Au Royaume
L’ajustement de l’opulence
La situation financière relativement aisée dans laquelle se trouvait le Maroc s’est envolée en quelques mois à peine. Même si des marges existent, l’impasse n’est pas aussi improbable qu’on le pense
Que se passe-t-il quand une entreprise est financièrement à l’aise ? Elle laisse un peu filer le poste des dépenses, soit pour améliorer le confort de son fonctionnement, soit encore pour engager des investissements. Ce qui se passe avec les Finances publiques à l’heure actuelle ressemble un peu à cette situation, à la nuance près que l’Etat est parfois obligé de consentir des dépenses obligatoires et non productives, comme celles de la compensation.
Entre 2005 et 2008, la croissance annuelle moyenne du PIB s’est établie à 5,65%. Cette évolution de la richesse de 25,4% en cinq ans, accompagnée d’une hausse exceptionnelle de recettes fiscales déconnectée de la conjoncture économique, a tout naturellement poussé l’Etat à envisager l’avenir avec un peu trop d’optimisme. A l’automne 2008, alors que le monde basculait dans la crise, le Maroc s’inventait une «résilience», atout marketing brandi à tout bout de champ par la logorrhée officielle. En janvier 2008, il se payait le luxe d’un deuxième excédent budgétaire consécutif, après celui de 2007, et opérait une baisse de l’IR qui allait être rééditée en 2009. Au début de cette même année, il baissait d’un coup le prix du gasoil de deux dirhams, tablant sur une évolution raisonnable des cours du pétrole et des prévisions de recettes suffisantes pour faire face aux aléas.
Un an après, où en est-on ? Au titre de l’année 2009, la croissance hors agriculture n’a été que de 1,4%, les recettes fiscales n’ont progressé que de 4,6%, le taux d’investissement a perdu plus de deux points et le rapport importations/exportations s’est lourdement aggravé. A fin avril, les comptes se sont un peu plus dégradés (voir article en page 24), avec un déséquilibre budgétaire en forte hausse, des rentrées fiscales en chute de 5,6% et des dépenses qui ont crû de 13,4%. Le déficit budgétaire risque fort de dépasser les 4% prévus en fin d’exercice.
Conséquence de tout cela ? A court terme, l’endettement du Maroc étant encore soutenable, on peut voir venir, mais la préoccupation est dans le moyen terme. Avec des dépenses en hausse continue et des recettes alignées sur la conjoncture économique, donc à faible variation, l’Etat doit penser à un plan d’austérité et chercher par tous les moyens à faire réussir ses plans sectoriels tournés vers l’export pour pallier le manque de moyens, de liquidités et de devises étrangères. Entre l’opulence et l’ajustement forcé, imposé, il n’y a qu’un pas, celui de la déraison.