Au Royaume
Abdelaziz Meziane Belfqih : histoire d’un homme d’Etat racontée par ceux qui l’ont côtoyé
Haut commis de l’Etat, il a été la cheville ouvrière d’importantes réformes et chantiers économiques et sociaux et était très respecté pour sa sagesse.
Homme de vision, il avait le sens de l’écoute et l’humilité nécessaires pour fédérer les gens.
Ministre, conseiller, président de commissions, il a eu une carrière très riche.
Nous sommes en 1969. Hassan Benbderrazik, jeune lycéen, visite avec sa classe le chantier du barrage Aït Adel, dans le sud du Maroc, à l’époque, le plus haut barrage en remblais du Royaume avec ses 100 m de hauteur et qui allait prendre par la suite le nom officiel de barrage Moulay Youssef. Les explications sont données aux jeunes élèves par un ingénieur du nom d’Abdelaziz Meziane Belfqih, représentant le ministère de l’équipement. «J’ai été subjugué par son implication. On dirait que le barrage était sa propriété. Il n’arrêtait pas de donner des détails, de parler de l’importance des barrages pour le Maroc, de mettre l’accent sur les enjeux de l’eau. C’était un passionné», raconte M. Benabderrazik dont la carrière allait croiser celle de Belfqih, 23 ans plus tard. Ce dernier était ministre de l’agriculture et le lycéen était devenu directeur d’Agro-concept, filiale du département. «Il était très exigeant vis-à-vis de ses collaborateurs, patient aussi, toujours prêt à expliquer, convaincre. Il finissait par vous transmettre ses convictions. Bizarrement, je ne l’ai jamais vu s’énerver. Je pense que le Maroc a perdu un homme de valeur».
Lundi 10 mai, Abdelaziz Meziane Belfqih rendait l’âme, à 66 ans, à l’hôpital Cheikh Zayd de Rabat, après avoir vainement lutté contre un cancer. Cet homme fut l’un des premiers grands ingénieurs du Maroc.
Un pur produit de l’Equipement, à l’origine
Diplômé de l’Ecole nationale des ponts et chaussées de Paris, de celui des sciences appliquées de Lyon, spécialiste en mécanique des solides et ajoutant à son arc une formation en gestion des projets, Abdelaziz Belfqih est un pur produit du ministère de l’équipement qu’il intègre en 1968 pour une carrière qui durera 26 ans sans discontinuité. Routes, barrages, ports, aéroports, il aura supervisé une bonne partie des infrastructures du Royaume, notamment dans le poste très stratégique de secrétaire général du ministère des travaux publics qu’il aura occupé pendant neuf ans, à partir de 1983. Ce n’est pas pour autant qu’il accèdera au plus haut poste au sein de son ministère de rattachement puisqu’en 1992, le défunt Hassan II le nomme au poste de ministre de l’agriculture. Ce qui n’est pas pour étonner Hassan Benabderrazik qui considère que Belfqih est avant tout un homme de dossiers qui avait le «don d’aller au fond des problèmes et de conceptualiser les solutions». On lui doit notamment, à ce poste, l’enclenchement de la réforme de Sodea et Sogeta qui coûtaient si cher au Budget de l’Etat. On retiendra également l’aboutissement d’un projet qui lui était cher : le Code de l’eau. «Il avait de la continuité dans les idées. Les enjeux posés par la gestion de l’eau étaient chez lui une préoccupation permanente depuis son passage à la direction de l’hydraulique au cours des années 70. Ce Code de l’eau c’était son dada», se rappelle Hassan Benabderrazik. L’eau ? Pas seulement, Abdelaziz Meziane Belfqih était un homme de vision.
Je l’ai rencontré en juin 2001, à l’occasion de la préparation d’une édition spéciale sur les deux premières années de règne du nouveau Souverain. A l’époque, il était conseiller du Roi Mohammed VI après avoir été celui de Hassan II.
Rêveur et pragmatique à la fois
Dans une conversation qui aura duré un peu plus d’une heure, il a refait le Maroc. «On se préoccupe de mobiliser l’eau, mais pas de lutter contre son gaspillage à l’usage. Le Maroc doit être interconnecté à l’Europe à travers un bon réseau d’infrastructures. Il faut se positionner en prestataire de l’Europe pour pouvoir tirer profit de l’accord d’association. Nous importons plus de 90% de nos besoins énergétiques, mais nos lampadaires restent allumés en journée, il faut consommer juste, réutiliser, recycler. Le Maroc est un pays aux ressources limitées, il doit apprendre à optimiser ses moyens, ne pas être excessivement dépendant»… Tous ces sujets qui sont aujourd’hui d’une actualité brûlante étaient évoqués avec près d’une décennie d’avance. Avec Belfqih on se surprend à rêver d’un Maroc meilleur.
«Rêveur, oui certainement, mais pragmatique. Je crois surtout que c’était un homme qui avait un amour profond pour son pays. Il voulait que les choses avancent», rectifie l’acteur associatif Noureddine Ayouche, membre de la Commission spéciale éducation formation que Belfqih a présidée en 1999. «Il avait réussi le tour de force d’obtenir l’unanimité autour de la réforme du système éducatif, alors que le groupe de 35 personnes que nous formions était très hétéroclite. Il était constamment à l’écoute et acceptait la différence. Il avait une idée très précise quand au but qu’il s’était fixé et il y arrivait par la conviction. J’ai connu un homme très sage, très humble aussi. Il aurait fait un excellent Premier ministre».
C’est sans doute pour ce sens de la vision et cette capacité à fédérer que le Roi Mohammed VI en aura fait l’un des plus importants architectes du développement économique et social du pays. Abdelaziz Meziane Belfqih est derrière le projet Tanger Med ou encore le projet Bouregreg. Il a présidé le groupe de 150 personnes qui a planché sur le rapport du cinquantenaire, ou encore le Conseil supérieur de l’enseignement, au sein duquel il a eu la franchise de reconnaître l’échec de la bonne mise en œuvre d’une charte de l’éducation qu’il a lui-même confectionnée.
Au-delà, Abdelaziz Meziane Belfqih aura certainement été l’un des personnages les plus influents de ces dernières années. Au point de faire et défaire des carrières de ministres et grands commis de l’Etat comme il se dit ? «Il est certainement derrière beaucoup de carrières, mais il ne propose pas si on ne lui demande pas son avis, il n’aime pas se mettre en avant. Souvent, il donnait des conseils à ceux qui avaient peur des revers de carrière», conclut M. Ayouche. Un grand homme s’en est allé.