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«Tout changement dans les rubriques doit être expliqué»
Entretien avec Bouchaib Serhani, DG du cabinet Gesper Services.

Nombreux sont ceux qui se contentent de regarder juste au bas de leur fiche de paie tous les mois pour s’assurer que le montant habituel y figure. Erreur ! Même si la paie est informatisée dans l’essentiel des entreprises, des erreurs ou oublis sont toujours possibles, compte tenu de la multiplicité des rubriques.Nous avons fait appel à Bouchaib Serhani, DG du cabinet Gesper Services, pour éclaircir certaines zones d’ombre liées à la fiche de paie.
Sur quel(s) élément(s) du bulletin de paie, le salarié devrait être regardant ?
Tout d’abord il faut espérer que le salarié lise systématiquement son bulletin de salaire. Malheureusement, ce qui est constaté est que le salarié part du principe que son salaire étant toujours le même, il ne voit pas d’utilité à le lire, et ce, tous les mois.
Pour ma part, je recommande vivement à tous les salariés d’exiger de recevoir leur bulletin de salaire, c’est un droit, et de le lire tous les mois même s’ils savent qu’il n’y aura aucun changement.
Ces bulletins doivent être archivés (absence de prescription) car ils peuvent en avoir besoin le jour où ils partiraient à la retraite et que la CNSS risque de leur opposer des déclarations de salaires qui ne refléteraient pas le nombre de jours exactement travaillés et donc les salaires déclarés.
Pour éviter cet impair, il est important que ces salariés lisent leurs bulletins et qu’ils le confrontent avec les déclarations faites par leur employeur auprès de la CNSS, et ce, à fréquence mensuelle ou au minimum annuelle.
Les éléments principaux à voir sur un bulletin (dans l’ordre).
Le nombre de jours travaillés. Le montant du salaire de base horaire y figurant. Le salaire net a-t-il changé ou pas ? Si oui, pourquoi ? Y a-t-il ou pas changement du salaire de base ? Si oui, pourquoi ? La prime d’ancienneté. Dès que le salarié aura bouclé 2 ou 5 ou 12 ou 20 ou 25 ans d’ancienneté, son taux de prime d’ancienneté doit changer.
Si ce n’est pas le cas en informer sa hiérarchie ou la direction ressources humaines si elle existe. Ce taux doit être de 5% (après 2 ans) 10% 15% 20% et 25%, sauf pour les cas où l’ancienneté est incluse dans le salaire servi, ce qui est rare, et se trouve dans le cas où le salaire se modifie par l’artifice ancienneté.
Les retenues sur salaire sont-elles toujours les mêmes, CNSS, AMO ou Assurance de groupe, Retraite privée si elle existe (exemple CIMR) et plus particulièrement l’IR (Impôt sur Revenu).
Tout changement doit avoir une explication qui malheureusement n’est pas systématique. Quand une retenue devient plus importante, le personnel doit en être informé et surtout si cet impact sera à la charge du salarié ou de l’employeur. De même pour l’Impôt sur le Revenu pour lequel aussi bien l’employeur comme l’employé n’ont pas de maîtrise, les managers concernés, particulièrement le DRH s’il existe, doivent en informer le personnel si dans une Loi de finances le barème change et quel sera son impact sur le net des salariés.
En 2010, lors de la suppression du taux marginal de 40% et remplacé par celui de 38% ajouté aux réductions sur les taux de 12% et 24% qui passe à 10 et 20 et malgré l’ajout d’une nouvelle tranche de 30%, le net à payer du personnel devait par principe s’améliorer, mais certaines entreprises ne l’ont pas entendu de la même façon que d’autres, puisque certaines d’entre-elles avaient réduit le salaire brut imposable pour rester toujours avec le même net, ce qui est à mon sens une injustice sociale, sauf si le contrat d’embauche était basé sur un salaire net, ce qui serait encore une autre aberration.
Techniquement, comment calcule-t-on la prime d’ancienneté (dans le cas d’un salaire composé d’un fixe et d’un variable) ?
Excellente question, car sur la place le calcul de la prime d’ancienneté se fait «à la tête du client».
Ainsi, nous rencontrons par exemple trois types de définition de la base de calcul de cette prime d’ancienneté :
a) Des entreprises où la base est constituée de tous les gains sans exception.
b) Des entreprises où la base ne comprend que le salaire de base.
c) Des entreprises où la base n’est constituée que par les gains habituellement perçus ainsi que les heures supplémentaires.
