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Saisie de biens par les banques : comment marche le système
A partir du 5e impayé, l’établissement de crédit désigne un avocat pour entamer une procédure judiciaire. A tout moment, un arrangement à l’amiable peut être conclu entre le débiteur et son créancier.

On a tendance à croire que les emprunteurs sont de plus en plus solvables vu l’amélioration du taux des créances en souffrance affiché ces dernières années par les établissements de crédit, surtout en ce qui concerne la clientèle des particuliers. Sauf que les tribunaux ne désemplissent toujours pas et des centaines de dossiers d’impayés bancaires sont traités chaque année, qu’il s’agisse de crédits à l’habitat ou à la consommation (crédit automobile surtout). Car une personne ayant contracté un crédit peut facilement, en raison d’un retournement de situation (licenciement, faillite…), être dans l’incapacité de rembourser son crédit.
Lorsque les impayés s’accumulent, une procédure est entamée par l’établissement de crédit afin d’obliger le débiteur de rembourser sa créance. Elle va d’un règlement à l’amiable entre les deux parties jusqu’à la vente forcée par adjudication. En effet, même si l’affaire est portée devant la justice, conformément au Code des procédures civiles, l’établissement de crédit peut à tout moment proposer au client un rééchelonnement de sa dette. Ce dernier a aussi le droit de négocier avec son créancier d’autres modalités de paiement. Mais il arrive que les deux parties ne soient pas d’accord et le dossier peut aboutir à une saisie du bien objet du crédit. D’où la nécessité de bien connaître la procédure en cas d’impayés, afin d’éviter les éventuels abus de la part des organismes prêteurs.
Tout d’abord, à partir de la première échéance impayée, l’établissement de crédit adresse une notification au débiteur pour lui demander de se présenter et régler sa traite. Au bout du 3e impayé, l’établissement de crédit, ou plus précisément la direction de recouvrement des créances, relance le client à travers une lettre de mise en demeure. Après l’écoulement de cinq mois, le dossier du client en question est transféré à un avocat désigné par la société de financement ou la banque. Ce dernier informe à son tour l’emprunteur que son dossier est classé en contentieux et le prévient qu’en cas de non-règlement, il sera transféré au tribunal.
Les établissements de crédit réclament 115% du montant restant à rembourser
Une fois que le client reçoit toutes ces notifications et se déclare dans l’incapacité de régler ses échéances, l’avocat entame la procédure judiciaire au niveau du tribunal de première instance en réclamant non seulement les impayés au titre des derniers mois, mais également tout le montant restant à rembourser ainsi que les intérêts de retard et les frais de justice. Dans la pratique, le créancier exige généralement un remboursement à hauteur de 115% du montant de la créance restant à payer.
Par la suite, le juge prononce sous condition de présentation de preuves de non-remboursement des créances dues à la société de crédit, une saisie conservatoire sur le bien en question. Il s’agit d’une procédure selon laquelle le débiteur a le droit de jouir entièrement de son bien, de l’utiliser, d’y apporter les transformations qu’il juge nécessaire…, mais pas de le vendre pendant cette période, encore moins de le mettre en location sans l’accord préalable du tribunal.
Par ailleurs, pendant cette période, le juge engage un huissier de justice pour veiller au bon déroulement de la procédure. Celui-ci mandate un expert afin d’estimer la valeur du bien et de fixer une mise à prix (prix à partir duquel commencent les enchères) en vue de le mettre en vente forcée.
Une fois la valeur fixée, le juge prononce une «ordonnance de récupération du bien» par l’établissement de crédit et c’est le huissier de justice qui se charge de l’exécution de la décision judiciaire. Il fixe ainsi la date de la vente aux enchères, la mise à prix (valeur du bien fixée par l’expert) ainsi que le lieu où se produira la vente. D’ailleurs, l’ensemble des renseignements relatifs aux caractéristiques du bien doit absolument être publié dans un journal d’annonces légales, affiché au tribunal et auprès de l’autorité administrative locale pour assurer une transparence de la transaction.
Cela dit, il est des fois où l’établissement de crédit n’arrive pas à joindre son client débiteur. Dans ce cas, la procédure de recouvrement judiciaire est quand même entamée et le tribunal, en collaboration avec le ministère public, mandate un agent afin de localiser le défendeur. Si le débiteur est toujours injoignable, le jugement est rendu par défaut et il est considéré que c’est l’Etat qui a reçu l’ensemble des notifications et mises en demeure à la place du client.
On peut contester le prix de mise en vente en faisant appel à un expert
Notons que «le client peut trouver un arrangement à l’amiable avec son créancier à n’importe quel moment du déroulement de la procédure judiciaire, du moment que le jugement final n’a pas été prononcé et que la vente forcée n’a pas eu lieu», précise Me Younes Anibar, avocat au barreau de Casablanca. «Il est même des fois où la vente aux enchères est annulée le jour même de sa tenue parce qu’un terrain d’entente a été trouvé entre les deux parties», ajoute Me Fadel Boucetta, avocat au même barreau.
