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Le micro-crédit : Moins de prêts accordés, plus de volumes et encore plus d’impayés

Le montant des crédits accordés augmente face à une baisse du nombre de clients. Cela s’explique par l’augmentation de la part des TPE qui requièrent un financement important allant jusqu’à 150 000 DH.

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Après plus de deux années de ralentissement, le micro-crédit essaye de se ressaisir. Selon les dernières statistiques de la FNAM (Fédération nationale des associations du micro-crédit), l’encours a atteint 8,5 milliards de DH à fin septembre, en progression de 2,2% par rapport à la même période de 2021. D’ailleurs, il ressort en amélioration sur les dernières années, puisqu’à fin 2016, il était de 6,5 milliards de DH
Pour sa part, le montant des prêts débloqués a enregistré une hausse de 11,8% à 584 MDH. Dans l’absolu, il ne s’agit pas d’une reprise du secteur. Ce dernier n’a fait que récupérer un tant soit peu le niveau de son activité d’avant la période Covid. «Le secteur n’est même pas à 80% de son régime nominal habituel de 2019, en terme de production de nouveaux prêts», souligne Youssef Benchekroun, directeur général de l’Association Al Amana microfinance, qui rappelons-le, s’adjuge 40% de part de marché en termes de crédits distribués. Les agents économiques, surtout ceux visés par les associations de micro-crédit, soit la classe exclue du système bancaire essentiellement, ont durement été touchés tant par les effets de la crise sanitaire que par l’inflation. Dans cette configuration, les potentiels nouveaux clients préfèrent marquer le pas sur la demande des crédits, reportant leurs projets d’investissement. Les anciens, eux, choisissent de rembourser leurs créances plutôt que de prendre de nouveaux crédits. Des agents de terrain nous rapportent même que certains clients qui avaient soumis leur demande ont fini par la retirer, faute de visibilité quant à la situation économique globale et, de facto, de l’avenir de leurs projets.
Même les associations de micro-crédit ont imposé des conditions de financement plus serrées qu’auparavant, au vu de l’augmentation des impayés depuis 2020. Elles s’attardent davantage sur les conditions de vie du client, sa capacité de remboursement, la viabilité du projet… Il est des cas où elles ne renouvellent pas la ligne de financement d’anciens clients par crainte d’un retournement de situation.

Hausse en trompe l’œil
Ce montant de financement accordé n’est donc pas lié à une augmentation du nombre de clients global. Il est même en baisse, d’une année à l’autre, de 5% à près de 839 000. Une tendance remarquée depuis 2016 où le nombre de client dépassait les 922 000. Cette baisse donc s’est faite crescendo et elle n’est pas expliquée par le manque de succès de ce système de financement, mais plutôt par un changement de composition de la clientèle. En fait, explique M. Benchekroun, «le nombre de prêts individuels baisse, au détriment de celui lié aux TPE, surtout après le relèvement du plafond des crédits accordés à 150 000 DH en 2021, contre 50 000 DH auparavant». D’où la baisse du nombre de clients, corrélativement à la hausse du montant des prêts débloqués. En effet, le nombre de TPE créées s’est accru de 44% à 19 710 entreprises en une année glissante. Même les prêts solidaires ne sont plus aussi attractifs, puisqu’ils ont accumulé près de 186000 clients, soit une diminution de 13%.
Si les associations du micro-crédit peinent à retrouver leur niveau d’activité d’avant, le risque d’impayés est toujours aussi présent et se situe entre 10 et 12% pour tout le secteur. Auparavant, jusqu’à 20% du portefeuille des associations étaient affectés. Toujours est-il, le secteur met beaucoup plus de temps à récupérer les créances impayées. «Lorsqu’elle dépasse 90 jours, on a une chance sur cinq pour la récupérer et cela peut s’étaler sur les 6 années suivantes», explique M. Benchekroun. Il faut dire que la particularité du secteur réside dans l’absence de garanties liées au crédit si ce n’est le petit fonds de commerce d’un artisan, qu’il n’est pas judicieux de mettre en jeu, ou encore un client qui se porte garant d’un autre… «Il n’existe donc pas de garanties factices en cas d’impayés et actionner le volet judiciaire reste le tout dernier recours, encore moins en cette période», précise notre interlocuteur.

 

Loi 50-20 : Toujours en attente des décrets d’application

Compte tenu des conditions actuelles, le directeur général d’Al Amana estime que le secteur du micro-crédit s’en sort plutôt bien. Une fois que le contexte économique, dans son ensemble, se sera amélioré, le secteur devra reprendre son dynamisme d’auparavant, surtout qu’il s’agit d’un secteur de taille dans la stratégie nationale d’inclusion financière.
Cela reste toutefois conditionné par la poursuite du chantier de la transformation des associations de micro-crédit en établissement de crédit, à même de collecter des dépôts également et de commercialiser des produits de micro-assurance et même de proposer des prestations de conseil, de formation et d’accompagnement technique, au profit de leurs clients.
La loi 50-20 le permet actuellement certes, puisqu’elle a été adoptée, mais il reste un maillon important dans la chaîne liée au volet fiscal. En ce sens, les associations qui seraient transformées en établissements de crédit devraient être constituées conformément à la loi 103-12. Or, la fiscalité appliquée sur les banques par exemple, ne peut être appliquée également à ces associations. Il ne s’agit pas du même type de clients, ni de la même qualité de créances, encore moins de la même rentabilité.
Dans l’attente de la publication des décrets d’application sur une fiscalité propre aux institutions de la micro finance, les opérateurs essayent de sortir la tête de l’eau.