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Argent

Or : La fin du mythe de valeur refuge ?

Miser sur l’or actuellement serait un pari risqué. Il a atteint un prix élevé sans parler des craintes à propos du comportement futur de son cours à l’international. En revanche, revendre ses biens en or acquis au moins deux ans auparavant peut rapporter des plus-values intéressantes.

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Traditionnellement et historiquement, l’or a toujours attiré les Marocain(e)s. «Achètes-en, pour te protéger contre les aléas de la vie», conseillent nos aînés. Il ne rapporte ni intérêt ni dividendes et pourtant il reste la valeur refuge par excellence, surtout à long terme. Et pour cause. Les prix s’inscrivent sur une tendance haussière, ponctués de baisse, certes, mais à long terme, les plus-values à en tirer restent appréciables. Dans les années 2000, le prix du gramme neuf se situait en moyenne à 68 DH, alors qu’il tourne actuellement autour de 550 DH et peut dépasser 600 DH le gramme, en fonction du modèle et du design. La crise en Ukraine a tout chamboulé, bouleversant aussi sur son passage le prix de l’or qui était autour de 420 DH le gramme, juste avant (voir ci-contre), soit une croissance de 42%.

Procédures d’importations compliquées
A quel point les prix de l’or sur le marché marocain sont sujets aux fluctuations des cours mondiaux ? Complètement et totalement, nous confirment les bijoutiers. Certains, au sein de leurs magasins, sont même équipés de télévision, diffusant en direct les cours de l’or sur les stations Bloomberg ou autres, en vue de suivre instantanément l’évolution des prix. Cela semble sans logique, puisque le Maroc n’est pas producteur d’or à destination commerciale ou artisanale. Le pays n’est pas non plus importateur du métal jaune, les procédures d’importations étant compliquées. D’autant que le Maroc ne dispose pas d’une industrie aurifère. «Ce sont les grosses usines d’or au Maroc qui décident de la fixation des prix, de manière fréquente, voire quotidienne, pour l’ensemble des boutiques et kissariyates du Royaume», tente d’expliquer un bijoutier. Cette augmentation des prix a miné la demande qui se retrouve en baisse depuis l’été dernier. Un bijoutier à Rabat fait remarquer que la demande sur les bijoux pendant cette période était dynamisée surtout par les MRE, chaque année. «Le prix mis pour une parure auparavant ne rapporte plus qu’une chaîne conjuguée à une bague, par exemple. Insatisfaite d’un éventuel achat, cette clientèle a opté pour des dépenses autres que l’or», explique-t-il.

Ruée vers la revente ?
Les prix à la revente, pour leur part, ont également augmenté pour se situer entre 420 et 470 DH le gramme. Ce n’est pas pour autant que les détenteurs des bijoux en or se ruent vers les magasins pour les revendre. En revanche, le phénomène d’échange s’est quelque peu intensifié, selon les dires de certains. Face à la cherté du prix le d’or, des personnes procèdent à l’échange de leurs anciens bijoux, contre de nouveaux, en y ajoutant la différence.
Cela dit, acheter un bijou ne dépend pas que de son poids en or seulement. «Tout dépend du modèle», répondra un joaillier à la question du prix du gramme, car plusieurs éléments entrent en jeu dont la main-d’œuvre, le nombre de pièces serties, le design et le professionnalisme du fabricant. C’est pour dire que le prix de deux bijoux, du même poids en or, peut varier dans une grande fourchette. Il faut savoir aussi que le prix de l’or est le même, que ce soit pour le jaune que pour le blanc. Il reste que le 1er est le plus demandé et constitue le gros du chiffre d’affaires des bijoutiers. Le second, lui, est sollicité surtout par la clientèle qui requiert le diamant.
Dans une logique d’investissement, jeter son dévolu sur l’or suppose d’acheter les bijoux traditionnels et simples, composés essentiellement du métal jaune, avec moins de design ou de pierres. «Ils ne perdent pas de leur valeur, si ce n’est une décote de 15% au maximum, contre 30% pour ceux au design moderne», signale un bijoutier.

Contrat programme en cours
Le marché marocain de l’or évolue donc intra-muros, bien qu’il soit en corrélation avec les marchés mondiaux. Plusieurs contraintes entravent son développement. Majid Lahrichi, vice-président de la Fédération marocaine des bijoutiers énumère : «L’absence de la matière première conjuguée aux difficultés liées à l’importation bloquent la croissance du marché. Ce qui le limite à la casse et au recyclage». De plus, la main-d’œuvre y est toujours artisanale, se réduisant elle aussi à faire des copies aux tendances internationales. Lahrichi donne l’exemple de la Turquie qui, en 20 ans, a réussi à se hisser au rang des industries mondiales en la matière, comme Hong Kong, l’Italie et autres, tout en exposant ses propres modèles dans les foires internationales, alors que le pays se cantonnait à faire des copies, tout comme le Maroc. «Tant que les 30 000 bijoutiers (plus ou moins) que dénombre le pays, fonctionnent sans matière première et que le secteur ne s’est pas industrialisé ni professionnalisé, l’or au Maroc ne connaîtra jamais d’avancée majeure», soutient notre source.
La fédération espère lancer un contrat programme, avec le ministère de l’artisanat, suite à une étude stratégique réalisée en interne en 2020. En partenariat avec ces deux parties et le MCC (Millenium Challenge Corporation), une école de formation à Fès, de techniciens, techniciens spécialisés et ouvriers sera bientôt lancée. «Le bâtiment est fin prêt. Il est édifié sur une superficie de 8 000 m2 sur 3 étages», explique M. Lahrichi. Un petit pas est donc réalisé mais beaucoup reste à faire pour industrialiser la filière.

Un cours mondial alimenté par l’inflation

Tant que la croissance n’est toujours pas avérée et que le facteur guerre reste plus présent que jamais, la demande sur l’or continue de s’accentuer, cassant du coup le mythe de la corrélation inversée entre le dollar et l’or. Cela dit, le cours de l’once d’or a tout de même fléchi avec la hausse des taux directeurs partout dans le monde, pour s’établir à environ 1600 dollars, suite aux différentes annonces de relèvement des taux, pour reprendre son rythme haussier les jours suivants. Au 4 octobre, l’once se négocie à près de 1700 dollars. Cette tendance à la hausse est accentuée par les achats massifs du métal jaune par les banques centrales. Les avoirs totaux des banques ont été renforcés de près de 180 tonnes au 2e trimestre de cette année. Sur le seul mois de juillet, les banques centrales ont consolidé leurs avoirs de 37 tonnes. Cette tendance n’est pas près de s’estomper compte tenu des différentes contraintes qui entourent les économies mondiales.Mais à partir du moment où le contexte économique et géopolitique reste incertain, il est difficile de prédire une évolution du cours de l’or, du moins à long terme. Sur le court terme, la banque Goldman Sachs estime qu’il pourrait atteindre les 2 500 dollars d’ici à la fin de l’année. En face, les analystes des matières premières du Crédit Suisse abaissent leurs prévisions concernant le prix de l’or pour cette année en raison de la hausse des taux d’intérêt et des rendements réels. La banque voit désormais le prix de l’or en moyenne sur l’année autour de 1 725 dollars l’once, en baisse par rapport à l’estimation précédente de 1 850 dollars.