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Bonne gouvernance : le rapport du CDVM qui épingle les sociétés cotées
Il a réalisé une enquête auprès des sociétés cotées qui identifie les domaines nécessitant une amélioration.
Séparation des pouvoirs, évaluation des dirigeants, transparence sur les rémunérations…, plusieurs pratiques sont encore peu respectées.
Seules 46 sociétés sur les 75 de la cote ont répondu au questionnaire du régulateur.

La gouvernance des entreprises est toujours un sujet d’actualité dans plusieurs pays. Les révélations en matière de non-respect des règles déontologiques de gestion, notamment dans les institutions financières, consécutives à la crise internationale, ont fait de l’instauration de règles de gouvernance d’entreprise une priorité dans toutes les économies. Au Maroc, un code de bonnes pratiques de gouvernance des entreprises a été adopté en 2008 suite au travail commun de plusieurs instances officielles et professionnelles (ministère des finances, CGEM, Bank Al-Maghrib, ANPME…). Il constitue un recueil de lignes de conduite et de recommandations alignées sur les benchmarks internationaux et en phase avec les principes énoncés par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), tout en étant adaptées au contexte local.
Si la mesure est à saluer, qu’en est-il de son application ? Le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM), qui fait partie des organes ayant contribué à l’élaboration dudit code, a tenté de faire le point auprès des sociétés cotées à la Bourse de Casablanca. Il leur a adressé en septembre 2009 un questionnaire relatif aux principes et règles de gouvernance d’entreprise appliquées en leur sein. Sur les 75 sociétés de la cote, seules 46 ont répondu aux questions, dont 31 sociétés appartenant au premier compartiment (grosses capitalisations), 7 au second compartiment (capitalisations moyennes) et 8 au troisième (petites capitalisations). Les résultats montrent que les sociétés de l’échantillon ont encore du chemin à faire dans plusieurs domaines relatifs aux règles de bonne gouvernance, telles qu’édictées dans le code.
41% des sociétés cotées n’ont pas encore adopté le code marocain de la bonne gouvernance
Notons d’abord que les sociétés cotées à la Bourse de Casa (du moins celles qui se sont prêtées au jeu des questions-réponses) n’ont pas encore toutes adopté le code marocain de bonne gouvernance. Sur les 46 entreprises interrogées, seuls 57% ont déclaré l’avoir fait. 2% de l’échantillon affirment avoir pris les dispositions nécessaires pour sa mise en place dans les meilleurs délais, et 41% n’ont toujours rien entrepris dans ce sens. Parmi les sociétés qui ont adopté le code, 71% sont cotées au premier compartiment de la Bourse. Cela dit, le CDVM déclare que «la majorité d’entre elles n’intègre pas certaines règles de bonne gouvernance, en particulier celles relatives à la rémunération des dirigeants et à l’évaluation des organes de gouvernance».
En effet, au niveau du mode de fonctionnement des organes de gouvernance, 79% des sociétés optent toujours pour la gestion moniste, c’est-à-dire à conseil d’administration. Ceci alors que le code marocain de bonnes pratiques recommande l’adoption du mode dual (directoire et conseil de surveillance), afin de renforcer le caractère collégial des décisions et accroître la capacité de l’organe de gouvernance à prendre des décisions en toute indépendance vis-à-vis des dirigeants.
La séparation des pouvoirs entre le président et le directeur général n’est pour sa part pas respectée chez 54% des entreprises interrogées. «Cette proportion dénote une certaine réticence à marquer une frontière entre la gestion et le contrôle de celle-ci et à opérer une émancipation réelle de l’organe de gouvernance», explique le CDVM. Notons que la séparation des pouvoirs est l’une des principales règles d’une bonne gouvernance. Elle vise à éviter une trop forte concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne, à confier à des acteurs distincts les dimensions «gestion» et «contrôle» des décisions, à instituer un contre-pouvoir qui agit comme un frein au laxisme et à l’opportunisme, ainsi qu’à mieux répartir les responsabilités entre la stratégie à long terme de l’entreprise et sa gestion opérationnelle.
60% des sociétés cotées n’ont pas de comité de rémunération et de nomination
Un point positif est toutefois à relever en ce qui concerne la composition des organes de gestion. 89% des sociétés de l’échantillon déclarent en effet avoir des administrateurs non exécutifs au sein de leurs instances de gouvernance. La participation de ces acteurs permet de porter un regard objectif et de garantir une certaine indépendance de jugement vis-à-vis des dirigeants.
