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La fluctuation des cours inquiète-t-elle les sociétés cotées?

L’incidence de la variation des cours est insignifiante sur l’activité des sociétés. Un bon dirigeant doit trouver le juste équilibre entre les exigences des mondes financier et opérationnel. Les opérateurs du marché feraient une lecture exagérée des résultats des sociétés.

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Bourse de Casablanca

Qu’ils soient petits porteurs ou grands institutionnels, la fluctuation des cours en bourse fait qu’ils s’en frottent les mains… ou qu’ils s’en mordent les doigts. Cependant, si l’impact de la variation des cours est certain et quantifiable sur les investisseurs, qu’en est-il de l’incidence sur les sociétés cotées elles-mêmes ? La fluctuation de leurs cours sur le marché a-t-elle une quelconque influence sur leur activité opérationnelle ?

Non, ont répondu presque unanimement les dirigeants des sociétés cotées que nous avons approchés. Seul Farid Bensaid, PDG de l’assureur conseil AFMA, ne réfute pas entièrement l’impact. L’image de la société serait relativement liée à l’évolution de son cours en bourse. «Lorsqu’un cours prend de la valeur, cela rassure les actionnaires, les petits porteurs mais aussi les clients. Sur l’activité même, c’est un signe de bonne santé. Quand on fait mieux que la croissance moyenne de la bourse, cela traduit notre attractivité et prouve que nous avons de bons indicateurs. Ce qui ne peut qu’être rassurant pour nos clients», affirme-t-il. Notons que le titre AFMA s’est raffermi de 19,5% depuis le début de l’année.

Pour sa part, Mohamed Fikrat, PDG de Cosumar (dont le cours a enregistré une hausse de 13,7%), l’incidence serait quasiment nulle. «La sphère boursière et celle de notre activité opérationnelle en tant qu’entreprise agro-industrielle sont totalement distinctes. Notre activité n’est intimement liée qu’aux fondamentaux habituels (amont agricole, marché national et mondial du sucre, etc.)», explique-t-il avant d’ajouter que «le cours en bourse reflète la lecture que fait le marché financier et les investisseurs de l’entreprise, de ses performances et de ses perspectives de développement». Un avis partagé par Hassan Debbarh, DG de Cartier Saada: «Je ne pense pas que le cours boursier ait une incidence sur l’activité opérationnelle de la société. Le cours intéresse plus les actionnaires et les investisseurs».

Même son de cloche chez Olivier Puech, administrateur directeur général de Timar (dont le titre a fait une contre-performance de -34,57%) : «L’impact ne se fait pas sentir dans l’immédiat, puisque nous sommes dans une vision à moyen et long terme. La baisse du cours n’influe en aucun cas sur notre stratégie et nos décisions n’ont pas pour seul objectif de faire remonter le cours», atteste-t-il.

Et le défi est justement là ! Le marché financier a beau être «déconnecté» de la sphère opérationnelle, à en croire les dirigeants, ces derniers doivent malgré tout satisfaire les exigences des intervenants du marché boursier, sans pour autant céder à tous «leurs caprices»: trouver ce juste équilibre entre un monde financier immatériel animé par des investisseurs assoiffés de rendement et un autre bien réel qui se veut prudent et obéissant à une logique plus long-termiste. «Un bon gestionnaire doit diriger en se détachant de l’évolution du cours de sa société. L’objectif n’est pas de booster le cours sur le court terme, rapidement, mais plutôt le faire évoluer sur le long terme et pour ce faire il faudrait créer de la valeur pour les actionnaires», affirme Najib Hakim Belmaachi, président du directoire de Disway, avant d’ajouter que «parfois, les décisions qui ont un impact positif sur des horizons longs ont une incidence négative sur le court terme et vice versa». Par exemple, prendre la décision de distribuer moins de dividendes. Pour les actionnaires une distribution moins généreuse est synonyme de rendement annuel moins important, tandis que pour l’entreprise se sont des réserves en plus pour démarrer un plan d’investissement ou autre. Et pour illustrer ce, disons-le, conflit d’intérêts, il n’y a qu’à remonter à quelques mois. Les cours d’une poignée d’entreprises ont été impactés suite à des annonces de rémunérations moins importantes que les années précédentes. C’est le cas notamment de LafargeHolcim qui a été sanctionnée par le marché malgré la réalisation de bonnes performances financières au titre de l’année 2016 (RNPG +30%). En effet, la valeur a annoncé une rémunération par action de 66 DH (contre 86 DH en 2015). Résultat, le cours du cimentier a perdu plus de 9% de sa valeur le temps d’une séance. C’est le cas également de la Compagnie minière de Touissit (CMT) qui a annoncé cette année la distribution d’un dividende par action de 48 DH (contre 135 DH l’année dernière). En une semaine, la société a perdu plus de 23% de sa valeur !

