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Marché de l’art : Dressez votre tableau avant de vous lancer
Les expositions à l’étranger hissent la valeur des artistes au plus haut. Toutes les œuvres d’un artiste réputé n’ont pas forcément la même issue. Certaines peuvent atteindre 8 fois leur prix initial.

Tout comme les autres secteurs, celui des œuvres d’art a pâti des conséquences de la crise sanitaire. Mais il a bien rebondi après. Les galeristes contactés nous ont affirmé une reprise des expositions dès 2021, de leur fréquence et des ventes également. Plus de la moitié des tableaux d’artistes connus se vendent lors des enchères. D’autant qu’une tendance avait commencé à se dessiner, il y a quelques années et s’est encore plus confirmée, post-Covid. Il s’agit de l’intérêt croissant des acheteurs étrangers pour l’art marocain, constat qui n’était pas aussi prononcé qu’il y a 7 ou 8 ans. Des expositions marocaines ont eu lieu à Londres, Paris et surtout au Moyen-Orient, permettant à plusieurs artistes, surtout les plus cotés et les plus chers de rayonner à l’étranger. Par exemple, la plus grande acheteuse des œuvres de Mohamed Melehi est une collectionneuse américaine, qui n’hésite pas à payer le prix fort pour acquérir ses tableaux. Il faut dire que le musée Mohammed VI y est pour beaucoup dans l’ouverture des artistes marocains sur la scène internationale. De même, la création de musées comme celui de Qatar a permis aux artistes marocains de se faire connaître. Toutes ces conditions réunies ont contribué à professionnaliser le marché et surtout à hisser la cote des artistes marocains, parce qu’il faut le dire, «tant que des artistes comme Melehi, Belkahia et Gharbaoui n’étaient achetés que par des collectionneurs marocains, ils ne pouvaient atteindre qu’un certain niveau de valeur. Dès que la compétition étrangère se manifeste, avec l’apparition de nouveaux collectionneurs, leur valeur augmente, naturellement en suivant la loi de l’offre et la demande», explique Hicham Daoudi, président de la maison de ventes aux enchères CMOOA. Actuellement, la demande est tellement forte sur les artistes marocains abstraits, qu’ils font, de facto, partie de l’art du monde arabe.
Sélection minutieuse
C’est dire justement que ce sont ces artistes de l’art abstrait qui ont le plus de valeur. De par la qualité de leurs œuvres, leur nom, leur réputation, Belkahia, Melehi, Gharbaoui, Cherkaoui, Chabaa sont toujours demandés et leur valeur ne cesse d’augmenter. Cela dit, puisqu’il s’agit d’artistes décédés, le phénomène de la rareté des œuvres ajoute son grain de sel pour augmenter la valeur de leurs tableaux. Néanmoins, une chose est importante à clarifier. Toutes les œuvres d’un même artiste ne se valent pas forcément. Autrement dit, «ce n’est pas parce qu’un tableau est fortement disputé entre collectionneurs et prend de la valeur au fur et à mesure que toutes les autres productions connaissent le même sort», ajoute Daoudi. Il est vrai que le nom de l’artiste y est pour beaucoup, mais les conditions dans lesquelles le tableau en question a été mis en œuvre le sont encore plus. Et c’est justement le travail des maisons de ventes aux enchères et des galeristes. «Nous ne choisissons pas les œuvres d’art à la hâte. Une sélection d’œuvres est réalisée avant la vente. Nous cherchons toujours des œuvres puissantes, faites dans les meilleures périodes de l’artiste, reconnues ou déjà archivées. Quand nous sélectionnons 45 tableaux par exemple, nous trions 250 au préalable», précise notre source.
A l’en croire, Mohamed Chabaa avait réalisé son record avec une œuvre vendue à 2,6 MDH, achetée par un collectionneur local. Melehi et Chabaa ont gagné 2000% depuis 2010. Prenons l’exemple de deux œuvres de Belkahia aux dimensions identiques 76×65 réalisées en 1962 (voir illustration). La première a été adjugée à 1,35 MDH en 2016 et la seconde à 2,2 MDH en décembre 2021, soit une augmentation de valeur de 63%. «Cinq années séparent ces deux résultats durant lesquelles des ouvrages consacrés à l’artiste ont été produits et des expositions ont été organisées, à l’instar de l’expo 2021 au centre Pampidou à Paris et au musée Mohammed VI et des livres publiés par la Fondation Belkahia», détaille le président de la CMOOA. Pour les œuvres de Mohamed Melehi, du début des années 70, les résultats d’adjudication sont passés d’une moyenne de 200 000 DH en 2012 pour celles mesurant 120×100, à 1,6 MDH en 2022, soit 8 fois leur valeur initiale. Notons qu’elles ont été portées par des acheteurs du Moyen-Orient et des Etats-Unis. A côté de ces pionniers, Mohamed Hamidi, Mustapha Hafid, Abdellah Hariri, Bachir Demnati, Mohamed Kacimi, Miloud Labied, Saad Ben Cheffaj et Mohammed Aatallah ont enregistré une importante dynamique de valeur pour des œuvres réalisées entre 1967 et 1978. Et pour cause. Ce sont des années riches de débats, de manifestations artistiques et d’actions collectives.
Les artistes émergents ont la cote
Si ces artistes modernes et pionniers de l’art marocain n’ont plus besoin de se faire connaître tant au Maroc qu’à l’étranger, les nouveaux artistes dits contemporains ou émergents commencent à se frayer un chemin sur la scène. Mohamed Lekleti, Abderrahim Yamou, Mahi Bine Bine, Safa Erruas, Fatiha Zemmouri, Mohamed Ajerdal, Mustapha Akrim et Mounir Fatmi par exemple connaissent un grand succès et sont déjà achetés par des fondations et des musées étrangers. Cela, sans oublier Hassa, Darssi, Mohamed El Baz, Khalil Nemaoui, Younes Rahmoun et M’barek Bouchichi. Actuellement, ces artistes voient leur cote augmenter de 10 à 15% annuellement, et parfois même plus, jusqu’à 40% en fonction de la demande mixte (locale et étrangère).
Un marché porté par les particuliers
Il fut un temps où le marché de l’art était porté par les collectionneurs institutionnels. Allusion faite aux banques, compagnies d’assurances, fondations et Bank Al-Maghrib également. Ces collectionneurs ont certes de «sacrées» collections modernes, achetées depuis les années 1990 et qui regroupent les œuvres d’art de l’ensemble des artistes modernes marocains. Mais il n’en reste pas moins qu’ils ne sont plus aussi actifs sur le marché. Ils ne représentent actuellement que 10% du marché. Le gros est réalisé par des collectionneurs particuliers. Ces institutionnels ont redirigé leur politique davantage vers une logique sociale et sociétale, s’intéressant au caritatif, à la protection de l’environnement, à des actions de mécénat… D’autant qu’à la tête de ces institutions figuraient des personnes sensibles à l’art. Ce qui est moins le cas actuellement. Si des personnes de renom sont séduites de nos jours, c’est plus par effet mimétique ou pour le prestige de détenir une «bonne» collection. En tout cas, cela a laissé l’opportunité aux particuliers (connaisseurs-collectionneurs ou investisseurs) de s’y intéresser progressivement et de créer leur propre collection. Ce n’est pas plus mal, puisque cela permet au marché d’être plus dynamique lors de l’organisation d’expositions ou de ventes.
