Au Royaume
Construction : L’écosystème peine à redémarrer
Les promoteurs attendent le cahier des charges du nouveau dispositif des logements conventionnés. Les matériaux de construction se stabilisent et le BTP cherche sa voie.

Le secteur immobilier broie du noir. Les indicateurs ne sont pas des plus reluisants, les promoteurs continuent de se plaindre et le gouvernement essaye tant bien que mal de remédier à cette situation. Comme on a pu le constater, le projet de Loi de finances 2023 (PLF) a introduit la notion d’aide directe aux acquéreurs, au lieu des exonérations fiscales dont bénéficiaient les promoteurs depuis la mise en place des programmes de logements conventionnés. Ce changement de paradigme vise les logements d’un prix de 300 000 DH pour la classe sociale et de 600 000 DH pour les logements destinés à la classe moyenne. A cette date, aucun autre détail ne filtre et les promoteurs semblent agacés par le manque de visibilité sur ce nouveau produit. Taoufik Kamil, président de la FNPI, en convient : «Nous ne sommes pas contre le nouveau dispositif mis en place. D’ailleurs, c’est la Fédération qui l’avait initié et même proposé au ministère de l’Habitat. Mais, tant qu’aucun cahier des charges n’a encore été fixé, nous ne pouvons pas y adhérer de fait». Ils réclament donc la détermination de la nature du logement, des équipements exigés et du foncier qui va avec, en vue de calculer leur coût de revient et leur marge bien entendu. En fait, le prix actuel proposé par le PLF est plus ou moins le même que celui de l’ancien dispositif. «Nous ne pouvons réaliser le même type de logements, avec la même qualité, les mêmes finitions et les mêmes prix, alors que les avantages fiscaux ont été supprimés», ajoute Anice Benjelloun, vice-président de la FNPI. Il surenchérit : «Le logement pour la classe moyenne a été lancé en 2013, au prix de 6 000 DH/m2, soit 7200 DH TTC. Il n’a pas connu le succès escompté auprès des promoteurs. Malgré cela, le gouvernement compte en lancer un autre en maintenant le même niveau de prix qu’auparavant !».
Ne serait-ce qu’au regard de l’envolée des prix du foncier et de l’augmentation des prix des matières premières, les promoteurs jugent compliquée la réalisation des logements conventionnés dans les mêmes conditions que le programme initial.
Stabilisation des prix des matériaux de construction
En effet, ces deux dernières années, les prix des matériaux de construction ont affiché une hausse remarquable, de plus du double pour certains, pour se stabiliser ces dernières semaines. La brique, par exemple, a atteint 2 DH contre 1,5 DH auparavant, pour revenir à 1,7 DH, le bois est passé d’une moyenne de 23 DH à 50 DH, puis revenir à 40 DH et le rond à béton de 6,2 DH à 15 DH, il est actuellement à 11 DH. Même le ciment a affiché deux hausses consécutives de 5% en cette année. En même temps, la consommation nationale de cette matière est toujours en recul. A fin octobre, elle a atteint un peu plus de 10 millions de tonnes, en baisse de 9,2% par rapport à la même période une année auparavant. «Depuis quelques semaines, les prix se sont stabilisés. Cela dit, beaucoup de tensions restent sur deux produits essentiels : l’aluminium et le verre», reconnait David Toledano, président de la Fédération marocaine de l’industrie des matériaux de construction (FMC). Ceci impacte les filières qui y sont liées, telles que l’industrie du béton. Amine Maachi, président de l’Association marocaine de l’industrie du béton (AMIB) estime de son côté le recul de l’activité du secteur de 5%, en raison notamment d’un certain attentisme constaté dans l’auto-construction et la petite promotion immobilière. «Étant donné la forte concurrence formelle et informelle, dans le secteur, une partie de ces augmentations n’a pas été répercutée, baissant ainsi la rentabilité déjà faible des industriels». En revanche, le chiffre d’affaires ressort en quasi-stagnation, à près de 6 MMDH, due principalement à l’inflation. Les professionnels de l’AMIB souhaitent adopter une approche progressive et exclure l’informel d’abord techniquement en imposant, comme le font la majeure partie des pays développés, la certification Norme marocaine (NM) dans les marchés publics. Ensuite, à travers la conclusion de partenariats afin d’encourager les industriels à innover et à se distinguer par rapport à cette concurrence déloyale.
Le marbre, lui, n’arrive toujours pas à décoller au vu des importantes importations que connaît le secteur. De même pour la céramique dont les prix ont affiché des hausses allant à 15%. «Ce contexte qui, rappelons-le, n’est pas propre au Maroc, est certes assez délicat. Mais il est important à signaler qu’aucune rupture d’approvisionnement n’est à déplorer au sein d’aucune des filières», assure Toledano.
Le BTP entre marasmeet espoir
Le BTP pâtit également d’un marasme qui dure depuis 2020, comme l’atteste la valeur ajoutée du secteur qui n’a augmenté que de 0,8% au 3e trimestre, contre 1,7% au deuxième. De plus, le secteur a perdu 38 000 postes entre le 3e trimestre 2021 et celui de 2022. D’un autre côté, le secteur a connu la création de près de 17 000 entités en 2020, 22 000 en 2021 et plus de 14 000 jusqu’en septembre 2022, avec 1 472 radiations et 1 690 en phase de dissolution. Pourtant, bien des chantiers d’infrastructures sont lancés ou en cours de réalisation, aussi bien dans les grandes villes qu’au niveau des routes, ports et barrages. Cependant, «d’après les remontées de terrain et en l’absence de chiffres officiels actualisés de la Fédération, les dégâts sont beaucoup plus importants et touchent plusieurs entreprises qui souffrent de comportements négatifs de certains maîtres d’ouvrages, que ce soit en matière de gestion des délais, de traitement des réclamations, d’applications de pénalités, de résiliation…», explique Mohammed Mahboub, président de la FNBTP. «Toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, font les frais de ces conditions. Soit elles ne peuvent pas poursuivre les projets en raison de l’absence d’un système équitable de révision des prix et d’un traitement juste des impacts de la hausse des coûts des matériaux, des problèmes d’approvisionnement des chantiers et de la multiplication des pénalités, soit elles essaient de survivre et d’achever les projets dont elles ont la charge avec l’espoir que les maîtres d’ouvrages et les pouvoirs publics interviennent pour limiter les dégâts», signale Mahboub.
La FNBTP table sur la concrétisation de plusieurs chantiers
Tout n’est pas forcément sombre dans l’écosystème de la construction. En dépit de toutes les difficultés, le président de la FNBTP estime que le prochain décret des marchés publics devra limiter la casse des prix, préjudiciable aux entreprises et à la qualité et la pérennité des projets. La fédération souhaite poursuivre la concrétisation du contrat programme et espère une poursuite de l’appui des pouvoirs publics face au secteur bancaire pour une plus grande prise en charge des besoins et des caractéristiques des entreprises du BTP.
A côté, certains grands chantiers restent ouverts tels que celui de la réforme du système de qualification des entreprises, notamment par la pleine implication dans la gouvernance du système, par la FNBTP. Par ailleurs, «un autre dossier stratégique, celui de la formation professionnelle, mérite qu’on y revienne dans un esprit de partenariat. De même que la gestion des centres de formation par les professionnels du secteur, à l’instar de ce qui est le cas pour l’automobile, le textile, les énergies, l’aéronautique», conclut Mahboub.