L’existence de comités spécialisés au sein des organes de gouvernance de 71% des entreprises interrogées est aussi un élément positif à mettre à leur actif. Seulement, si les comités d’audit (arrêté des comptes, évaluation des risques…) existent chez 77% des sociétés cotées, celui des rémunérations et des nominations n’existe pas chez 60% d’entre elles. Or, il s’agit d’un comité important qui aide l’organe de gouvernance à mettre en place avec clairvoyance une politique de rémunération à la fois juste et incitative des administrateurs et des dirigeants, et de s’assurer de l’adéquation de la qualité des équipes dirigeantes à la stratégie de l’entreprise.
En matière d’évaluation, 41% des sociétés de l’échantillon ne font pas évaluer les travaux de leurs organes de gouvernance. «Ces sociétés ont presque toutes la même particularité, à savoir le mode de gouvernance moniste», note le CDVM. Ce dernier précise que le code marocain recommande qu’une évaluation formalisée de l’organe de gouvernance soit conduite tous les 3 ans au moins, sous la direction d’un membre non exécutif ou externe avec l’assistance d’un expert. Elle doit permettre d’apprécier la contribution effective de chaque membre en termes de présence aux réunions et de son implication constructive dans les discussions et les prises de décisions. Et en ce qui concerne l’évaluation des dirigeants, 65% des entreprises interrogées ont déclaré avoir un système d’évaluation qui repose sur le suivi des objectifs fixés. 2% des sociétés sont en train de mettre en place ce système, alors que 33% n’ont rien entrepris dans ce sens.
Vient la question de la rémunération. Sur ce volet, l’enquête note que 87% des sociétés de l’échantillon ne diffusent pas d’informations relatives à la rémunération de leurs dirigeants. «Les 13% qui communiquent sur leurs rémunérations représentent une faible proportion qui se justifie par la sensibilité du sujet», estime le CDVM. Or, la rémunération des dirigeants est un moyen privilégié pour les actionnaires de s’assurer que leur entreprise est gérée au mieux, voire même un de leurs seuls leviers d’actions sur les dirigeants. Par ailleurs, 57% des sociétés cotées ne diposent pas de plans d’intéressement des dirigeants et salariés. Il s’agit d’un moyen de rémunération et de motivation qui permet d’associer les performances réalisées aux rémunérations versées, notamment les plans d’actions, les bonus et les primes annuelles. Les 41% restants ont déjà mis en place des plans d’intéressement, dont 10% qui sont réalisés par les banques à travers des offres publiques de vente d’actions ou des augmentations de capital, dédiées exclusivement aux salariés.
90% des sociétés ne publient pas des indicateurs trimestriels
Pour ce qui est de la communication financière, le code marocain de bonnes pratiques insiste sur la publication d’indicateurs financiers et d’activité pertinents, sur une base trimestrielle, afin d’assurer au marché boursier une certaine continuité et régularité de l’information relative aux sociétés cotées durant l’exercice. Seulement, près de 90% des entreprises interrogées se contentent de ne publier que l’information obligatoire sur une base semestrielle. Et au niveau des rapports annuels, outils privilégiés de la stratégie de communication financière des sociétés cotées, en raison de la multiplicité de ses utilisateurs potentiels, près de 40% des sociétés de l’échantillon n’intègrent pas d’informations relatives à la gouvernance dans leurs documents.
Malgré ces retards constatés sur le plan de la communication financière, certaines règles de bonne gouvernance en la matière sont respectées par un nombre plus important de sociétés cotées. En effet, 74% de l’échantillon disposent d’une personne dédiée à la communication financière. Ce responsable permet à l’entreprise d’améliorer ses pratiques de communication vis-à-vis du marché et d’instaurer une politique de communication structurée. Il y a aussi l’existence d’une structure dédiée au contrôle interne (conformité aux lois et réglementations en vigueur, fiabilité des informations diffusées…), pratique que 89% des entreprises interrogées respectent. Enfin, 89% des sociétés de l’échantillon possèdent un site web pour la diffusion de leurs informations au grand public, malgré l’absence de réglementation en la matière.
