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Les choix socio-économiques sous-tendus par la réforme fiscale envisagée

Le dispositif d’incitations fiscales devrait être remplacé par des dotations budgétaires. Certaines mesures au profit de l’entreprise déjà (presque) acquises. Celles en faveur des salariés tributaires de l’élargissement de l’assiette.

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Assises Fiscalite

Les 3e Assises de la fiscalité, organisées les 3 et 4 mai à Skhirat, ont été un moment fort où chacun, responsable politique, économique, syndical, expert ou particulier, a pu dire ce qu’il pensait du système fiscal en vigueur et suggéré des pistes ou émis des vœux pour son amélioration. Auparavant, le sujet avait fait, des mois durant, les choux gras de la presse, tous supports confondus.

Le constat, unanime, qui ressort de l’ensemble des interventions avant et pendant les Assises est que le système fiscal d’aujourd’hui gagnerait à être plus équitable, plus juste, plus inclusif. Les chiffres rappelés par le ministre de l’économie et des finances, d’entrée de jeu, sonnent comme la preuve par les faits que ce système se doit d’être réformé. Ces chiffres, largement diffusés par les médias, méritent malgré tout d’être rappelés ici : 80% des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) sont assurés par 0,8% des entreprises assujetties à cet impôt ; plus de deux tiers (67%) des déclarations de l’IS sont déficitaires ou nulles ; 73% des déclarations de TVA sont nulles ou créditrices ; 50% des recettes de TVA sont assurés par pas plus de 150 entreprises ; 73% des recettes de l’impôt sur le revenu (IR) proviennent des salaires et seulement 5% des revenus professionnels.

C’est clair, la charge fiscale repose sur un nombre extraordinairement limité de contribuables. Et en ce sens, la pression fiscale moyenne au Maroc (autour de 22% du PIB), bien que se situant à un niveau proche de ce que l’on peut observer dans les pays émergents et en développement, ne rend qu’imparfaitement compte du poids des impôts et taxes que subissent certaines catégories de travailleurs, d’entreprises et, par le biais de la fiscalité indirecte, les ménages.

D’où vient que les recettes fiscales sont assurées par un tout petit nombre de contribuables ? La réponse est connue de tous, et depuis fort longtemps : d’une part, de l’importance de la fiscalité dérogatoire, et, d’autre part, de ce que l’on appelle par un joli euphémisme l’optimisation fiscale, voire, dans certains cas, la fraude à l’impôt tout simplement.

Mais au-delà du constat, que faire, comment faire pour que chacun, volontairement de préférence, s’acquitte de ses obligations envers la collectivité ? En d’autres termes, comment élargir l’assiette fiscale afin qu’il devienne possible, par la suite, de réduire les taux d’imposition à la fois pour les entreprises et les particuliers ? Le gouvernement, via son ministre des finances, Mohamed Benchaâboun, a déjà une première réponse: mettre à plat, progressivement, le dispositif des incitations fiscales, afin de dégager des marges à redéployer ailleurs. Ce dispositif, on sait ce qu’il coûte aujourd’hui à l’Etat : près de 30 milliards de DH, suivant ce qui a pu être évalué comme mesures d’exonération, de réduction, d’abattement, de déduction, de taxations forfaitaire… Mais sait-on ce que ces dépenses fiscales rapportent à la collectivité ? Bien malin qui pourra le dire avec précision. C’est pourquoi l’Exécutif, au lieu de supprimer purement et simplement ces incitations, envisage de les remplacer, à l’avenir, par des dotations budgétaires. Nous retrouvons ici, sous une autre dénomination, la logique de ciblage que le gouvernement veut appliquer en matière de subventions, et dont le registre social unifié (RSU) sera le moyen de mise en œuvre.

La réforme envisagée préfigure-t-elle le nouveau modèle de croissance à mettre en place ?

A partir de là, une interrogation se pose : A quelles orientations socio-économiques obéit la réforme fiscale dont il est aujourd’hui question ? Et d’abord, n’eût-il pas été préférable de commencer par définir ces orientations au travers du nouveau modèle de croissance que le Maroc ambitionne de mettre en place, les dispositions fiscales venant ensuite appuyer, conforter les choix qui auront été décidés dans ce modèle ? Mais d’aucuns peuvent penser, non sans raison, que les options prises en matière de fiscalité lors des 3e Assises éponymes sont déjà une indication de ce que sera le nouveau modèle de croissance. Pourquoi pas ! A ceci près que des recommandations issues de cette rencontre, il se dégage l’impression que leurs initiateurs cherchent à brasser large, à satisfaire, même sur le mode conditionnel, les multiples demandes exprimées ici et là. Du coup, des adjectifs et des expressions à fort contenu social (pacte fiscal, social, inclusif et durable) voisinent avec d’autres à connotation plutôt…libérale (possibilité de réduire le taux marginal de l’IS, suppression de la cotisation minimale, préservation des équilibres macroéconomiques…). Implicitement, ce panachage semble traduire une orientation sociale-libérale, elle-même reflet de la composition de l’actuelle majorité et, plus généralement, de ce qui, grosso modo, se pratique à l’échelle internationale.

Malgré tout, il est loisible de relever que le curseur semble pencher davantage du côté de l’entreprise que du salarié. La preuve ? Les mesures en faveur des travailleurs (baisse de l’IR) sont conditionnées par l’élargissement de l’assiette, tandis que celles au profit de l’entreprise, du moins certaines d’entre elles, paraissent presque acquises.

Le choix est-il déjà fait en faveur de l’offre plutôt de que la demande ? Encore une fois, les choses ne sont pas aussi tranchées que cela. Et puis, il faut bien le redire ici, dans une économie aussi ouverte que celle du Maroc, privilégier la demande sur l’offre, c’est courir le risque de rapidement assécher le matelas de devises qui permet de couvrir les importations et de faire face aux échéances de la dette.

Cela dit, la matière fiscale relevant du domaine législatif, il faudra s’attendre à des discussions serrées, à des lobbyings entreprenants lorsque viendra le moment de présenter au Parlement les projets de Loi de finances qui, chaque année, devront traduire en dispositions légales les réformes fiscales envisagées.