Au Royaume
Le secteur immobilier négocie le virage de la qualité
Sur les deux dernières décennies, l’Exécutif a misé en priorité sur la quantité pour réduire le déficit en logements. Un plus haut degré d’exigence des consommateurs impose aujourd’hui un relèvement du niveau de qualité de la production.

La qualité dans l’immobilier, est un vaste thème qui nécessite de réunir divers profils d’intervenants, pour en faire le tour convenablement. Pour La Vie éco, qui s’est intéressée à la question dans le cadre de son dernier dîner-débat, tenu mardi 17 novembre à Casablanca, c’est Nabil Benabdellah, ministre de l’habitat et de la politique de la ville, Rachid Khayatey, vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) et PDG du groupe immobilier KLK, Badr Kanouni, président du directoire du groupe Al Omrane et Mehdi Benzine, directeur général du pôle immobilier de Akwa Group, qui ont accepté de partager leurs réflexions sur la question. Et il n’a pas fallu attendre la fin du débat pour avoir un résumé de la situation.
«Historiquement, la qualité n’a pas été placée au centre des préoccupations», attaque M. Benabdellah. «L’on a plutôt favorisé une approche quantitative exigée par le contexte de l’époque», précise-t-il. En effet, lorsque le programme des 200 000 logements a été lancé en 1996, le déficit en habitats pointait à 1,2 million d’unités. Dix ans après, ce déficit a pu être maintenu en l’état, ce qui est une prouesse, insiste M. Khayatey. «Cela veut dire que l’on a pu répondre intégralement au besoin additionnel né de la croissance démographique», éclaire-t-il. Avec l’introduction du logement social (à 200 000 DH puis à 250 000 DH), entre autres actions publiques, le rythme de production a pu encore monter d’un cran au point de pouvoir traiter le déficit historique en plus du nouveau besoin. C’est ainsi que l’on est passé d’un manque de 1,2 million d’unités à 840000 en 2012 et l’on devrait terminer l’année en cours sur un déficit de 500 000 unités. C’est dans le sillage de cette mobilisation pour réduire le besoin que les promoteurs immobiliers privés ont vu le jour et que la profession s’est renforcée. «Avant 1996, il se trouvait beaucoup de lotisseurs mais les promoteurs capables de réaliser un programme de 1 000 logements étaient quasi inexistants, alors qu’aujourd’hui la FNPI compte plus de 800 adhérents et la construction s’érige en véritable branche de l’économie», résume le patron de KLK.
Certes, on peut trouver à redire sur la qualité de toute l’offre arrivée sur le marché ces dernières années, et M. Benabdellah ne s’en cache pas. Mais «si l’Etat n’avait pas entrepris toutes les mesures d’encouragement de la production, on n’aurait pas eu quelques îlots d’habitats anarchiques comme on en trouve actuellement en périphérie des villes, mais des centaines de milliers de constructions de ce genre», s’emporte-t-il. Surtout, la condition vitale de stabilité des bâtiments est respectée au niveau de tous les habitats réalisés. «Il n’y a pas eu d’effondrements de bâtiments neufs sur les dernières années, les cas recensés touchent des habitats menaçant ruine», rappelle le ministre. M. Khayatey abonde dans le même sens en rappelant que «le Maroc affiche un taux de sinistralité qui approche les niveaux des marchés les plus développés». De manière inattendue, le ministre confesse toutefois que l’absence d’écroulements au Maroc relève quand même du miracle. «Si les promoteurs adhérents à la FNPI se conforment aux normes, les tâcherons traditionnels et autres ouvriers, qui pèsent le plus en nombre sur le secteur, exercent en marge de toute règle. Au cœur même de Casablanca des bâtiments se construisent soi-disant selon un plan d’architecte alors qu’ils n’en ont que la signature», dévoile M. Benabdellah. Le Maroc ne doit son salut qu’à un savoir-faire généralisé à tous les intervenants, structurés ou informels, en matière de solidité de l’armature de base (caisson), communément appelé «sendouk».
Retard dans l’adoption du Code de la construction
En gros, l’on retiendra que le Maroc a réussi le pari de la quantité qu’il s’est lancé il y a deux décennies. Mais force est de constater aujourd’hui que les choses sont en train de changer et que le consommateur ne cherche plus seulement à être logé mais à être bien logé, relativise M. Khayatey. Conscient de cela, le ministère prépare le terrain au changement qui s’enclenche. L’enjeu est de moderniser l’arsenal juridique réglementant la qualité dans le logement, fait savoir le ministre. Plusieurs chantiers sont ouverts concernant d’abord des réglementations techniques. Les ambitions du ministère sont telles qu’après l’adoption des réglementations parasismique et thermique, l’on s’intéresse à l’isolation phonique. Le projet en est encore aux toutes premières phases mais l’on sait qu’il s’agira de définir des normes acoustiques de manière à garantir le confort des usagers en mettant évidemment un protocole de contrôle en la matière.
