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Au Royaume

Justice zélée

En se prévalant de son pouvoir d’appréciation, la justice tombe dans le «deux poids, deux mesures».

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«La personne du Roi est inviolable et sacrée». Article 23 de la Constitution. Cette dispo- sition, contenue dans la loi suprême du Royaume, a servi de ligne rouge dans toutes les affaires où la justice a eu à trancher sur des déclarations, écrits ou autres blogs mettant en cause le monarque.

On pourra argumenter à loisir sur l’interprétation à faire de la disposition constitutionnelle en question. S’agit-il de la sacralité de la vie privée du Souverain, seulement, ou de celle englobant son action publique en tant que chef de l’Etat ? Le débat est complexe. Par exemple, il fut une époque où, pour une simple critique concernant un projet lancé par le Roi, on risquait de se retrouver au poste. Aujourd’hui -et il faut rappeler que c’est Mohammed VI qui a permis cette ouverture -, le démarrage laborieux d’un INDH ne fait plus partie de la sacralité. Les lignes rouges changent avec le temps. Mais la loi est la loi, à plus forte raison quand il s’agit de la Constitution, votée par référendum, exprimant donc la volonté de la nation.

Dans ce cadre, le texte publié par le jeune Mohamed Erraji tombe évidemment sous le coup de l’article en question. Sur le fond c’est un texte simpliste, d’une construction intellectuelle très fragile, bourré de clichés et souvent injuste envers le Roi à qui l’auteur impute des dysfonctionnements que connaît le Royaume depuis 30 ou 40 ans. L’auteur est virulent, mais il est loin d’être un rebelle ou un anti-monarchiste.

Mais laissons les opinions personnelles de côté. C’est plutôt dans le contexte que le bât blesse. Le prévenu a été présenté au procureur du Roi à 13 h, l’audience a été fixée immédiatement (ô miracle, ça existe ?) et, à 15 h, son affaire était pliée. Le minimum que représente la présence d’un avocat commis d’office a-t-il été assuré ? Autres questions : était-il à ce point urgent de faire passer en jugement l’auteur de l’article incriminé ? Y avait-il raison d’Etat, risque pour la stabilité du pays ou menace terroriste pour faire diligence ? Tentons une comparaison.

Pourquoi le jugement concernant un confrère pour le même motif, celui du manquement au respect dû au Roi, traîne-t-il depuis un an ? Pourquoi un autre confrère dont les écrits tombent sous le coup de la loi n’est-il pas inquiété ? Est-ce parce qu’il masque ses critiques en ayant recours à des termes comme «monarchie» et «pouvoir», au lieu de Roi ? La justice applique donc le «deux poids, deux mesures», en se prévalant de son pouvoir d’appréciation…

Et, en parlant de pouvoir d’appréciation, quand on sait que l’on a envoyé en prison un octogénaire qui avait déchiré le calendrier qu’on voulait lui vendre de force et qui s’est retrouvé en prison car l’almanach contenait une photo du Roi, on se demande si, s’agissant d’affaires où le Roi est mis en cause, la justice fait seulement montre de discernement ou veille à se respecter elle-même en ne foulant pas aux pieds les procédures.