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Partage des biens entre époux : comment ça marche
Les époux peuvent, s’ils le souhaitent, rédiger un acte de gestion des biens.
Cet acte, à distinguer de l’acte de mariage, peut être établi à tout moment de la vie du couple.
Les modalités du contrat peuvent n’entrer en vigueur que plusieurs années après le mariage si le couple le décide.

Nul doute que la réforme de la Moudawana, menée au printemps dernier sous les auspices de S.M. Mohammed VI, constitue un pas de géant pour le Maroc dans la construction d’une société plus soucieuse de l’équilibre de la famille, de la cohésion sociale et de l’évolution démocratique.
Mais, aussitôt l’effet d’annonce passé, et parallèlement à l’instauration dans nos tribunaux civils de juridictions de famille, les questions ont commencé à surgir concernant la mise en application de bon nombre d’articles du nouveau code, et notamment son article 49, relatif au partage des biens entre les époux.
Les adouls, étant placés aux premières loges dans la confrontation quotidienne avec ce type de préoccupations et avec une mise en pratique, pas toujours aisée, des dispositions du nouveau code, nous sommes allés recueillir le témoignage du secrétaire général de leur corporation nationale, Abdessalam Bouraini. D’emblée, celui-ci jette un pavé dans la mare en affirmant que le partage, au sens strict du terme, n’est mentionné nulle part dans les textes de la nouvelle Moudawana (voir encadré en page 34).
Le contrat de gestion de biens est distinct de l’acte de mariage
En fait, l’article 49 ne parle que d’une faculté laissée aux époux de définir de façon consensuelle, dans un acte séparé de celui du mariage, le mode de gestion des biens qu’ils souhaitent. Le partage n’est donc qu’une déclinaison possible parmi d’autres du terme «gestion».
Selon M.Bouraini, le contrat de gestion des biens, dans le cas où il est rédigé selon le souhait des deux époux, est une sorte de clause compromissoire régie par la loi des contractants. Ainsi, toutes les conditions et modalités sont acceptables, à condition qu’elles n’enfreignent pas d’autres règles de droit commun. En somme, ledit article est une sorte d’auberge espagnole où chacun des contractants ne trouve que ce qu’il apporte.
Les futurs époux peuvent également concevoir des conditions de déclenchement stipulant par exemple que les modalités du contrat séparé de gestion des biens ne soit appliquées qu’à partir d’un certain nombre d’années de mariage. Les personnes qui s’inquiètent à la lecture des récentes enquêtes sur le relèvement spectaculaire du taux de divorce durant les cinq premières années de mariage, y verront peut-être un moyen de se mettre à l’abri en attendant d’être rassurées sur la longévité de leur couple. Par ailleurs, la rédaction dudit contrat est affranchie de toute obligation de simultanéité avec l’acte de mariage. Le contrat de gestion des biens peut être établi et signé à tout moment pendant la vie du couple au même titre que sa résiliation d’ailleurs.
Très important : le contrat de gestion des biens s’applique uniquement aux biens acquis durant le mariage. Ce qui l’apparente au régime français dit «communauté réduite aux acquêts», auquel sont soumis neuf couples sur dix dans l’Hexagone et ce par opposition aux deux autres régimes : communauté universelle des biens et séparation totale des biens. Mais, contrairement aux Français qui ont un régime par défaut, celui de la communauté réduite aux acquêts, au cas où ils ne contractent pas par acte notarié, les citoyens marocains sont soumis théoriquement au régime de la séparation des biens s’ils n’ont pas activé l’article 49 en optant pour un mode précis.
Sur quelles bases sont fixées les parts de chacun des deux conjoints?
Si le Droit civil français ne prévoit que la stricte parité en cas de partage, notre nouveau code de la famille ne prescrit aucun rapport dans le cas, bien entendu, où le partage des biens est prévu. Aussi, peut-on concevoir un partage basé sur la contribution effective de chacun des époux aux dépenses du foyer. Les époux peuvent également se baser sur la contribution, prouvée bien évidemment, de chacun à la fructification du patrimoine.
Force est de relever donc que, tant qu’une véritable jurisprudence ne sera pas développée, des zones d’ombre persisteront et des interrogations demeureront sans réponses.
Ainsi en est-il de l’extension des biens à partager à ceux donnés en hypothèque au profit de créanciers, notamment les banques. Comment réagiront ces dernières, si friandes de garanties réelles et peu disposées à les aliéner, devant un jugement de partage concernant un bien qui leur a été accordé en hypothèque antérieurement par l’ex-époux du bénéficiaire de la sentence. La décision d’un juge de famille aura-t-elle plus de force légale que le Dahir des obligations et des contrats (DOC) qui régit les contrats d’hypothèque ?
