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Blanchiment des capitaux : le Maroc poursuit la lutte

Les banques se placent toujours comme les premiers pourvoyeurs de fonds d’origine douteuse. Le dispositif est verrouillé pour prévenir les opérations suspicieuses. Un projet de loi renforcé est en cours de validation. A fin 2018, l’unité de traitement des renseignements financiers (UTRF) a reçu 1085 déclarations de soupçon, avec une part de 97% liée au blanchiment des capitaux.

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Le Maroc continue de renforcer son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Tous les acteurs de l’écosystème financier y sont impliqués (banques, sociétés de financement, établissements de paiement, compagnies d’assurance et de réassurance, associations de micro-crédit…), et même ceux du secteur non financier, à l’instar des avocats, des notaires, des établissements de jeux de hasard, des agents immobiliers…

Pour ratisser large, un projet de loi n° 12.18 modifiant et complétant le code pénal et la loi n° 43.05 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, est en cours de préparation. Il prévoit notamment d’adopter un système de liste au lieu de la méthode du seuil dans la détermination des infractions constituant un blanchiment de capitaux, en ajoutant à la liste des infractions citées dans l’article 574-2 du Code pénal d’autres infractions relatives aux marchés financiers et des infractions en matière de vente et de services fournis de façon pyramidale. Il stipule aussi de relever les amendes minimale et maximale prononcées à l’encontre des personnes physiques impliquées dans l’infraction de blanchiment de capitaux prévue à l’article 574-3 du Code pénal, conformément aux normes internationales qui exigent que la peine encourue pour ce genre d’infractions soit dissuasive. En outre, le texte compte intégrer de nouveaux concepts et reformuler les définitions figurant à l’article 1 de la loi n° 43.05 à la lumière des exigences des normes internationales, sans préjudice des dispositions légales en vigueur. Le renforcement des mesures de vigilance et de contrôle interne sont également à l’ordre du jour ainsi que la mise en place des règles d’accréditation auprès de tiers afin de mettre en œuvre les dispositions relatives à l’identification du client et du bénéficiaire effectif et de comprendre la nature de la relation commerciale.

En tout cas, toutes les parties prenantes poursuivent leurs efforts pour combattre ce fléau. A fin 2018, l’Unité de traitement des renseignements financiers (UTRF) a reçu 1085 déclarations de soupçon (DS), avec une part de 97% liée au blanchiment des capitaux. Depuis sa création en 2009, l’entité a reçu un total de 3 432 déclarations. Ce chiffre est en hausse de 50% par rapport à 2017 et de plus de 256% par rapport à 2014. Ce qui dénote de l’engagement des déclarants du secteur qui ont produit davantage de DS au cours des trois dernières années. Ces dernières proviennent de 31 personnes assujetties. Les banques sont les premiers pourvoyeurs de ces déclarations, tout comme les années précédentes. Au total, 16 banques de la place ont été à l’origine de 71% des déclarations. Le reste émane de 6 établissements de paiement, 3 entreprises d’assurance et de réassurance, 3 sociétés de crédit à la consommation, une société de gestion des moyens de paiement, une association de micro-crédit et une société de bourse. Par ailleurs, dans le cadre de l’enrichissement des dossiers traités, l’unité a adressé en 2018 aux personnes assujetties du secteur financier 7526 demandes d’informations contre 3 924 en 2017, ce qui correspond à une augmentation de 91,79%.

Les personnes à l’origine de fonds douteux continuent de passer par le circuit bancaire pour justifier le dépôt ou le virement de sommes colossales. Un calcul qui tombe à l’eau, puisque toutes les banques disposent d’un système verrouillé pour prévenir ces opérations. «N’importe quel client peut être douteux, même ceux avec qui une relation de confiance est établie, dès lors que des opérations suspicieuses sont constatées sur son compte bancaire», précise un directeur d’agence. La vigilance est donc de mise.