Ensuite, le ministère cherche à renforcer son encadrement technique à travers la normalisation et la qualification. Le premier volet consiste à étoffer le catalogue de normes, au nombre de 1103 actuellement. Il s’agit aussi d’étendre toujours plus la base de professionnels qualifiés, qui atteint actuellement 1 914 opérateurs, étant à rappeler que ce dispositif détermine les exigences minimales en termes de ressources humaines et matérielles pour soumissionner aux marchés publics.
Enfin, le département de l’habitat agit sur la qualité du bâti à travers les cahiers des charges qui s’imposent aux programmes d’habitats conventionnés (logements sociaux et pour la classe moyenne). Reste un grand absent dans l’arsenal actuel: le code de la construction. Cette réglementation évoquée depuis des années vise à encadrer le secteur de la construction d’un bout à l’autre de la chaîne. Elle couvre les intervenants, les matériaux et procédés de construction, les risques dans les chantiers et les procédures de contrôle et de sanction. Le texte a déjà été finalisé, La Vie éco en a d’ailleurs dévoilé le détail (www.lavieeco.com). Il est à présent discuté avec le SGG, fait savoir M. Benabdellah, qui laisse entendre que le processus est laborieux. Il semble en effet que la volonté de changer des textes existants passe mal auprès d’autres départements ministériels qui ont la responsabilité de corps de métier impliqués dans la construction. Le ministre garde néanmoins bon espoir de faire adopter le code au moins en conseil de gouvernement avant la fin du mandat de l’équipe en place.
Piqué au vif, le vice-président de la FNPI a tenu à marteler tout l’enjeu de la mise en œuvre du code de la construction au Maroc. «Cette réglementation permettra de préciser les responsabilités des intervenants. Et cela permettra d’en finir avec cette mauvaise habitude de responsabiliser sans distinction les promoteurs, les entreprises de construction, les architectes, les ingénieurs et parfois même les agents communaux en charge des autorisations de construire, dès qu’un problème survient», insiste M. Khayatey. En outre, il estime que l’intérêt du futur code est de permettre de mieux cerner la notion de qualité dans le logement puisque ce cadre détermine toutes les règles à suivre pour y parvenir.
[blockquote style= »2″]Nabil Benabdellah Ministre de l’habitat et de la politique de la ville
Si les promoteurs adhérents à la FNPI respectent les normes, les tâcherons traditionnels et autres ouvriers, qui pèsent le plus en nombre sur le secteur, exercent en marge de toute règle.[/blockquote]
[blockquote style= »2″]Rachid Khayatey Vice-président de la FNPI
Tous les opérateurs sont qualifiés aujourd’hui de promoteurs immobiliers. Or, il est grand temps de distinguer entre les opérateurs occasionnels et ceux professionnels.[/blockquote]
Un label qualité du ministère de l’habitat en préparation
Mais la FNPI n’a pas attendu l’entrée en vigueur de ce référentiel pour prendre le virage de la qualité. «La profession a depuis longtemps essayé de faire de la qualité un chantier prioritaire, sans y être vraiment parvenue», reconnaît le patron de KLK. Ce n’est que ces derniers mois que la fédération a pris les choses en main avec la mise en place de son label Iltizam. Celui-ci récompense les projets immobiliers sur la base d’un référentiel de 90 critères. Conçu en collaboration avec le cabinet Ernst&Young, il accorde une attention particulière à la transparence vis-à-vis du client, ce volet accaparant 30 critères. Les aspects audités vont du respect des incontournables mesures réglementaires à des volets plus fouillés et habituellement négligés tels que la sincérité de la communication (publicité, promotions…), la mise en place de locaux dédiés pour les réunions du syndic ou encore la bonne tenue des registres de réclamations de la clientèle… Dans le lot figurent aussi des critères dont le non-respect élimine d’office le candidat. Il s’agit par exemple de la souscription par le promoteur d’une garantie décennale, alors que cela n’est pas obligatoire en temps normal.