Les deux premiers cas sont non conformes car tous les gains qui ne sont pas perçus de façon habituelle et récurrente ne rentrent pas dans la base de calcul de la prime d’ancienneté, abstraction faite pour les heures supplémentaires qui rentrent dans la base de calcul malgré qu’elles ne soient pas versées de façon récurrente (Art. 353 du code du travail).
Le salaire variable est généralement conditionné par un certain niveau de performance et donc ne représente pas un versement systématique, ce qui l’exclut de la définition de la base de calcul de la prime d’ancienneté.
Dans le salaire variable nous trouvons généralement les primes de performance comme les commissions pour commerciaux, le bonus, la prime de fin d’année ou 13e mois et toute rémunération qui n’a pas de statut de récurrence.
Les employeurs auraient-ils tendance à «gonfler» des indemnités pour payer moins d’impôts ?
La plupart des indemnités sont dérisoires, à l’exception de l’indemnité de représentation qui est bien encadrée, puisque le bénéficiaire doit remplir certaines conditions pour être éligible au bénéfice de cette indemnité.
Les indemnités dont usent certains employeurs sans qu’elles soient traitées en conformité avec les règles sociales et/ou fiscales restent de leur responsabilité.
Est-ce légal ?
Utiliser des primes ou indemnités pour supporter moins de charges et donc moins d’impôt est légitime dans la mesure où les règles sont respectées.
Ainsi, par exemple une indemnité de transport est exonérée de retenues sociales et d’impôt si son montant ne dépasse pas 500 DH pour des déplacements vers l’entreprise se trouvant à l’intérieur de la ville et de 750 DH pour hors ville.
Quant à l’indemnité de représentant elle est allouée dans la limite de 10% du salaire de base (et non salaire brut) si le bénéficiaire occupe un poste de management et que sa fonction justifie cette allocation.
Ce que ne disent pas les textes mais qu’en cas de contrôle fiscal, le bénéficiaire peut se trouver en porte à faux s’il présente en fin de mois une note de frais pour remboursement d’une invitation d’un client ou prospect car par principe cette indemnité de représentation est donnée de façon forfaitaire (10% du salaire de base au maximum) pour faire face à ce type de dépense nécessitée par la fonction du bénéficiaire.
Quelles sont les répercussions sur les droits des salariés ?
Elles seront nulles si le salarié avait perçu le salaire qu’il avait sollicité à son embauche qui est généralement exprimé en net à payer, ce qui est une grosse anomalie car la majorité des salariés, pour ne pas dire la totalité des salariés, ne sait pas encore faire la différence entre le salaire net et le salaire brut. Tous les établissements scolaires publics et/ou privés ne leur enseignent pas la différence.
En conclusion, le choix par l’entreprise d’user des indemnités pour maîtriser ses coûts est légitime et ne présente pas un important impact sur les droits des salariés.
Le salarié dispose-t-il de leviers pour optimiser son revenu ?
Peu de levier pour ne pas dire aucun. Le seul cas qui mérite d’être suggéré est de souscrire à un prêt immobilier pour investir dans son logement et donc économie de loyer, tout en bénéficiant de la déductibilité du montant de l’effet bancaire dans la limite de 10% du net imposable annuel. Une autre suggestion est de souscrire à une retraite complémentaire à travers des caisses spécialisées ou une compagnie d’assurance. C’est ce que j’appellerai gérer le futur car une bonne pension permet au futur retraité de vivre décemment, compte tenu du peu de moyens dispensés par la CNSS qui verse une retraite basée sur le salaire de référence de cette caisse sans aucune indexation de ladite retraite ni sur le coût de vie ni sur le taux d’inflation, ni sur les éventuelles actualisations des salaires de référence..
D’anciens directeurs d’entreprises, qui avaient participé indirectement à renflouer les finances de la CNSS de par l’importance de leurs salaires à travers des cotisations patronales, touchent actuellement une pension mensuelle de 3 740DH sur laquelle ils doivent payer un impôt de 38% lors de leur déclaration annuelle, ce qui leur laisse un net de 2 318 DH pour un salaire d’actif de près de 50 à 100 000 DH.
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