Au Royaume
Le «marathonman» qui a redressé la Comanav
Après des études à Sup de Co Reims, une première tentative de travailler au Maroc se solde par un échec.
Il fera ses premières armes chez Danone, puis représentera le
groupe Chaâbi en France.
Après 12 années en France, il rentre au Maroc : à son
actif la modernisation de l’ONP et la remise sur pied de la Comanav.

Toufiq Ibrahimi est un homme qui dégage un calme impressionnant. Un calme si olympien qu’il ne laisse pas – ou presque – soupçonner le bouillonnement intérieur et l’énergie qui l’animent. «Oui, je suis un bon encaisseur, mais le bon encaisseur est celui qui arrive à retourner la force des coups vers leur origine» : voilà une phrase qui résume bien cet homme dont la force semble venir d’un bon dosage de la réflexion et de l’action.
Contrairement à une idée qui a cours dans le pays et qui veut qu’on doit toujours être porté par sa famille ou par ses relations pour réussir, Toufiq Ibrahimi affirme devoir le succès de sa carrière à l’effort personnel. Il est né en 1958, à Rabat, dans une famille modeste. Le père, originaire de Haha, exploite un atelier de tailleur, et la maman est femme au foyer. Toufiq est le cadet d’une fratrie de neuf frères et sœurs. Enfant espiègle et joueur, il deviendra plus tard un élève studieux qui comprend très vite la nécessité de faire des études poussées.
Bien que disposant de moyens limités, son père les inscrit, son frère Saïd (actuel directeur de la Trésorerie générale du Royaume) et lui, dans une école de la mission française où ils feront leurs classes primaires. Mais pour des raisons financières, ils poursuivront leurs études secondaires au lycée militaire de Kénitra. Ce qui n’a finalement pas été une mauvaise chose car c’est là que le jeune Toufiq, 11 ans à peine, apprendra les vertus de la discipline et de la rigueur. Ce passage par le lycée militaire n’est pas non plus étranger au fait qu’il deviendra, plus tard, un mordu des marathons et des sports d’endurance.
Sa rencontre avec Mustapha Sahel a été déterminante pour sa carrière
Le jeune Toufiq aimait bien les maths, mais «modérément», jusqu’au jour où il arrive à Nancy pour ses prépas, après un Bac sciences éco obtenu en 1977. Il fallut alors cravacher pour se mettre à niveau. Admis à Sup de Co Reims, il y obtint son diplôme en 1981 et rentre dare-dare au bercail. Une surprise, une mauvaise surprise, l’y attend. Il veut passer son service civil à l’Iscae (Institut supérieur de commerce et d’administration des entreprises) et présente une demande, d’ailleurs acceptée par la direction de l’institut. Mal lui en prit car cela ne fut pas du goût du fonctionnaire qui traitait son dossier et qui lui demanda de rentrer chez lui et d’attendre la réponse de l’administration.
Au bout de huit mois d’attente, le jeune Toufiq remballe ses affaires et retourne à Reims pour y chercher du travail.
Ce n’était pas un mauvais choix. Bien au contraire. Il est recruté par BSN Gervais Danone – qui deviendra en 1994 Groupe Danone – où il se fait la main dans le commercial puis dans le marketing jusqu’au jour, huit années plus tard, où un certain Miloud Chaâbi lui fait la proposition de devenir son représentant pour la France et l’Europe. Toufiq Ibrahimi va alors se frotter à des dossiers de rachat d’entreprises et surtout de développement de stratégies en matière de distribution de produits textiles et agroalimentaires. Il gère bon an mal an un budget de 500 millions de FF (750 millions de DH), pendant ses quatre années au service du groupe. Finalement, il se décide à rentrer au Maroc. Nous sommes en 1993.
A 40 ans, il se décide à faire un MBA à Harvard
Son envie : travailler dans une structure d’investissement. Ce vœu est exaucé car il se retrouve à Asmaa Invest, une société d’investissement maroco-saoudienne. Là, il va faire la connaissance de Mostafa Sahel, actuel ambassadeur du Maroc aux Nations Unies, à New York, alors ministre des pêches, et qui va le proposer pour le poste de DG de l’Office national des pêches. Il assumera la direction de l’office entre 1994 et 2000. La tâche n’est pas de tout repos. Il doit redéfinir le rôle de l’office, le réorganiser, le doter d’un système d’information moderne et chercher l’adhésion des professionnels du secteur de la pêche pour mener son action de réaménagement stratégique. Puis, en 2000, une idée «saugrenue» lui vient à l’esprit: aller préparer un MBA aux Etats-Unis. Il veut se ressourcer, aller à la découverte des méthodes américaines et… rompre avec l’esprit de routine qui émousse l’esprit de créativité et d’entreprise.
Une année à Harvard et le voilà de retour. Quelques semaines à peine après son arrivée, on lui confie les destinées de la Comanav. Une patate chaude car l’entreprise était alors en très grande difficulté pour ne pas dire au bord de la faillite. Il doit convaincre l’Etat, les actionnaires, les clients, les fournisseurs et… le personnel que pour être délicate, la mission de redressement des comptes et de redéploiement n’en est pas pour autant impossible. «A l’époque, dit-il, on n’envisageait pas encore de la privatiser». Cinq ans après le début de la mission, la Comanav, sur laquelle on ne misait pas un sou, a été privatisée fin mars 2007 pour 2,25 milliards de DH. Dans l’intervalle, des décisions douloureuses ont été prises. Comment a-t-il fait passer la pilule ? «En déléguant et en misant sur les potentialités sur place. A chacune de mes missions, j’arrive seul sans personne dans mes valises, mais quelques idées, souvent en rupture avec les méthodes classiques.»
Quels sont les projets de Toufiq Ibrahimi ? Pour l’heure, ce féru de marathon se prépare pour «Iron man», un triathlon qui se déroule en Autriche. Et ce n’est pas une mince affaire car, même s’il n’y participe pas en pro, la compétition nécessite une bonne condition physique. Mais notre homme n’en est pas à son coup d’essai. A son actif, plusieurs marathons, en Europe, aux Etats-Unis et, bien sûr, le célèbre marathon des sables.