La qualité a un coût…
Certes, jusqu’à présent les professionnels ne se bousculent pas au portillon pour se faire labelliser. La première promotion de labellisés, dévoilée ces derniers mois, ne compte que 3 projets. La deuxième vague promet déjà d’être plus étoffée. Une trentaine de programmes se sont portés candidats. Les intéressés ont jusqu’à la fin de l’année pour déposer leurs dossiers. Tous ces efforts visent à faire le ménage dans les rangs de la profession. «Tous les opérateurs sont qualifiés aujourd’hui de promoteurs immobiliers. Or, il est grand temps de distinguer entre les opérateurs occasionnels et ceux professionnels», tranche M. Khayatey.
En tout cas, l’initiative semble avoir donné des idées au ministère de l’habitat. «Nous travaillons nous-mêmes sur un label que nous voulons aux normes internationales les plus développées», dévoile en avant-première M. Benabdellah. Faut-il y voir une volonté de la tutelle de reprendre la main aux professionnels, étant à préciser que l’Habitat est membre du comité d’octroi du label Iltizam ? M. Khayatey voit le projet de label du ministère d’un bon œil, précisant qu’il est sain que de nombreux certificats existent sur un marché, le plus important étant de renforcer la crédibilité de la profession.
Avec tous ces efforts visant à élever le niveau de qualité de l’offre se pose la question de la gestion des coûts que cela induit. «La qualité génère un surcoût et il faut bien que quelqu’un le paie», explicite le président d’Al Omrane, qui préconise dans la foulée une sensibilisation du citoyen afin qu’il soit prêt à prendre en charge ce supplément. «Il faut aussi garantir une adhésion totale des promoteurs (aux normes obligatoires), au risque de creuser les écarts de coûts entre opérateurs, aboutissant in fine à des différences de prix de vente et des situations de concurrence déloyale», avertit M. Kanouni. Evidemment, Al Omrane est bien placée pour aborder la question de la qualité. En tant qu’outil public pour la mise en œuvre des politiques de l’Etat dans le secteur de l’habitat, le holding érige la qualité et le développement durable en priorité. Al Omrane s’est doté depuis 2013 d’une charte sociale et environnementale et celle-ci a été traduite en plan pour être déclinée sur la gestion des relations avec les clients, des chantiers…
Cependant, la problématique des surcoûts est loin d’être insurmontable. «La généralisation des normes de qualité pourra induire des réductions de coûts par économie d’échelle», anticipe M. Kanouni. «La standardisation de la production, son industrialisation et son optimisation permettent de préserver l’équilibre financier des projets en dépit du relèvement des standards de qualité», renchérit M. Benzine.
Loin de considérer la qualité comme un passif à absorber, le ministre de l’habitat y voit un potentiel économique pour le Maroc. «Il faut comprendre aujourd’hui que l’acte durable de construction est un secteur économique en puissance et y investir est un pari gagnant», martèle le ministre.
[tabs][tab title = »L’information du consommateur, la grande oubliée ? »]Dans tous les chantiers ouverts pour promouvoir la qualité dans l’immobilier, l’information du consommateur ne serait-elle pas la grande oubliée ? Pour Mehdi Benzine, D.G. du pôle immobilier d’Akwa Group, l’accompagnement du citoyen sur les questions de qualité à travers les associations de protection du consommateur est une nécessité. «Les clients sont certes plus avertis qu’il y a quelques années, mais il s’agit toujours de les sensibiliser et de déployer un effort de vulgarisation à leur profit», observe M. Benzine. Surtout que la qualité est parfois invisible, insiste le professionnel. Il en est ainsi par exemple de toutes les canalisations à l’intérieur des murs dont on ne situe jamais le niveau de qualité à moins de chercher à se renseigner spécifiquement sur la question. Selon un sondage réalisé par «La Vie éco TV», le premier critère que les particuliers considèrent avant d’acquérir un bien c’est son emplacement et son environnement (équipements publics, espaces verts…). Les délais de livraison ne sont cités qu’en deuxième. On n’accorde finalement que peu d’importance à la qualité de finition et l’on se suffit de sanitaires de marque et d’un sol en marbre pour valider l’appellation haut standing. On reste effectivement bien loin de l’abondance d’indicateurs et de normes par lesquels les professionnels et la tutelle souhaitent encadrer le secteur.[/tab][/tabs]
[blockquote style= »2″]Badr Kanouni Président du directoire Al Omrane
Il faut garantir une adhésion totale des promoteurs aux standards de qualité, au risque de creuser les écarts de coûts entre opérateurs et de générer une concurrence déloyale.[/blockquote]
[blockquote style= »2″]Mehdi Benzine DG du Pôle immobilier Akwa Group
La standardisation de la production, son industrialisation et son optimisation permettent de préserver l’équilibre financier des projets en dépit du relèvement des standards de qualité.[/blockquote]