Même si l’article 49 concerne aussi bien les actifs immeubles que mobiliers, le cas de l’épargne constituée par l’un des époux pendant le mariage sous forme, par exemple, d’assurance-vie ou de retraite complémentaire n’est pas tout à fait tranché. Car, même si cette épargne, qui constitue une richesse en partie déjà constituée et devant être perçue en rente viagère ou en capital, fait partie du champ d’application de la loi, l’on ignore comment le partage sera appliqué. Le contrat d’épargne devra-t-il être racheté pour en partager le fruit entre les deux divorcés ? Ou l’application sera-t-elle reportée à une quelconque échéance ?
En attendant une jurisprudence et des réponses concrètes, le bilan pratique des premiers mois suivant la promulgation de cette nouvelle Moudawana, est assez étonnant. En effet, comme nous l’indique M. Bouraini, en six mois, dans la commune d’Ain Chock où il officie, sur plus de quatre mille mariages scellés à ce jour, rares ont été les demandes effectives pour la rédaction d’un acte séparé de gestion des biens. Il semblerait donc que les accédants marocains à la vie maritale ne soient pas encore convaincus des vertus de l’article 49 ou, peut-être, qu’il s’agisse pour ces derniers d’un round d’observation afin de ne franchir le Rubicon qu’une fois les modalités d’application bien huilées, et choses plus claires concernant cette question épineuse.
En l’absence d’un contrat de gestion des biens, le juge de famille peut décider d’attribuer des parts à la femme divorcée
Autre question liée à la nouvelle Moudawana et jugée préoccupante : le juge de famille peut-il, par une interprétation extensive de la loi, faire appel à l’article 49 alors même que les deux époux n’ont formalisé aucun choix dans ce sens ? La réponse instructive vient de notre spécialiste qui nous explique que la loi a ouvert une brèche aux juges afin qu’ils puissent réparer certaines formes d’injustice criantes, que tolérait en toute légalité l’ancienne Moudawana ! Que de femmes, entièrement dépendantes financièrement de leurs conjoints, ont connu la misère et le désarroi après avoir été répudiées par un mari, qui s’est peut-être enrichi depuis cette première noce, et vit désormais avec une seconde épouse ! Ce temps-là est révolu. Et c’est tant mieux si l’esprit de l’article 49 l’emporte sur sa lettre, très peu explicite. La légalité devra désormais puiser sa légitimité au registre de la justice morale et de l’égalité.
Cette égalité tant prônée et réclamée, nous avons aussi voulu l’illustrer par un cas représentatif des jeunes de la classe moyenne, manifestant de grandes ambitions du fait de leur éducation supérieure. Deux jeunes Marocains actifs ayant fait des études universitaires, qui s’apprêtent à sceller leur relation par les liens sacrés du mariage. Les revenus du mari sont sensiblement plus élevés que ceux de la femme.
Il en ressort que, durant la vie du couple, la femme aura contribué, peu ou prou, au tiers de l’effort financier et se sera vraisemblablement plus impliquée dans l’organisation du foyer et l’éducation des enfants ainsi que le suivi de leur scolarité. Mais, pour des raisons inhérentes à une certaine culture patriarcale et mysogine, l’homme, qui a assuré un toit à la famille, se retrouve, le plus souvent, seul propriétaire de l’unique bien acquis par le ménage. Sachant aussi que, parmi les travers de la vie moderne, on trouve la recrudescence des divorces chez les «séniors» dont le face-à-face de l’après-retraite produit des effets dévastateurs, ne vaut-il pas mieux – et ne serait-il pas plus juste aussi ! -, de prévoir un partage des biens au moins égal au rapport des efforts financiers fournis par chacun au lieu de ne découvrir les problèmes patrimoniaux qu’en cas de divorce ? Certes, dira la majorité, mais certaines voix ne manqueront pas de rappeler que rien ne garantit la pérennité future d’un tel rapport de contribution financière.
Mais, en la matière, existe-t-il réellement des garanties ? Et quand un succédané peut-il être imaginé, tient-il lieu de l’essentiel : la sacralité de la vie de famille, l’amour, le devoir envers les descendants, l’honnêteté et la sincérité ? Rien n’est moins sûr.
Au demeurant, la nouvelle Moudawana défriche davantage des pistes à explorer par la jurisprudence qu’elle ne trace des contours tranchés et des canons immuables. Aux juges de faire preuve d’un effort d’adaptation opportun et de s’en tenir davantage à l’esprit noble de la réforme. Aux jeunes célibataires d’aujourd’hui, futurs mariés demain, de savoir, une fois pour toutes, qu’ils ont l’entière latitude de choisir pour leur couple, et par ricochet pour leur société, la justice qui sied à leurs convictions et convient à leurs principes. Et comme disait Aristote, «ce n’est pas la loi qui fait les justes mais ce sont les justes qui font la loi»
Le partage des biens peut se faire sur la base de la contribution financière de chaque conjoint aux dépenses du foyer.
Selon le secrétaire général de l’association des adouls, ce n’est pas de «partage des biens» qu’il s’agit, dans la nouvelle Moudawana, mais plutôt de la faculté laissée aux époux de définir, dans un contrat séparé, le mode de gestion de leurs biens.
