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Agence immobilière : une affaire peu juteuse en ces temps de crise
Une petite agence peut à peine réaliser dix ventes et dix locations contre le triple il y a quelques années. Pour un tel niveau d’activité, le bénéfice annuel ne peut dépasser 150 000 DH.

Le secteur immobilier au Maroc ne sort toujours pas de la crise. Les transactions se font au compte-gouttes malgré une demande locale toujours accrue et une offre relativement abondante, et ce, en raison de prix élevés soutenus par la rareté du foncier dans certaines zones plébiscitées. Dans ce contexte, les agences immobilières survivent à peine. La période d’euphorie 2005-2008 où tout le monde achetait et tous les promoteurs construisaient, sur fond d’explosion de l’encours des crédits immobiliers, est en effet bien révolue. Les agences immobilières facturaient des commissions sur les transactions à la limite supérieure des barèmes pratiqués et encaissaient par conséquent des gains colossaux. Aujourd’hui, on assiste même au dépôt de bilan de certaines d’entre elles. Seules les agences structurées avec un portefeuille clients bien garni résistent à cette conjoncture.
Il faut dire aussi que la concurrence rude à laquelle elles se livrent en raison de leur nombre croissant et le manque d’organisation du secteur du fait de l’absence d’une réglementation stricte (un projet de loi est en cours de préparation, voir encadré) n’arrangent pas les choses. D’un autre côté, l’activité est caractérisée par une saisonnalité qui n’est pas toujours facile à gérer. Les ventes se font en effet plus pendant l’été au détriment de la location. Cette dernière se fait plutôt présente en hiver.
Dans ces conditions, une agence immobilière de petite taille, venant de s’implanter sur le marché et qui intervient seulement dans l’intermédiation immobilière (gestion locative et conseil non compris), ne peut réaliser qu’un petit bénéfice, et encore, il faudra batailler pour pouvoir le dégager. Si l’on prend l’exemple d’une agence qui réalise une dizaine d’opérations de vente et de 10 à 15 locations par an, moyennant les commissions en vigueur sur la place, elle peut à peine prétendre à un bénéfice net de 145 500 DH (voir tableau).
Aucune condition d’accès à la profession, mais une maîtrise du marché de l’immobilier est nécessaire
Tout d’abord, même si aucune réglementation ni conditions d’accès n’existent pour la profession, une personne voulant devenir agent immobilier doit maîtriser un certain nombre d’aspects du marché de l’immobilier pour espérer réussir son affaire. «Mis à part l’aspect commercial, elle doit avoir des notions non seulement techniques mais aussi juridiques. Du coup, elle doit savoir lire et concevoir une note de renseignement, un contrat de vente, un contrat locatif et avoir des connaissances en matière de fiscalité immobilière», souligne Majid Alaoui, propriétaire de l’agence Imvalory et secrétaire général de l’Association marocaine des agences immobilières (AMAI).
Ensuite, le propriétaire doit préalablement, à l’ouverture de son agence, créer et étoffer son réseau de clients. Qu’ils soient particuliers, grands comptes ou promoteurs immobiliers, le patron doit impérativement posséder un portefeuille clients assez large pour démarrer confortablement.
Il faut noter que l’investissement de départ n’est pas très coûteux puisqu’il ne nécessite aucune dépense importante hormis celles relatives à l’aménagement des locaux (loués) et l’achat du matériel de bureau et informatique. Le tout peut se limiter à 60 000 DH. En parallèle, pour se faire connaître et drainer des clients, une agence doit au moins créer un site web moyennant près de 15 000 DH et effectuer des insertions publicitaires dans les supports médiatiques spécialisés dont le coût peut atteindre 80 000 DH. La mise en place des cartes de visite du patron et du personnel engagé ainsi que les flyers et autres moyens de publicité peut coûter dans les 20 000 DH. Un agent immobilier de la place conditionne le démarrage d’une agence par la disposition d’un fonds de roulement pour faire tourner la machine même en l’absence de rentrées financières. Il faut alors compter une enveloppe d’au moins 100 000 DH, ce qui porte le coût d’investissement de départ à 275 000 DH pour une agence de petite taille.