De toute évidence, les agences bancaires sont la pierre angulaire pour contrer le blanchiment des capitaux/financement du terrorisme. Le contrôle est donc enclenché à partir de ces agences. «Si un client cadre moyen procède à un dépôt d’une grosse somme, inhabituellement, ou si des montants même pas très importants sont versés fréquemment, le directeur d’agence doit se munir de précautions», ajoute notre directeur. En ce sens, il est obligé de collecter les informations nécessaires sur le client, sur la nature de son activité, sur la source des fonds, sur la fréquence des opérations effectuées. En fait, le banquier est soumis à deux obligations distinctes mais étroitement liées : la vigilance et la déclaration. Non seulement cela, il a l’obligation également, en cas de virements, de rechercher le bénéficiaire effectif, si la personne véreuse agit au profit d’une autre, ou du moins en informer le banquier confrère auprès de qui l’opération a été réalisée. «Les banquiers doivent agir de concert afin de prévenir certaines opérations suspicieuses, solidarité oblige». Si l’on prend le cas du dépôt d’argent, toutes les banques ne procèdent pas de la même manière. Et dans ce cas, les banques, filiales de groupes français, ont une longueur d’avance sur leurs consœurs marocaines. Les premières n’acceptent aucune somme jugée «douteuse» avant d’en référer au siège. Et c’est à la hiérarchie d’autoriser ou non le dépôt en question. En revanche, les banques marocaines, elles, encaissent le montant déposé et engagent une enquête par la suite pour identifier le client. De même, il n’existe pas de seuil minimum auprès des banques marocaines, à partir duquel les banquiers jugent un dépôt suspicieux, contrairement aux banques françaises, qui, pour certaines, un justificatif s’impose à partir de 100000 DH pour les personnes physiques et 300000 DH pour les personnes morales. «Tout dépend de la relation qu’entretient le banquier avec son client. Il est normal pour un commerçant, un grossiste, un agriculteur… de déposer des sommes importantes régulièrement, comme il est naturel qu’un promoteur, un notaire ou un entrepreneur procède à des dépôts ponctuels», note un banquier.
Cela dit, les virements reçus de l’étranger, les ouvertures de compte par les non-résidents et les dépôts de devises sont contrôlés consciencieusement. Une déclaration de la douane est obligatoirement et immédiatement exigée au client lors du dépôt de devises dans un compte en DH convertibles. En revanche, si le versement est effectué sur un compte MRE ou un compte courant résident, une justification est imposée à partir de la contre-valeur de 100 000 DH en devises. De plus, les banques disposent d’un filtre pays, à travers lequel les banques redoublent d’efforts pour contrôler les sommes reçues. Il s’agit notamment de pays comme la Syrie, le Soudan, la Libye, l’Arabie Saoudite…

Le système est certes bien verrouillé. Toujours est-il, il existe des moyens pour déjouer la réglementation. Le moyen le plus courant est le bon de caisse anonyme. Bien qu’officiellement interdit, il reste souvent utilisé pour préserver les intérêts de certains gros clients. Sont également utilisés les dépôts par tranches sans dépasser le seuil à partir duquel l’opération devient suspecte, ou encore les mises à disposition.

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas lésiner sur les moyens pour s’assurer de l’activité du client et de l’origine des fonds. Dans le cas d’une suspicion avérée, le banquier envoie une alerte au département chargé de la sécurité financière, comprenant toutes les informations nécessaires sur le client et sur l’opération douteuse. Il revient ensuite au département concerné de poursuivre les investigations. Ainsi, une déclaration de soupçon est envoyée immédiatement à l’UTRF qui se charge de mener sa propre enquête. Selon la loi 43-05, cette déclaration «peut former opposition à l’exécution de toute opération ayant fait une déclaration de soupçon. Dès que les informations recueillies mettent en évidence des faits susceptibles de constituer une infraction de blanchiment, elle en réfère au procureur du Roi qui peut ordonner le gel par l’interdiction temporaire de l’opération ou la désignation d’une institution afin d’assurer la garde ou le contrôle des biens», stipule la loi 43-05.

En tout cas, si l’UTRF communique dans ses rapports annuels, sur le nombre de déclarations de soupçon, les demandes d’enrichissement, les entités assujetties… aucune autre information ne filtre se rapportant aux montants blanchis ou au dénouement des opérations que ce soit par rapport à la personne suspecte et son patrimoine, ou l’impact annuel des fraudes sur l’économie nationale.

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[tab title= »L’AMMC s’implique davantage dans la lutte contre le BC/FT » id= » »]Dans le cadre du renforcement du dispositif national de lutte contre le blanchiment des capitaux, l’autorité marocaine des marchés des capitaux a élaboré un guide pratique relatif aux professionnels du marché.

Il intervient à la suite de la publication de la circulaire n°01/18 relative aux obligations de vigilance et de veille interne incombant aux organismes et personnes soumis au contrôle de l’AMMC. Entre autres objectifs, il vise à accompagner et sensibiliser les intervenants du marché des capitaux et à les aider à la compréhension des exigences légales et réglementaires en la matière, en présentant notamment des exemples pratiques pour la déclinaison opérationnelle des dispositions.[/tab]
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