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Marché actions : Sauve qui peut !
Avec une baisse de 20%, le Masi a effacé ses gains de 2021. L’arbitrage se fait toujours en faveur du marché des taux moins risqué qui offre le même rendement que les dividendes. La Bourse devrait finir l’année sur un repli entre -18% et -25%.

Le marché actions va visiblement de mal en pis. A fin octobre, l’indice de toutes les valeurs, MASI, a affiché une contre-performance avoisinant 20%, depuis le début de l’année. Il a effacé toute la hausse réalisée l’année dernière où, à la même période, il avait réalisé une progression de 20% pour clôturer l’année à +18%. Il s’agit même de la plus forte baisse enregistrée depuis 2020, année où la pandémie battait son plein et où les investisseurs broyaient du noir et se retiraient tous en même temps, institutionnels comme particuliers. Et même pendant cette période, l’indice était descendu à son plus bas à -26% en avril, pour remonter progressivement jusqu’à atteindre 7% en fin d’année. Même du côté des volumes, les échanges se font sur des montants assez faibles. Les transactions ont porté, en moyenne, sur quelque 120 millions de dirhams.
Le contexte n’est pas pareil. En 2020, le choc de la pandémie a fait couler tous les marchés boursiers de par le monde, dont celui du Maroc, pour se reprendre quelques mois plus tard grâce à plusieurs bonnes nouvelles, telles que le lancement des campagnes de vaccination, les taux obligataires bas, ainsi que le retour de la distribution des dividendes, annulée au titre de l’exercice 2019. Cette année, le marché l’a bien entamée, capitalisant sur les réalisations de la précédente. Il a assez bien tenu, face au déclenchement de la crise entre la Russie et l’Ukraine. Mais une fois que l’inflation a commencé à se faire sentir, il a amorcé son trend baissier. Pendant le premier semestre, les analystes justifiaient le recul de l’indice par la frilosité des investisseurs quant aux effets de cette guerre sur le Maroc, sans qu’ils soient sceptiques pour autant. Mais plus le pays commençait à ressentir les effets de l’inflation, l’accroissement des coûts de l’énergie et des matières premières, en plus des contrecoups de la sécheresse, plus les intervenants de la place boursière se retiraient pour s’orienter vers le marché des taux, attirés par l’appât du gain qu’il offre.
Ce duel entre l’Etat et les institutionnels
Actuellement, il est dans une situation telle que tous les types d’investisseurs paniquent face à la succession de nouvelles ne plaidant pas en sa faveur. D’abord, «les perspectives macroéconomiques ne sont pas bonnes avec une inflation, toujours en hausse (ndlr : 8,3% en septembre), qui devrait miner la croissance des entreprises», explique le directeur d’une cellule recherche d’une société de bourse. Même le moral des ménages continue de se dégrader, selon le HCP, pour atteindre son plus bas niveau depuis le début de l’enquête en 2008. A côté de cela, la courbe des taux obligataires n’arrange pas les choses. Bien qu’elle ait intégré la hausse du taux directeur avant son occurrence, elle a continué à augmenter lorsque le relèvement a été acté. La pression des investisseurs sur le Trésor a donc continué à opérer. La gourmandise des investisseurs ne s’est pas arrêtée à ce niveau. En fait, «la déclaration du gouverneur de BAM, concernant une discordance avec le conseil pour un relèvement de 50 ou de 75 points de base, a laissé penser qu’une autre augmentation serait à venir, de 25 pbs ou peut-être même plus», fait remarquer un gérant de portefeuille. Du coup, les investisseurs exercent encore une fois une pression sur le Trésor pour augmenter ses taux. Ce rapport de force est allé tellement loin que la séance d’adjudication du 25 octobre dernier était nulle. Aucune levée n’a été effectuée. Alors qu’elles étaient programmées sur les maturités courtes et moyennes, à savoir de 26 semaines, 52 semaines et 2 ans, elles n’ont finalement pas été satisfaites. En cause, les offres des intermédiaires étaient loin, en matière de pricing, exigeant des taux élevés, que le Trésor n’a pas assouvis. Pour assurer son besoin de financement du mois, destiné notamment aux dépenses de fonctionnement, le Trésor a dû céder à cette pression, en concoctant une ligne de financement de 45 jours le jeudi suivant. De cette manière, «les investisseurs ne placent leur argent que du 1er novembre au 15 décembre, soit quelques jours avant la tenue du conseil d’administration de BAM, pour éviter de réaliser des moins-values latentes si hausse supplémentaire de taux il y a», signale notre expert.
