vivre les courants, et renouveler régulièrement, en aval, les rangs des décideurs.
La condition nécessaire ? la démocratie.
