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Intermédiation en assurance: le business devient difficile

La concurrence bat son plein : près de 1 900 agents et courtiers, en plus des banques et des bureaux directs des assureurs. Les taux des commissions stagnent dans un contexte de baisse des prix. Le fonds de roulement à mobiliser devient plus important pour atteindre l’équilibre financier.

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En 2011, La Vie éco  avait publié un article sur le business de l’intermédiation en assurance. Ce domaine d’activité était rentable et attirait de plus en plus d’acteurs, au point qu’il est devenu très concurrentiel. Six ans après, ce secteur se porte-t-il toujours aussi bien? C’est la question que nous avons posée aux agents et courtiers de la place. «Si l’on se base sur les performances réalisées par les compagnies d’assurances, on répondrait aisément que le secteur se porte bien. Cependant, au niveau de la distribution, le contexte est loin d’être aussi favorable», affirme Salim Kanouni, directeur général de CQ Risq Assurance.

Notons que le chiffre d’affaires du secteur des assurances s’est établi à 30,4  milliards de DH en 2015, en augmentation annuelle de 7%. La branche automobile, qui intéresse particulièrement les intermédiaires, représente 9,5 milliards de DH, soit environ 32% des primes émises. «En 2016, le secteur a réalisé plus de 31 milliards de DH de primes émises», nous livre un opérateur du secteur. Pour Khalid Aouzal, président de la Fédération nationale des agents et courtiers d’assurances (FNACAM), «bien que les assureurs enregistrent une croissance soutenue depuis plus de 20 ans, c’est loin d’être le cas pour le réseau de distribution (agents et courtiers) et cela est dû principalement aux taux de commission qui n’ont pas été revus depuis 1989, dans un contexte de dégringolade des prix, mais également à l’explosion du nombre d’intervenants qui a triplé ces 15 dernières années». En effet, le secteur qui comptait 1 196 intermédiaires à fin 2009 répartis entre 890 agents généraux et 306 courtiers d’assurance est passé à 1 878 en 2015, soit un taux de progression de 57% en six ans ! Selon un opérateur, «nous avons assisté silencieusement à la multiplication des points de vente, résultat de la politique de développement trop ambitieuse des grandes compagnies».

25% des clients changent d’intermédiaire chaque année

La libéralisation des tarifs, notamment dans la branche automobile en 2005, a donné le coup d’envoi à une concurrence soutenue, à une baisse des prix, et au développement des services et prestations qui a été favorable dans un premier temps au consommateur. «On assiste actuellement à une concurrence féroce au niveau du réseau de distribution, à tel point qu’on parle de cannibalisme lorsque les agents d’une même compagnie se livrent à une course acharnée pour recruter la clientèle», atteste M. Kanouni, avant d’ajouter que «la baisse des tarifs n’a pas eu que des effets positifs». En effet, l’augmentation du parc auto et le comportement des automobilistes ont eu une incidence négative sur la sinistralité. Depuis 2013, les compagnies ont augmenté la valeur de la franchise en cas de sinistre ainsi que la majoration pour les sinistres où la responsabilité de l’assuré est avérée, ce qui engendre une contradiction entre le discours commercial/marketing et la qualité de l’indemnisation ainsi que le niveau de prix des garanties contractuelles. C’est l’assureur conseil qui se trouve entre le marteau et l’enclume puisqu’il doit satisfaire son client et appliquer les directives de sa compagnie. «En tout état de cause, ces évènements font que le client est plus sensible au tarif et a acquis la faculté de comparer avant d’acheter. Le portefeuille devient volatil et on compte une perte régulière de 25% de clients qui ne renouvellent pas leur contrat», atteste M.Kanouni.

En plus de cette concurrence entre intermédiaires, tous les opérateurs contactés se rejoignent pour affirmer que la profession souffre du non-respect de la déontologie, notamment «l’ouverture de plusieurs bureaux de gestion directe par les assureurs et la concurrence des banques sur des produits qu’elles ne sont pas censées distribuer comme l’assurance auto», affirme M. Aouzal. «Nous déplorons aussi la concurrence déloyale avec les gros courtiers qui offrent des facilités de paiement sur leur propre capacité financière», confie M. Kanouni.

A ce titre, l’application de la circulaire de l’ACAPS relative à l’interdiction du paiement échelonné des primes automobiles serait une bonne chose pour le secteur, selon les intermédiaires, «mais comme elle est entrée en vigueur il y a moins d’un an certains réglages [mise en place de centrale d’impayés…] restent encore nécessaires. A mon avis, dès juillet 2017, tout le monde se rendra compte que c’était la solution à retenir pour le paiement des primes automobiles», ajoute M. Aouzal. Cependant, les opérateurs déplorent le manque de communication de la part des autorités de tutelle et des compagnies d’assurance, à en croire M. Kanouni. Ces derniers n’ont pas suffisamment sensibilisé l’opinion publique sur la mise en place de cette circulaire-loi. Nous souffrons avec le client habitué à l’étalement de sa prime et qui n’a pas toujours les moyens de régler au comptant une somme de 4 000 DH ou plus. Des solutions existent, comme la remise d’une attestation provisoire en attendant de compléter le règlement. Mais la finalité est admise par la profession, car nous ne voulons plus supporter les primes impayées.