Appel à plus de communication
Rien que ce volet devrait être suffisant pour faire des arbitrages contre le marché actions. Un autre facteur s’ajoute à la donne. Ce n’est autre que les annonces faites dans le projet de Loi de finances 2023. La hausse du taux d’imposition des banques de 37% à 40% et des entreprises industrielles réalisant un bénéfice de plus de 100 MDH de 31% à 35%, à terme, a affaibli la confiance des investisseurs dans le marché. «Dans un contexte où leur croissance se trouve plombée par le renchérissement des matières premières, augmenter le coût d’imposition ne devrait qu’affecter davantage leur marge», ajoute notre source. Cela, sans oublier la taxe de contribution à la solidarité nationale qui devrait s’additionner à tout cela.
Tous ces éléments ont fortement contribué à la baisse du marché actions. L’arbitrage est nettement défavorable pour ces titres, en faveur d’autres produits de placement dont notamment les taux. Entre une Bourse qui offre, avec un risque élevé un dividend yield de 3,6% et un bon du Trésor sur 10 ans qui assure un rendement du même niveau, il n’est même pas question d’arbitrage : la balance penche en faveur des taux.
S’il y a une autre variable qui mine la psychologie des investisseurs, c’est le manque de communication de l’argentier de l’Etat, quant à ses contraintes et ses levées. BAM, aussi, dans ce contexte, devrait jouer le jeu, en communiquant, ne serait-ce que sur son agenda de revue du taux directeur. Il est important que les investisseurs aient une visibilité pour se positionner sur l’un ou l’autre des produits de placements.
En conjuguant tout cela, en l’absence de toute bonne nouvelle économique, dont, entre autres, un retour de la pluviométrie d’ici début décembre au plus tard, et dans un contexte de poursuite des pressions inflationnistes et de manque d’assurance du Trésor et de BAM, la Bourse devrait poursuivre sa chute. Elle devrait finir l’année, selon les spécialistes contactés avec une contreperformance, se situant entre -18% et -25%. Dans un scénario encore plus pessimiste, mais pas moins réaliste, «si les résultats annuels des sociétés cotées, publiés en mars 2023, ressortent défavorables, et si le conseil de BAM décide de relever son taux directeur, le marché actions serait atterré», concluent nos sources.
Les OPCVM toujours vendeurs
Le marché actions est essentiellement vendeur. Les dernières statistiques de l’AMMC font état d’une position vendeuse de ces organismes de placement, pour le deuxième trimestre pour près de 4 milliards de dirhams, soit 47% du volume total des ventes. Cette tendance se poursuit, puisqu’ils sont les plus actifs sur le marché en termes de ventes. Pris d’un mouvement de panique, face à ce retrait du marché actions et à cette dégringolade de l’indice, les petits porteurs suivent le rythme également. Les investisseurs institutionnels, eux, sont plutôt dans le wait and see, voire légèrement acheteurs. Comme il s’agit d’investisseurs stratégiques, que leurs positions sont de long terme et que leurs placements visent un niveau de cours, ils ne peuvent se désengager du marché boursier, simplement. «Pour eux, passer des provisions est beaucoup plus intéressant que constater des pertes réelles. Il vaudrait mieux accepter une baisse et une volatilité qu’ils pourraient intégrer dans leur raisonnement, que de subir des pertes sèches qu’ils ne pourraient rattraper», signale ce gérant de portefeuille.
