SUIVEZ-NOUS

Argent

Sanlam Maroc sort du podium des assureurs

Cinq ans après la prise de contrôle de Saham Assurances, la compagnie sud-africaine peine à s’imposer sur le marché marocain, pour des raisons de business mais aussi politiques.

Publié le

Le 8 mars 2018, les groupes Saham et Sanlam, déjà partenaires dans les métiers des assurances en Afrique depuis 2016, annonçaient la conclusion d’un accord pour la prise de contrôle par la compagnie sud-africaine du pôle assurance du groupe marocain, et ce, pour la modique somme de 1,1 milliard de dollars.
C’est peu dire que ce deal, qui a été finalisé en octobre de la même année, après avoir reçu le feu vert des régulateurs, a fait grand bruit à l’époque, du fait de la taille de l’opération et des personnalités impliquées, à savoir Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie et fondateur de Saham Group à l’époque, et Patrice Motsepe, milliardaire sud-africain actionnaire de Sanlam, actuel président de la Confédération africaine de football. Le fait que la transaction, considérée comme l’une des plus importantes du continent entre deux entités leaders du secteur des assurances sur le continent, implique le Maroc et l’Afrique du Sud, deux pays dont les relations diplomatiques sont loin d’être au beau fixe, étant donné le soutien de Pretoria aux séparatistes du Polisario, a également fait couler (et fait encore couler) beaucoup d’encre.
D’un point de vue économique, l’acquisition de Saham Assurance par Sanlam avait du sens pour l’assureur sud-africain, dans la mesure où les deux groupes étaient complémentaires, promettant de belles synergies : le premier est historiquement un acteur majeur dans la branche non-vie avec une présence importante sur les marchés de l’Afrique francophone, tandis que le second est leader dans la branche vie, avec une présence marquée dans les pays anglophones. Sur le papier, c’est le deal parfait… Mais dans la réalité, les choses se sont avérées plus compliquées.

La branche Vie à la traîne
Cinq ans, presque jour pour jour, après l’annonce de la cession, le management de Saham Assurance, qui est devenu Sanlam Maroc en juillet dernier, a présenté ses résultats annuels de l’exercice 2022. L’occasion d’évaluer le chemin parcouru par la compagnie depuis son changement de propriétaire. Et on peut dire qu’en résumé, Sanlam Maroc fait… du Saham Assurance : la branche non-vie consolide ses positions, tandis que les activités Vie font du surplace, voire régressent. Si les primes totales émises ont gagné plus de 1 milliard de dirhams entre décembre 2017 et décembre 2022, la compagnie sort toutefois du podium des assureurs leaders du Royaume, passant de la 3e position (à fin 2017, avec une part de marché de 12,4%) à la 5e place à fin juin 2022 (moins de 11,5%, selon les dernières données disponibles auprès de l’Acaps).
Sur la branche non-vie (automobile, santé, entreprises, etc.), Sanlam Maroc est parvenu à maintenir le leadership historique de Saham Assurance dans le marché marocain, avec un chiffre d’affaires de 5 MMDH en 2022, contre 3,82 MMDH en 2017, et une part de marché de 17,4% (fin juin 2022). L’assurance auto demeure plus que jamais la vache à lait de la compagnie, avec une part de 53% des primes du non-vie émises en 2022. Sanlam Maroc peut s’appuyer sur une force de frappe commerciale de premier plan (le plus grand réseau d’agents du pays) héritée de l’ancienne entité. Ce réseau est passé de 442 points de vente en 2017 à plus de 500 en 2022.
Dans la branche Vie, les résultats peuvent jusqu’ici être qualifiés de décevants. Les primes émises sont passées de 1,02 MMDH en 2017 à 932 MDH en 2022, avec une part de marché qui est passée de 6% en 2017 à 5% en 2022. Il faut dire que n’étant pas adossée à une banque contrairement à ses principaux concurrents, Saham Assurance n’a jamais été un acteur majeur de cette branche. Raison pour laquelle, en décembre 2015, Saham Assurance et Crédit du Maroc signaient un partenariat exclusif dans la bancassurance, pour une période de 10 ans. Ce partenariat court toujours comme l’ont souligné en conférence de presse, Ali Benkirane, président du directoire de CDM, puis Yahya Chraïbi, DG de Sanlam Maroc. «Ce partenariat n’est pas remis en question», a ajouté le top management de CDM, même si la banque est passée, rappelons-le, dans le giron du groupe Holmarcom et de sa filiale assurance AtlantaSanad. Ce changement dans l’actionnariat de CDM et les synergies avec AtlantaSanad qui vont en découler sont de nature à changer la donne pour l’assureur sud-africain, qui devra faire preuve d’inventivité pour, au moins, maintenir sa position. «C’est une niche en développement», assure-t-on chez Sanlam Maroc, qui mise sur l’innovation, à travers notamment la souscription en ligne et le déploiement d’un dispositif de démarcheurs comme alternative à la bancassurance. Par ailleurs, la compagnie assure ne pas vouloir faire la course aux parts de marché. «Nous cherchons de la croissance profitable et non de la croissance incontrôlée qui risquerait d’impacter nos résultats techniques», a fait savoir Yahya Chraïbi.

Quand la politique s’en mêle
Si l’intégration de Saham Assurance met du temps à porter ses fruits d’un point de vue business, un autre aspect, non moins important, pèse sur l’activité de l’assureur au Maroc : la question géopolitique. Celle-ci revient régulièrement au-devant de la scène. Le premier à mettre publiquement les pieds dans le plat n’est autre que Othman Benjelloun, qui a exprimé, dès janvier 2019, sa désapprobation de ce deal impliquant un pays connu pour son hostilité à l’intégrité territoriale du Maroc. «Les Marocains n’ont pas apprécié que ses actions soient cédées à un Sud-africain. C’est certainement le pays, parmi les 54 États africains, qui soit le plus associé aux actions du polisario», avait-il déclaré lors d’une conférence de presse. «Les partis changent, les chefs d’État changent, les opinions changent. L’Afrique du Sud reconnaîtra (un jour) la souveraineté du Maroc sur son Sahara. A ce moment-là, on applaudira. D’ici là, ils n’ont pas notre concours», avait-il ajouté. Une phrase lourde de sens, qui explique beaucoup de choses.
Plus récemment, en octobre 2022, c’est le chef de la diplomatie marocaine en personne, Nasser Bourita, qui est monté au créneau, après la réception accordée au chef du polisario à Pretoria. Même s’il n’a pas cité Sanlam Maroc, Nasser Bourita l’a clairement visé : «Une entreprise sud-africaine ne peut gagner de l’argent au Maroc et rester spectatrice de ce que fait son gouvernement». Une saillie qui s’inscrit dans la droite ligne du discours royal du 20 août 2022, dans lequel le Souverain avait affirmé que «le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international».
L’embarras de Sanlam est perceptible à la lecture du communiqué diffusé par le groupe sur son portail sud-africain, en réaction à l’accueil réservé par le président Cyril Ramaphosa à Brahim Ghali. «Le Maroc est la principale plaque tournante de nos opérations panafricaines d’assurance générale. Notre filiale reste l’une des sociétés phares de notre portefeuille (…). Sanlam est au courant de la visite en Afrique du Sud du front polisario, mais adopte une position politiquement neutre et ne commentera pas les affaires politiques des pays où nous opérons». On appelle cela «ménager la chèvre et le chou»… Pas sûr que cette position reste tenable bien longtemps.