Une fois la société créée et dès que la machine commence à tourner, la société supporte des charges récurrentes relatives essentiellement au loyer, au personnel, aux différents services (téléphone, eau et électricité) et à la communication. Tout d’abord, il faut compter 10 000 DH de loyer mensuel pour un local à l’étage d’un immeuble, soit un montant annuel de 120 000 DH. Ceux qui préfèrent avoir pignon sur rue doivent débourser jusqu’au triple de la somme.
Ensuite, pour faire tourner la machine, la société doit compter au moins deux salariés, une secrétaire et un commercial. En comptant le salaire du patron, la masse salariale fixe tourne autour de 30 000 DH par mois, ce qui totalise 360 000 DH par an. De plus, il faut compter un intéressement du commercial sur chaque vente ou location effectivement réalisée. Ainsi, les commissions des commerciaux sur le marché vont de 8% à 20% du chiffre d’affaires réalisé, selon l’agence et la taille de l’opération. Dans notre exemple, on prend une moyenne de 4 000 DH par mois.
D’un autre côté, les frais de déplacement occasionnés lors des visites des lieux, de rencontre des clients ou même de voyages engendrent des dépenses mensuelles de près de 8 000 DH, soit 96 000 DH durant l’année. Il ne faut surtout pas oublier que, même si la société se fait un nom sur la place, elle doit continuer à miser sur la communication. Ce volet intègre également les annonces immobilières insérées dans les médias spécialisées ou non ainsi que dans les sites web. De ce fait, ces dépenses peuvent aller jusqu’à 120 000 DH par an. En y ajoutant les frais relatifs au paiement des factures des lignes portables et fixes du téléphone, Internet, eau et électricité d’environ 36 000 DH l’année, cela porte l’ensemble des charges dans notre exemple à 780 000 DH. Par ailleurs, le propriétaire doit s’acquitter de l’impôt sur les sociétés au taux de 15% dans le cas où il réalise un chiffre d’affaires inférieur à 3 MDH.
Une commission de 2,5% HT sur la vente et d’un mois de loyer sur la location facturée aux deux parties
Pour ce qui est des revenus d’une agence immobilière, ils sont constitués essentiellement de commissions perçues lors de la commercialisation d’un projet immobilier d’un promoteur, la vente de logements des particuliers ainsi que la location. Sur le terrain, une commission maximale de 2,5% HT du prix de la transaction est facturée à la fois à l’acheteur et au vendeur dans le cas de la vente d’un bien immobilier d’un particulier. S’il s’agit d’un promoteur immobilier, cette commission diffère selon les agences, la taille du projet et la durée accordée. Elle peut aller de 2% HT pour le moyen standing jusqu’à 5% HT pour le haut de gamme. Parallèlement, la commission au titre de la location est fixée à un mois de loyer, prélevée sur les deux parties également.
Comme expliqué avant, les revenus sont actuellement plombés par la conjoncture du marché de l’immobilier. En effet, les opérateurs du secteur contactés s’accordent à affirmer qu’ils arrivent à peine à sortir la tête de l’eau. «Les opérations de vente sont de moins en moins dénouées et les clients de plus en plus hésitants», se désole M. Alaoui. Du coup, un maximum de 10 biens immobiliers est vendu durant l’année. Pourtant, il y a quelques années, en 2006 et 2007 surtout, les ventes battaient leur plein avec un minimum de 30 transactions au titre de la vente par année. Dans les conditions actuelles, avec 10 logements vendus et 10 à 15 loués, le chiffre d’affaires totaliserait près de 950 000 DH. En déduisant l’ensemble des charges, soit 780 000 DH et en y appliquant un IS de 15%, le bénéfice ressort à environ 144 500 DH. C’est peu, certes, mais c’est quand même pas rien en attendant une reprise du secteur immobilier.
