Au Royaume
Humeur. Des robes noires aux grandes poches fiscales…
Alors que le gouvernement a écouté leurs doléances et révisé son projet initial de taxation des honoraires des professions libérales, les avocats continuent de prendre en otage le système judiciaire en agitant l’épouvantail de la grève. Décevant de la part d’hommes (et femmes) d’honneur censés donner l’exemple.
Les chiffres révélés récemment par le ministre délégué au Budget devant le Parlement sont effarants ! Devant la Commission des finances, de la planification et du développement économique au sein de la Chambre des Conseillers, Fouzi Lekjaâ a indiqué que sur les 16.000 avocats inscrits dans les barreaux du Royaume, seuls 8.837 sont inscrits à l’administration fiscale. Dans le lot, pas plus de 6.600 déclarent des revenus, dont 5.788 seulement s’acquittent de leurs impôts. Pis encore, 90% des avocats paient une dîme de moins de 10.000 dirhams par an. A croire que c’est une corporation à plaindre, dont il faut peut-être commencer à subventionner les frais de location de cabinet, prendre en charge les salaires de leurs secrétaires ou stagiaires, ou encore leur offrir le tissu pour tailler leurs robes noires, avec si possible de grandes poches pour continuer d’encaisser des montants mirobolants au “black”…
Pourtant, tous ceux qui ont eu affaire aux avocats, sur un dossier ou un autre, savent que les ténors du barreau brassent des montants mirobolants dans certaines affaires. Ils le méritent sans aucun doute… Que Dieu leur en rajoute encore et encore !
Alors cette corporation ne devrait surtout pas rechigner à payer ses impôts. Ces hommes de droit instruits et cultivés devraient être exemplaires et non pas se positionner en tant que mauvais contribuables. Ils sont les mieux placés pour comprendre ces notions que sont la justice sociale et l’équité fiscale, indispensables pour l’édification d’un Etat social…
Alors que là, cela fait cinq semaines que certains d’entre eux prennent en otage le système judiciaire dans sa globalité. A Casablanca par exemple, les récalcitrants parmi eux vont parfois jusqu’à bloquer l’accès aux tribunaux à leurs confrères qui essaient juste d’exercer leur métier, méprisant outrageusement le principe sacré de liberté de travail au sujet duquel ils sont capables de disserter pendant des heures.
Ils organisent des sit-in pour se plaindre des dispositions fiscales du Projet de loi de finances 2023, alors que celui-ci cherche essentiellement à mettre de l’ordre dans la fiscalité des honoraires qui laissent la porte grande ouverte à différentes formes d’évasion fiscales et qui ne concerne pas uniquement cette profession.
Dialogue & chantage
Les avocats avaient des doléances et le gouvernement les a écoutées et les a même pris en compte. Ouvert au dialogue, Aziz Akhannouch et son ministre délégué au Budget ont reçu les représentants de l’Association des barreaux du Maroc et ont même fait des concessions quant au projet initial. Un accord a même été trouvé pour réduire le montant des avances sur impôt de 300 à 100 dirhams par dossier. Il a même été décidé d’exonérer les nouveaux avocats du paiement de taxes pendant une durée de cinq ans ainsi que de placer les dossiers à caractère social et judiciaire hors champ d’application. Autre “cadeau” accordé : la révision du taux de prélèvement à la source à 10 % (au lieu de 15 %) pour les avocats exerçant à titre individuel et de 5% (contre 10% à la base) pour les personnes morales.
Peut-être qu’ils ont interprété cette approche de dialogue et de négociation comme une “faiblesse” du gouvernement. C’est mal connaître la détermination de l’Exécutif, aujourd’hui aux manettes, d’aller au bout des réformes promises.
A travers leurs actions de protestation, les avocats tentent d’obtenir plus d’avantages : ils veulent l’élimination pure et simple du principe de la retenue à la source qui est pourtant le principal mode de recouvrement d’impôt dans un pays où l’évasion fiscale demeure un sport national…
En quel nom cette profession libérale ou une autre serait privilégiée par rapport aux salariés du privé ou aux fonctionnaires de l’Etat, dont l’impôt sur le revenu prélevé par ce mode de stoppage à la source constitue le gros des recettes fiscales du Royaume ? Refuser de souscrire à l’effort collectif, en restant hors des radars du fisc, revient à saboter les chantiers sociaux primordiaux engagés, qu’il s’agisse de la réforme de la santé, de l’éducation ou encore aux dispositifs d’assistance aux plus vulnérables. Agiter l’épouvantail de la grève ou des sit-in est une approche de chantage indigne de la part de spécialistes du plaidoyer. Décevant venant d’hommes (et femmes) d’honneur…