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Des crédits immobiliers sur 40 ans pour relancer le logement social ?

Le ministère de l’habitat veut introduire cette formule de financement pour réduire le niveau de l’apport personnel et de la mensualité pour coller aux capacités des demandeurs actuels de logements sociaux.

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Nabil Benabdallah

Environ 1,3 million. C’est le nombre de logements sociaux que les promoteurs immobiliers ont aujourd’hui la possibilité de construire puisqu’ils ont signé des conventions dans ce sens avec le ministère de l’habitat. Mais le ministre Nabil Benabdellah en fait l’aveu à La Vie éco : «Toutes ces unités ne pourront pas être réalisées». Au plus, 500 000 logements ont été achevés ou sont en voie de l’être depuis 2010 et l’horizon semble bouché pour le reste. Cela pour la simple raison que l’offre actuelle a bien du mal à trouver preneur. Encore hésitant sur les raisons de cette situation il y a quelques mois, le ministère semble à présent mieux fixé. Selon M. Benabdellah, les ventes de logements à 250000 DH sur les dernières années ont permis de satisfaire la demande d’une population qui parvenait à se financer sans peine grâce à des crédits adossés à la garantie Fogarim. Mais, aujourd’hui, on a atteint «le fond du panier», pour reprendre l’expression du  ministre. Comprendre par là que les demandeurs qui subsistent disposent de moyens plus limités et ne peuvent pas supporter les conditions d’acquisition actuelles. Partant, l’idée du département de tutelle est d’étendre la durée des crédits accordés aux acquéreurs adossés à la garantie Fogarim, de 25 ans actuellement à 40 ans.

Le but de la manœuvre est de réduire l’apport personnel exigé des acquéreurs, qui s’établit actuellement autour de 50 000 DH, et surtout la mensualité qui serait ramenée de 1 200 DH en moyenne à 800 DH, selon les estimations du ministre. «C’est le seul moyen de permettre au gisement de demandes actuel, constitué pour l’essentiel de ménages ayant un revenu mensuel entre 1 000 et 1500 DH, d’accéder au logement à 250 000 DH», explicite M. Benabdellah.

Le ministre rappelle bien qu’il ne réinvente pas la roue à travers cette piste. Il y a un peu plus de 10 ans, les durées de crédit les plus courantes étaient de 15 ans et ce n’est que progressivement que l’on est arrivé à 25 ans pour rendre les financements de plus en plus accessibles aux acquéreurs, relate-t-il. D’ailleurs, dans le cadre de cet effort, des formules sur 40 ans ont été lancées en 2006, avant d’être retirées suite à un rappel à l’ordre de Bank Al-Maghrib. C’est que ce financement pose plusieurs défis dont le ministère a d’ailleurs bien conscience.

Le crédit à 40 ans risqué pour les banques

En effet, un crédit sur 40 ans appelle à bien peser les implications en cas de décès, le traitement de l’héritage…, surtout que les bénéficiaires du crédit adossé à la garantie Fogarim présentent une moyenne d’âge élevée : près du tiers a aujourd’hui 63 ans et plus.

M. Benabdellah réfléchit d’ores et déjà à toutes les garanties à donner aux banques. Une solution étudiée serait que les établissements gardent la propriété du bien financé.

Cela serait d’autant plus envisageable à travers la future formule de leasing immobilier halal, «Ijara Mountahiya Bil Iqtinaa». Le ministre place d’ailleurs beaucoup d’espoirs en ce produit et compte défendre l’idée de porter sa durée à 40 ans aussi. Pour passer au concret, le ministre veut monter prochainement un groupe de travail comprenant les banques, les promoteurs immobiliers et le ministère des finances pour plancher sérieusement sur la question. Mais les principales concernées que sont les banques seront très difficiles à convaincre, et c’est peu dire. Celles-ci ont vite exprimé des réticences lorsque l’idée d’un crédit sur 40 ans leur a été proposée en aparté par le ministère, lors d’une récente réunion. L’éventuelle garantie proposée, consistant à ce qu’elles gardent la propriété des biens financés, ne les rassure aucunement. «Cela appelle à mobiliser des moyens pour faire le suivi du parc de logements détenu, sans compter l’impact bilanciel d’un tel patrimoine. Que faire aussi lorsque de nombreux détenteurs de crédits seront en situation d’impayés et que le marché sera inondé de biens mis en vente par les banques ?», s’interroge en termes pratiques un professionnel. Au delà, les banquiers mettent en avant des obstacles structurels au crédit à 40 ans. «En l’état actuel des choses, les établissements collectent une épargne placée en majeure partie à court terme. Il leur sera donc très difficile de garantir un financement à taux fixe sur 40 ans, déjà que la tâche est ardue avec les durées de financement actuelles», analyse un directeur d’établissement. Les banquiers s’irritent par ailleurs du fait que l’on considère toujours la problématique du logement social exclusivement sous l’angle du financement. «Les promoteurs immobiliers peuvent aussi baisser leurs prix, leurs niveaux de marges leur permettent cela», s’emporte un professionnel, étant effectivement à rappeler que le prix de 250000 DH fixé pour le logement social n’est qu’un plafond. Mais les développeurs apportent une autre lecture de la situation. Ils voient l’idée du ministère d’un bon œil, comme l’on pourrait s’y attendre. Cependant, ils privilégient d’autres leviers pour relancer la demande du logement social. Selon eux, les acquéreurs se font aujourd’hui plus rares parce que les conditions de financement deviennent plus dures.

Quelques promoteurs réduisent le niveau des avances réclamées

Selon la Fédération nationale des promoteurs immobiliers, si, il y a quelques mois, les établissements montaient à des quotités de financement de 80% voire 85%, ils n’accordent aujourd’hui que 70% tout au plus. Ainsi, au lieu d’un apport de 40 000 DH, les clients doivent fournir jusqu’à 70 000 DH, voire plus. Les données des crédits adossés à la garantie Fogarim tendent à confirmer une hausse de l’exigence d’apport personnel. Alors que le financement moyen tournait autour de 167 100 DH en 2013, il est descendu à présent à environ 161 000 DH. De fait, les promoteurs réclament des quotités de financement plus généreuses de la part des banques, tout en se disant eux-mêmes prêts à réduire au minimum l’avance réclamée aux clients. Effectivement, en faisant le tour du marché, il est possible de tomber sur des opérateurs ne réclamant que 30 000 et même 20 000 DH d’avance. L’autre facteur qui complique l’accès au financement, selon les promoteurs, est la hausse de la TVA sur les intérêts des crédits aux logements sociaux. Entrée en vigueur ce début d’année, celle-ci a induit un surcoût de près de 75 DH par mensualité et de plus de
22 000 DH sur toute la durée du financement si l’on considère le crédit-type.

Une chose est sûre, avec autant de divergences entre les parties sur les véritables raisons du problème, les mesures de relance du logement social attendront encore.