Au Royaume
Autocensure
Gérer en bon père de famille. Voilà une expression très consacrée que connaissent parfaitement bien les professionnels du droit dans le monde entier, et particulièrement les juristes d’affaires.

L’expression renvoie, en fait, vers l’obligation d’intégrité et d’honnêteté faite à un gestionnaire d’entreprise ou à un mandataire social en guise de garantie pour la préservation des biens sociaux et des intérêts de l’organisation dont il a la charge. Exactement comme le ferait un père pour protéger sa petite famille.
Maintenant si le patron de l’organisation ou de l’entreprise se trouve être une femme, ce qui est de plus en plus courant, il est demandé à ces dames de se mettre dans la peau d’un père et non pas d’une mère. Une mère de famille serait-elle moins fiable, moins crédible, moins digne de confiance ? Visiblement, les théoriciens du droit n’ont pas encore pensé à plancher sur la question pour une éventuelle mise à jour. Mais au-delà de cet aspect anecdotique, le fait est que l’humanité tout entière, et pas seulement le Maroc, n’a pas encore totalement soldé les comptes avec les legs d’un passé pas tellement lointain dominé par le règne masculin et la société patriarcale.
La société marocaine ne fait pas l’exception. «La femme qui crée son entreprise est une femme qui fait peur». Ces propos, véridiques, ne sont pas d’un homme mais bel et bien ceux d’une femme…, la présidente de l’Association marocaine des femmes chefs d’entreprises, l’Afem. Ces propos veulent tout dire quant à l’image et le passif auxquels doit encore faire face la femme marocaine. Même si elle est nettement plus instruite, plus libérée, plus autonome, elle est encore loin de faire jeu égal avec l’homme. Face à un banquier, par exemple, une femme chef d’entreprise a beaucoup plus de mal à convaincre et à obtenir du financement qu’un homme. Et encore une fois, cela n’est pas le propre du Maroc. Dans les pays émergents, il a été démontré que les entreprises créées et dirigées par des femmes ont des besoins en financement de quelque 320 milliards de dollars qu’elles n’arrivent pas à emprunter auprès des banques traditionnelles.
Et pour ce qui est du Maroc, ces freins ne sont pas seulement le fait d’une gent masculine qui s’accroche à ses prérogatives historiques.
Loin de là. La preuve, la chef d’entreprise en chef, la présidente de l’Afem, qui parle en connaissance de cause, reconnaît que si la femme n’est pas encore parfaitement et pleinement présente dans le domaine des affaires c’est parce qu’elle se pose elle-même des limites. Finalement, pour une réelle émancipation, peut-être qu’il faudrait que ces dames commencent par se libérer elles-mêmes de l’auto-censure culturelle…