Le jour de la mise en vente du bien en question, toute personne intéressée peut y participer, y compris l’établissement de crédit ou le client débiteur lui-même. Il est conseillé d’ailleurs que ce dernier fasse appel à ses proches intéressés pour participer à la vente aux enchères, dans le but notamment de continuer de jouir du bien ou de le récupérer quand sa situation financière se sera améliorée. Par ailleurs, le propriétaire saisi a le droit de contester le prix fixé pour la revente de son bien, à condition d’apporter des preuves tangibles (à travers un expert désigné par lui-même généralement) que le bien vaut bien plus sur le marché par rapport à la mise à prix déterminée par l’expert. Dès lors, une deuxième expertise est ordonnée par le juge et une autre date de vente aux enchères est fixée. A ce titre, il faut signaler qu’il existe des abus tant de la part des établissements de crédit que des huissiers de justice qui ne manquent pas de procéder à des ventes «en dessous de la table» pour leur propre compte ou pour celui de leur proche.
Un délai de 10 jours est accordé pour surenchérir sur le prix de l’adjudication
De toute façon, bon nombre de personnes profitent de l’organisation de ces ventes afin de réaliser de bonnes affaires, parce que, signalons-le, le bien est cédé à l’un des enchérisseurs à un prix qui est généralement inférieur à sa valeur vénale, d’où l’opportunité à saisir en la matière (voir encadré).
Par rapport aux conditions du déroulement de la vente aux enchères, les textes réglementaires ne précisent pas de nombre minimum d’enchérisseurs devant être présents pour conclure la vente. Celle-ci peut être adjugée même en la présence d’un seul enchérisseur. Dès le démarrage de l’adjudication, ce dernier considère que le bien mis en vente lui appartient automatiquement. En fait, ce n’est pas forcément le cas puisque le tribunal accorde un délai de dix jours à d’autres personnes intéressées pour se manifester et surenchérir sur le prix du bien. Cependant, le nouveau prix n’est accepté que s’il est plus élevé d’un sixième au moins du prix de l’adjudication établie pendant la vente aux enchères. Dans ce cas, le bien est soit adjugé au nouvel enchérisseur si aucune autre personne ne se manifeste, ou une seconde vente aux enchères est organisée.
Si le prix de l’adjudication est plus élevé que la somme des créances demandée au débiteur, il lui est restitué le reliquat après avoir réglé les frais du huissier de justice et de l’expert, la taxe judiciaire ainsi que les dépens (publicité, timbres…). Sauf que, dans la majorité des cas, le prix de vente final n’arrive pas à couvrir la totalité de la créance, comme l’explique ce banquier : «Le prix moyen de vente rapporte entre 40% et 60% de la créance totale du débiteur dans le cas d’un crédit automobile». Ce qui n’est pas le cas forcément pour l’immobilier.
Evidemment, pour couvrir le restant de la créance, l’établissement de crédit demande au tribunal un autre type de procédure dite «de fonds» qui consiste en la saisie d’autres biens du débiteur ou même une saisie-arrêt sur salaire.
Le recours à la saisie-arrêt sur salaire pour compléter le remboursement
peu fréquent
Mais, tous les biens ne sont pas forcément saisissables (voir encadré) et le salaire ne peut être saisi en entier non plus. En effet, la réglementation ne permet la saisie que du tiers du salaire du créancier. «Les établissements de crédit ont rarement recours à la procédure de la saisie sur salaire du fait de sa complexité», souligne ce banquier. Cette procédure implique l’intervention de l’employeur du débiteur auprès duquel le salaire doit être bloqué, jusqu’à ce que l’établissement de crédit se fasse rembourser à hauteur du tiers de la rémunération mensuelle, et ce, pendant une durée déterminée que le créancier aura calculée pour assurer la couverture totale de la dette due. Vu la complexité de l’opération et l’interdiction de toucher aux parties incessibles et insaisissables du salaire à l’instar des allocations familiales, des pensions alimentaires ou de retraite, les établissements préfèrent inscrire la perte constatée au niveau du poste perte et profit.
Un certificat de propriété est délivré à l’acheteur du bien par le tribunal
En tout cas, une fois la vente conclue, le tribunal accorde un délai ne dépassant généralement pas un mois pour restituer le bien à l’établissement de crédit ou pour vider les lieux. Si le débiteur refuse, le créancier saisit encore une fois le tribunal, qui prononce un avis d’expulsion et engage la force publique afin d’obliger le débiteur de se conformer au jugement final.
En tout état de cause, la vente aux enchères purge le bien de toute créance liée. Le nouvel acquéreur devra procéder à l’achat du bien en question au comptant, généralement en déposant un chèque au tribunal dans un délai de dix jours de la conclusion de la vente. Il n’est pas exclu, encore moins interdit que l’adjudicataire finance l’achat du bien à crédit. Cela se passe indirectement, à travers l’établissement de crédit dont l’adjudicataire est client. Autrement dit, la société de financement se présente comme un enchérisseur et procède à l’enchérissement sur le bien au profit de son client, qui le lui revend moyennant un financement à crédit.
En fin de compte, il lui est remis un certificat de propriété du bien en question par le tribunal ainsi que le procès-verbal de la vente du bien. Dans le cas d’un bien immobilier, l’acquéreur devra se présenter à la conservation foncière pour se faire délivrer un certificat d’habitation final. Il devra de ce fait prendre à sa charge les frais d’enregistrement, de notaire et l’ensemble des charges afférentes pour rendre la propriété en son nom.
