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Scandales, chute des cours… 2008, annus horribilis pour la Bourse de Casa

Affaire CGI, ventes à  découvert, diffusion d’infos confidentielles…, plusieurs scandales ont marqué l’année 2008.
Pour la première fois une société cotée émet un avertissement sur ses résultats, des programmes de rachat sont bloqués et une introduction en Bourse annulée juste avant le début des souscriptions.
Des sanctions et des mesures pour éviter les dérapages à  l’avenir.

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Mai 2008, Le Caire accueille le Forum économique mondial. L’occasion pour plusieurs responsables marocains d’aller échanger leurs points de vue avec leurs homologues et vendre les mérites du Maroc. Parmi eux, Fathallah Berrada, alors président du directoire de la SBVC, parle de la Bourse de Casa et déclare pas peu fier : «La place casablancaise connaîtra cette année dix nouvelles introductions». Sept mois plus tard, l’année boursière touche à sa fin. M. Berrada, limogé ainsi que toute l’équipe dirigeante de la Bourse, n’est plus en position de justifier un nombre de nouvelles cotations moitié moindres que ses prévisions. Sur toute l’année, on n’en sera pas à cette suprise près : loupés, rattrapages, scandales et enseignements…, 2008 aura eu son lot de faits marquants, certains à la gravité sans précédent.

L’année démarre avec des rebondissements dans l’affaire GSI Maroc
Si vers sa fin, 2008 s’est illustrée par des irrégularités boursières jusque-là inédites pour le marché marocain, son entame non plus n’y a pas réchappé. Ainsi, on apprenait dès le mois de février que l’affaire GSI avait été portée en justice par le CDVM (Conseil déontologique des valeurs mobilières). Pour rappel, ce dossier mettait aux prises le patron de GSI et son expert-comptable qui s’accusaient mutuellement d’avoir falsifié la note d’information présentée lors de l’introduction en Bourse de la société en 2007. Cette dernière opération avait, rappelons-le, été annulée in extremis, faisant place à une multitude d’imprécations qui n’ont toujours pas été démêlées, puisque la justice n’a pas encore livré son verdict.
Le marché en était encore à digérer le dossier GSI qu’une autre affaire, encore plus retentissante, était dévoilée. L’autorité de marché, encore elle, sur la base d’une accusation prouvée de non-respect des procédures de collecte des fonds auprès de clients institutionnels étrangers lors de l’introduction en Bourse de la CGI (en juillet 2007), adressait un blâme à Safa Bourse et un avertissement à Attijari Intermédiation et BMCE Capital Bourse.
Même motif d’accusation mais traitement spécial pour Upline Securities qui écopait d’une amende de 10 MDH et du retrait de son agrément de dépositaire de titres.
Toutefois, pour alarmants qu’ils soient, ces deux événements du début d’année n’auront pas eu raison de l’optimisme des investisseurs. Tant et si bien que le premier trimestre de l’année sera bouclé très nettement dans le vert avec une hausse approchant les 15,7%.
Cela dit, cette performance présageait déjà d’un essoufflement : sur ses 3 premiers mois, 2007 avait connu une croissance de 21,3%, 2006 avait, quant à elle, crevé le plafond à 32,6%.

Le nouveau système de cotation, un coup de frein à l’évolution des cours

Mais la baisse n’était pas prévue pour tout de suite et le marché avait encore en théorie de beaux jours devant lui. C’est à ce moment là qu’intervient une mesure qui, on le sait aujourd’hui, aura grandement impacté la place casablancaise. Il s’agit de la mise en place du nouveau système de cotation. Sur le papier, le projet avait tout pour plaire. Anonymat des transactions et suppression du principe de compensation des ordres pour plus d’équité et de transparence, augmentation de la capacité de traitement des ordres pour éviter les blocages… La nouvelle plateforme de cotation avait indubitablement pour objectif d’améliorer les choses. C’est en fait tout le contraire qui se produira… D’abord, dès l’activation de la nouvelle plateforme, puis au-delà, les exigences du nouveau système iront jusqu’à faire tomber des têtes parmi le top management de la Bourse…
S’agissant des conséquences immédiates de l’implémentation du nouveau système de cotation, c’est un coup de frein à la croissance boursière qui sera constaté dès le mois d’avril. Situation explicable par l’attentisme des investisseurs. Chaque catégorie avait néanmoins ses raisons. «Les institutionnels avaient besoin d’un temps d’adaptation», décrypte Kamal Bennani, directeur commercial de la société de gestion Orange Asset Management. Quant aux particuliers, l’anonymat des transactions ne leur permettant plus de connaître les prises de position des institutionnels, ils se maintenaient dans l’expectative.