«Ce que vous devez faire pour satisfaire vos actionnaires sur le court et moyen terme n’est pas bon sur le long terme. Il faudrait donc, en tant que gestionnaire, résister à cela», rajoute M. Belmaachi. Une contrainte à gérer quand on est coté en bourse… et qui n’est pas la seule selon nos intervenants. Toujours selon M. Belmaachi, «le fait qu’on soit les seuls grossistes sur la bourse nous oblige à être transparents contrairement à nos concurrents. Ceux-ci ont de la visibilité quasiment en temps réel sur notre performance». M. Puech rajoute dans ce sens que «les opérateurs du marché font parfois une lecture exagérée des chiffres. Quand les résultats sont moins bons que prévu, les effets sur le marché sont accentués». Une autre contrainte est celle de la lourdeur que la cotation impose en termes de formalisme (production régulière de documents et d’états de synthèse). M. Belmaachi rajoute qu’«une société cotée a plus de pression de devoir réaliser des performances année après année. Tandis que quand elle ne l’est pas, les décisions sont mieux comprises puisque les comptes sont rendus à un noyau d’actionnaires restreint».

Mais bien évidemment, à côté de ces contraintes, la bourse offre également bien des avantages à ces sociétés. «Au-delà des fonds levés qui ont permis un réel développement de notre activité, notre IPO a prouvé qu’on est transparent, a renforcé notre notoriété et crédibilité. La gouvernance de l’entreprise s’adapte aux meilleures pratiques ; ce qui contribue à une meilleure performance. Finalement, la visibilité de la société cotée est accentuée du fait des publications et des communications», affirme Hassan Debbarh. Pour M.Bensaid, «depuis notre introduction en bourse, nous avons renforcé nos engagements et notre transparence. Tout cela nous a offert une institutionnalisation qui nous fait du bien sur le plan commercial. Nous avons des partenaires qui nous ont accompagnés dans le cadre de notre IPO et qui crédibilisent notre action, d’abord en tant que société et ensuite en tant que métier. Notre cœur de métier (le conseil) n’est pas très connu, le fait qu’on soit coté en bourse nous permet d’expliquer notre métier plus facilement et les institutionnels qui nous accompagnent crédibilisent notre savoir-faire».

[tabs][tab title = »Le paradoxe de l’œuf et de la poule« ]On l’a compris plus haut, l’incidence du cours boursier sur l’activité opérationnelle des sociétés cotées est quasiment inexistante. «C’est plutôt l’activité qui a une incidence sur le cours», affirme le directeur du département Analyse et Recherche d’une société de bourse, avant d’ajouter : «Dans certains cas extrêmes, le cours qui baisse suite à des informations négatives sur la société peut refroidir les fournisseurs et les clients. Cette situation est quasi inexistante au Maroc, mais récurrente dans les pays développés où les partenaires de l’entreprise suivent de près l’évolution des cours et peuvent agir en conséquence». Cependant, l’incidence de l’activité sur le cours n’est pas non plus systématique sur le marché marocain. Sans rentrer dans le sempiternel débat lié au manque d’efficience du marché marocain, on ne peut nier que la corrélation entre les performances des sociétés et leurs cours n’est pas toujours évidente. Disway l’a d’ailleurs bien compris, selon M. Belmaachi : «Lors de notre introduction en bourse, nous avions annoncé des résultats supérieurs aux prévisions, avec une croissance de plus de 50%. Malgré ces très bonnes performances, notre cours en bourse n’a pas bougé d’un dirham !».[/tab][/tabs]

[tabs][tab title = »Le cours d’une société reflète-t-il sa valeur réelle ?« ]Les cours boursiers changent en continu sous la pression des forces du marché, c’est-à-dire en fonction de l’offre et de la demande de titres. Reflètent-ils alors la valeur réelle des entreprises cotées ? Si les décisions d’achat et de vente d’une partie des investisseurs sont motivées par des considérations économiques (rentabilité, croissance, perspectives de développement…), elles sont dans plusieurs cas influencées par des facteurs bien moins rationnels. La preuve, les cours de nombre de sociétés affichent un grand décalage par rapport aux valorisations scientifiques réalisées par les analystes financiers. Si cette situation peut inquiéter certains actionnaires, notamment en amont de la réalisation de certaines opérations sur le capital (cession, augmentation de capital…), il faut savoir que le cours en bourse est moins pris en compte dans les travaux de valorisation que certaines méthodes comme l’actualisation des flux futurs de trésorerie.[/tab][/tabs]