Au Royaume
Le dédain de l’ancien
Après coup de Mr Et-Tayeb Houdaifa.
Les locataires d’un immeuble du boulevard Hassan Sghir, à Casablanca, sont gagnés par la panique : leur propriétaire les met en demeure de déloger du lieu, qu’il a l’intention de raser. Ce fait n’aurait pas retenu notre attention si le bâtiment ne datait pas des années quarante, et partant, appartenait au patrimoine architectural casablancais. Mais, combien d’éblouissantes manifestations du savoir-faire ancien, en matière d’architecture, ont rendu l’âme, victimes de la furie bétonneuse ! Cette dilapidation insensée d’un legs précieux est un des traits de notre «exception culturelle». Ailleurs, l’ancien est préservé, entretenu, choyé, parce qu’il constitue un motif de fierté. A New York où l’héritage des années trente est fort présent, des magasins, des bistrots, des restaurants ou des pâtisseries, arborent la pancarte «Since 1930» afin de signaler que la continuité généalogique est assurée. Notre société multiséculaire, elle, délaisse l’ancien au profit du neuf. L’ancienne médina de Casablanca a été désertée par ses plus vieux habitants qui lui ont préféré des quartiers clinquants. A Fès, on a recensé quelque deux cents demeures abandonnées à leur sort par leurs propriétaires. Dans les campagnes reculées, des portes anciennes, d’une valeur inestimable, sont troquées, pour une bouchée de pain, contre des portes en fer vulgaire. Ce dédain de l’ancien se traduit aussi par notre refus d’être les légataires de nos aînés ou nos prédécesseurs. Les auteurs, artistes ou musiciens, ne sont plus, chez nous, un miroir pour leurs héritiers récalcitrants, mais un fardeau. Cela porte un nom honteux : ingratitude.