Les nouvelles cotations n’ont pas brillé par leurs niveaux de valorisation

Au-delà d’avril, les investisseurs commencent à sortir de leur réserve. Parallèlement, la salve des introductions en Bourse a été lancée. Delattre Levivier, Delta Holding, CMT prolongent le rituel des sursouscriptions. Mais mis à part cette dernière introduction, les hypothèses d’évolution présentées dans les différents plans d’affaires ne brillaient pas par leur conservatisme, ce qui faisait passer les titres introduits pour chers aux yeux de bon nombre d’investisseurs et d’analystes. C’est en partie ce qui justifiera l’agitation autour de l’introduction en Bourse de Label’Vie. Il faut dire aussi que cette opération a ravivé des tensions entre la chaîne de grande distribution et une banque de la place accusée d’avoir voulu saboter l’offre publique de vente. En tout cas, Label’Vie, à qui Alliances emboitera le pas, aura su s’y prendre à temps. Tel n’a pas été le cas de SGTM et de Chaabi Lil Iskane, pour ne citer qu’eux, qui pour des conditions de marché défavorables n’ont même pas lancé leurs opérations, ou même de Trarem qui, bien qu’avancée dans son processus d’introduction vers la fin de l’année, aura choisi de faire machine arrière.
Pour en revenir à notre parcours boursier annuel, signe avant coureur d’une tendance baissière, toutes les valeurs nouvellement introduites évoluent mollement. En réaction, dès juillet, une mesure est adoptée pour détendre la pression sur la valorisation du marché. Il s’agit de la possibilité pour les sociétés cotées en Bourse de réduire la valeur nominale de leurs actions à 10 DH, tel qu’introduite par la loi 20-05 sur les sociétés anonymes. Une mesure pensée, à la base, pour améliorer la liquidité du marché par fractionnement des titres. Sept sociétés s’y mettent en relativement peu de temps, mais pourtant, l’effet bénéfique sur les cours ne se produit pas. «C’est qu’on sentait la baisse venir», recadre M. Bennani.
A partir d’août, les choses s’accélèrent. A la même date, l’indice de toutes les valeurs, Masi, commence à piquer du nez. L’impensable se produit en septembre. Entre le 3 et le 16 du mois, la Bourse annule tous les gains qu’elle a cumulés depuis le début de l’année.

Addoha adresse le premier «proft warning» de toute l’histoire de la Bourse
Le marché s’installe dans le doute. La baisse commence à s’auto-alimenter et la panique se généralise sur fond de contamination psychologique par la crise financière internationale. Dans ce contexte, l’annonce de résultats semestriels particulièrement bons aurait constitué un appel d’air pour le marché. Mais le salut ne viendra pas par là. «Les résultats semestriels 2008 dans l’ensemble ont été normaux», tempère un analyste, «sans compter qu’il n’y a quasiment pas eu de bonnes surprises». Par contre, il y a bien eu des déceptions, à l’image de l’avertissement sur résultat (profit warning) d’Addoha, premier du genre sur la place casablancaise.
Mais cela ne justifiait pas entièrement la morosité ambiante et quelque chose semblait maintenir obstinément le marché dans sa déprime. Des rumeurs commencent à circuler. Le quotidien Le Matin du Sahara sera le premier à jeter le pavé dans la mare. Il attribue à la société de Bourse CFG la pratique illégale de ventes à découvert. La société consteste l’accusation, mais le marché s’interroge. A peine cette piste commence-t-elle à faire l’objet d’investigations qu’un autre bruit se répand. Celui d’un vraisemblable délit d’initié à grande échelle. Il s’avérera après investigations du CDVM que des informations confidentielles sur les ordres de Bourse étaient diffusées depuis plusieurs mois en raison d’un défaut dans le nouveau système de cotation. Le directoire de la Bourse n’y survivra pas. L’autorité de marché, pour sa part, annonce avoir cerné toutes les irrégularités.

La baisse des cours a mis la lumière sur la problématique des programmes de rachat
Mais cela ne rétablira pas la hausse pour autant. Rien ne semblait suffisant pour redonner des couleurs au marché. Aussi, les sociétés cotées choisiront-elles de plus en plus de s’aider elles-mêmes, en recourant massivement aux programmes de rachat. Problème, dégringolade généralisée des cours oblige, elles étaient nombreuses à être bloquées dans leur pouvoir d’intervention, en raison des cours minimaux d’achat prévue dans leurs programmes, chose qui, signalons-le, ne s’était encore jamais produite par le passé.
C’est dire si la mesure dérogatoire de Salaheddine Mezouar, ministre de l’économie et des finances, pour assouplir les programmes de rachat, tombe à point nommé. Elle justifiera d’ailleurs en grande partie la reprise du marché sur les dernières semaines de 2008. Cette réforme est par ailleurs intégrée à un package de mesures «chirurgicales» destinées à s’attaquer à des problèmes éprouvés sur le marché boursier, dont notamment le rétablissement de l’incitation fiscale à l’épargne longue.

Rétablir la confiance des investisseurs risque d’être une affaire difficile
Nombreux sont les opérateurs à penser que tous ces événements, s’ils sont inédits pour la place casablancaise, font partie du cycle de vie normal d’un marché boursier. Et si irrégularités il y a, «elles prouvent simplement aujourd’hui que le marché a des besoins nouveaux, notamment en compartiments à terme, de taux et en possibilités de couverture», justifie l’un d’entre eux. Mais pour l’heure, la priorité est de redonner confiance aux investisseurs institutionnels. «Aux petits porteurs aussi», martèle un analyste. «Quand on sait qu’il a fallu 4 ans pour réorienter les particuliers vers la Bourse après les scandales de 1998, à l’époque peu médiatisés, qu’est-ce que ce sera maintenant ?», s’inquiète-t-il.