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Lamia Bazir : «Les Marocaines sont capables de dépasser les pressions et les inhibitions culturelles»

Le combat est long et ardu. Le chemin à faire pour que la femme ait la place qui lui sied dans la société est encore long, raison pour laquelle le legs des aînées qui ont été en première ligne est un capital à protéger.

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Lamia Bazir, jeune diplômée de l’Université Al Akhawayne et de l’Université Columbia, est la nouvelle directrice exécutive de l’Observatoire national des droits de l’enfant. Organisme qui œuvre, à travers des chantiers structurants, en faveur de l’enfance au Maroc. Ce nouveau poste marque le repositionnement de cette jeune femme qui, à 28 ans seulement, a à son actif une riche expérience professionnelle et en particulier dans l’associatif.

Vous faites partie de la génération millenniale. Quel regard portez-vous sur vos aînées femmes ?
En effet, je suis une fille de cette jeune génération. J’ai eu l’opportunité de faire mes choix librement, de faire les études que je voulais, de faire le travail que je veux et de vivre là où je veux. Certes, ce sont des droits tout à fait basiques, mais ils sont le résultat des sacrifices d’une génération de femmes qui ont eu le courage de militer et se battre pour acquérir ces droits, que l’on peut appeler culturels et sociaux, à l’éducation, à la santé, à la liberté, au travail, à l’égalité. Nous en jouissons aujourd’hui et nous avons l’obligation de capitaliser ce legs qui existe grâce à l’avant-gardisme de nos aînées. Nous pouvons dire que leur militantisme a permis l’évolution de la condition féminine.

Vous reconnaissez donc les diverses avancées de la cause féminine. Mais, est-ce que toutes les femmes ont pu en bénéficier ?
On peut se réjouir en effet du chemin parcouru et de l’avancement réalisé. Il faut rester lucide et ne pas se replier sur soi-même et sur son intérêt personnel, et être plutôt consciente que les avantages et la chance que nous avons eus ne sont pas universels et ne sont pas accessibles à toutes les femmes. Il existe encore des jeunes filles et des femmes marocaines qui n’ont pas eu la chance de se réaliser car elles vivent dans une dépendance du lieu où elles vivent et des mentalités de leur entourage. Pour ces femmes et ces filles, je pense que nous devons militer dans la continuité de celles qui ont agi avant nous pour améliorer la condition féminine. En vue de permettre à ces filles, exclues ou marginalisées, de s’épanouir et de ne pas les priver de réaliser leurs projets de vie à cause du genre, du positionnement géographique ou des mentalités prédominantes au sein de la société marocaine.

Donc il faut poursuivre le travail de sensibilisation et de vulgarisation des diverses réformes…
Bien entendu, il faut poursuivre le travail commencé il y a des années par nos aînées. Mais la dimension juridique, à elle seule, ne suffit pas. Il faut souligner que la dimension économique est tout aussi importante. C’est pour cela que la refonte du modèle économique du Maroc s’impose. Les opportunités données aux femmes rurales dans le cadre des coopératives sont certes intéressantes dans la mesure où elles ouvrent la voie à une autonomie financière des femmes vulnérables dans le milieu rural. Mais ces coopératives doivent être liées aux grandes entreprises, à la chaîne de valeurs marocaine pour leur permettre de se structurer de devenir des TPE et des PME par la suite.

C’est dans cet objectif que vous avez créé votre association « Empowering Women in the Atlas», dans la région du Moyen-Atlas…
En effet, au cours de mon cursus à l’Université Al Akhawayne à Ifrane, et dans le cadre d’un travail de découverte des problématiques touchant les populations de la région, est né un projet avec les femmes rurales. J’ai rencontré huit femmes dans ce cadre et je me suis liée d’amitié avec elles. Ce qui a aboutit en 2013, à la création de la Fondation de la femme et de la fille rurales. Plusieurs initiatives sont alors mises en place, dont le programme “Empowering Women in Atlas” qui a permis à 100 femmes issues de villages du Moyen-Atlas d’avoir accès, comme les femmes urbaines, à l’entrepreneuriat. Grâce à ce projet, réalisé en partenariat avec l’Initiative de partenariat USA-Moyen-Orient (MEPI), la province d’Ifrane, l’INDH et l’Euromonitor Dubaï-Londres, ces femmes ont pu suivre, durant l’année 2016-2017, des cours à l’Université Al Akhawayne, sur l’entrepreneuriat (gestion de budget, investissement, marketing, etc.) et sur la protection de l’environnement car elles travaillent essentiellement avec les ressources naturelles. Un programme ambitieux, alors que 80% d’entre elles sont analphabètes. Mais ce n’était pas un obstacle car l’éducation, ce ne sont pas que des chiffres et des lettres, c’est avant tout une capacité. Je veux dire par là que ce n’est pas parce qu’elles ne savent ni lire, ni écrire, qu’elles n’arriveront pas, par exemple, à gérer un budget.

Quel message adressez-vous aux filles de votre génération ?
Je leur dis qu’elles doivent s’écouter elles-mêmes et qu’elles soient convaincues que leur bonheur ne peut être atteint et que leur existence n’aura de sens que si elles se réalisent elles-mêmes. Il est certes nécessaire que l’Etat et la société, de façon générale, mobilisent les moyens économiques, juridiques, culturels et normatifs pour que les filles aient l’opportunité de s’épanouir et de jouir de leurs droits les plus basiques, mais celles-ci doivent être convaincues de leur force et de leurs capacités. Je pense que les Marocaines sont capables de dépasser les pressions et les inhibitions culturelles sociales pour se découvrir et réaliser leur vie. Il faut qu’elles aient confiance en elles-mêmes, en leur potentiel, en leurs compétences et en leur valeur ajoutée pour être elles-mêmes et pour contribuer au développement de leur pays.

Et cela passe aussi essentiellement par une affirmation de soi-même dans la sphère privée…
En effet, elles doivent trouver un équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Il faut préserver la vie familiale. Il faut relativiser et c’est une véritable philosophie de la vie. Je pense que nous, jeunes filles, devons aujourd’hui vivre comme les femmes d’autrefois, mais autrement…