Au Royaume
Coupables par avance
L’Etat demande à la presse d’être responsable et de s’auto-réguler. La presse, elle, demande à l’Etat de jouer un jeu plus clair. On ne salit pas la réputation du secteur juste parce que
des dérives existent.
Il y a entre l’Etat et la presse un malaise qui a pris des proportions jamais atteintes jusque-là. Au cours de ce mois de septembre, les interrogatoires se sont multipliés, des journalistes ont été convoqués pour de longues heures de questionnements qui n’en finissent pas et des séances qui se répètent, les réseaux sociaux sur internet font constamment état de personnes qui disparaissent subitement sans même que leur famille n’ait de nouvelles et l’on apprend deux jours après que les concernés étaient en interrogatoire. Pour boucler la boucle, dans ce qui semble être une démarche désormais habituelle, l’Etat s’est lancé dans le registre de l’indignation officielle, publiquement exprimée et générant l’impression que le secteur de la presse est à l’image d’une association de trouble-fêtes sans foi ni loi, uniquement attirés par l’appât du gain.
La presse n’est certes pas exempte de reproches, loin de là. Manquements à la déontologie, diffamation, informations à moitié recoupées, manipulations parfois, les dérapages existent. Le Maroc fait-il exception ? Bien entendu non. Dans un marché aussi fortement concurrentiel que celui de la presse écrite, les interprétations erronées et les fausses informations sont le propre des journaux de tous les pays et l’arsenal juridique destiné à sanctionner les contrevenants existe partout, avec des nuances liées au degré de liberté qu’a la presse dans chaque pays.
Ce qui diffère aujourd’hui ce n’est pas que les affaires de presse devant la justice soient nombreuses. Il est, incontestablement, du droit de chaque citoyen qui s’estime lésé de recourir aux tribunaux. Ce qui diffère aujourd’hui c’est que chaque affaire de presse prend des proportions publiques, appuyées en cela par les médias officiels de l’Etat. Des journalistes qui ont colporté une fausse information sur une personnalité importante ? On en ferait presque l’ouverture du journal télévisé. Un rassemblement contre la pénalisation du non-respect du jeûne en public ? Un média officiel y trouve le moyen de lier l’initiatrice de la manifestation à un confrère, juste parce qu’elle y a travaillé auparavant. La loi existe, mais que dire de la présomption d’innocence des mis en cause qui n’est pas respectée par l’Etat ?
L’Etat demande à la presse d’être responsable et de s’auto-réguler. La presse, elle, demande à l’Etat de jouer un jeu plus clair, conforme aux lois et d’être de bonne intention. On ne salit pas la réputation de la presse juste parce que des dérives existent. Seules la loi, correctement appliquée, et la sanction des lecteurs sont à même de nettoyer le secteur. En revanche, l’Etat, lui, a la capacité de changer de comportement, d’arrêter de dénigrer le métier.