Un fonds de roulement minimum de 500 000 DH pour démarrer l’activité

Dans ce contexte, les conditions d’exercice du métier d’agent ou courtier d’assurance deviennent difficiles. «Pour un acteur qui démarre dans le secteur, il faudrait qu’il dispose d’un fonds de roulement minimum de 500 000 DH», selon M. Kanouni. Dans un exemple développé avec les agents et courtiers contactés, le fonds de roulement retenu est de 730 000 DH. L’intermédiaire devrait réaliser ses opérations d’assurance dans un local bien situé en rez-de-chaussée. S’il compte le louer, il devrait envisager environ 180 000 DH de charges locatives annuelles. Pour l’aménagement, il table sur une somme de 200 000 DH. Au niveau du recrutement, «vu la délégation de la gestion par les compagnies aux intermédiaires, l’agence devrait se composer de 3 ressources en plus de l’agent», affirme M. Kanouni. Soit une charge salariale annuelle d’environ 350 000 DH. Notons que l’agent peut se faire subventionner par sa compagnie pour l’aménagement. Du reste, il faut supporter les charges de fonctionnement (consommable, eau, électricité, matériel, déplacements, frais de prospection, provisions d’impayés…). «Avant d’atteindre son seuil de rentabilité, l’agence doit envisager de fonctionner pendant une année civile sans toucher aux commissions», affirme M. Kanouni. Le seuil de rentabilité admis dans la profession est de 5 MDH de chiffre d’affaires. L’agent est rémunéré à la commission, laquelle varie de 8 à 25% (parfois 1% pour l’épargne); en moyenne, il faudra retenir 10%. Les commissions dégagées seront dans notre exemple de 500 000 DH. «A ce stade, l’agence est au point d’équilibre», conclut M. Kanouni.

[tabs][tab title = »L’avenir de la profession tributaire de plusieurs facteurs« ]Selon M. Kanouni, l’avenir de l’intermédiation en assurance dépend de plusieurs facteurs pour que la profession reste équilibrée tant au niveau social, économique que professionnel. Il y a d’abord la qualité du réseau. Pour accéder à la profession, les compagnies et l’ACAPS doivent rester sélectives dans l’octroi des agréments. L’agent doit être un bon manager et un bon commercial maîtrisant parfaitement le métier et la réglementation. Il y a ensuite la rémunération des opérateurs. Pour ce professionnel, le taux de commissionnement devrait être de 25% (contre 12 brute HT actuellement) pour la branche automobile. Enfin, s’agissant du reversement des primes, les agents doivent respecter scrupuleusement la circulaire de l’ACAPS pour éviter tout endettement dû aux impayés.[/tab][/tabs]

[tabs][tab title = »Les derniers changements qu’a connus le secteur« ]Au niveau de l’organisation professionnelle, le secteur de l’intermédiation en assurance, historiquement représenté par la FNACAM, a vu la naissance, fin 2013, de l’UMAAG, aujourd’hui UMAC. Elle est représentée par une nouvelle génération initialement d’agents, puis d’agents et courtiers. Ses revendications semblent légitimes pour la majorité des intermédiaires. En décembre 2015, les deux entités représentant les intermédiaires ont signé un protocole d’accord pour un rapprochement dans l’objectif d’unir leurs expertises et leurs moyens pour servir l’intérêt général de la profession. Au niveau réglementaire, les changements résident notamment dans le projet d’amendement du livre IV du Code des assurances et particulièrement les conditions d’accès à la profession. Aussi, la circulaire du 1er avril 2016 de l’ACAPS a pour but d’assainir financièrement le secteur des impayés en rendant obligatoire le paiement au comptant de la prime d’assurance automobile et son reversement immédiat par l’intermédiaire à la compagnie. Cette mesure a eu pour conséquence de changer radicalement la relation commerciale entre les clients et leurs assureurs conseils en supprimant les facilités. Elle soulève également la question de la clôture des soldes antérieurs pour la majorité des intermédiaires qui traînent derrière eux un cumul de primes impayées entre 1 et 3 MDH. L’autorité de contrôle parle de 11 milliards de DH d’impayés du secteur; les intermédiaires estiment qu’ils ne doivent pas supporter seuls ce fardeau.[/tab][/tabs]