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A titre d’information

Ceux qui sont passés par la rubrique du secrétariat de rédaction, fonction ingrate soit dit en passant dans la hiérarchie d’un journal, savent qu’un article ou une information, aussi brève soit-elle, ne peuvent être « vendus » que s’ils sont bien titrés.

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najib refaif 2012 10 16

Qui a dit un jour que dans le langage de la  diplomatie, un mot est un événement ? Certainement quelqu’un d’avisé qui sait de quoi il parle, et en  parle en connaissance de cause et des choses. C’est rarement le cas de la presse lorsqu’une information prend un tout autre sens une fois présentée par un titre dit «accrocheur». Ceux qui sont passés par la rubrique du secrétariat de rédaction -fonction ingrate soit dit en passant dans la hiérarchie d’un journal- savent qu’un article ou une information, aussi brève soit-elle, ne peuvent être «vendus» que s’ils sont bien titrés. La titraille est au journalisme ce que le camelot est à la quincaillerie qu’il est en charge d’écouler. Chacun a sa technique, son bagout et ses ficelles pour appâter le chaland et c’est même à cela que l’on reconnaît le style, la tenue et parfois la qualité, ou la «crédibilité» de la marchandise.

Il peut sembler rédhibitoire de parler ainsi de la presse lorsqu’on en fait soi-même partie, et que l’on ait exercé cette profession depuis un certain temps et, surtout, depuis une époque où ce métier était l’un des plus improbables dans le pays. Peut-être l’est-il encore selon l’idée que l’on s’en fait ou la manière dont on le pratique. Toujours est-il qu’ici comme ailleurs, cette profession est la moins encline à l’autocritique. Voilà pourquoi il n’est pas malsain parfois qu’elle se regarde dans le miroir en évitant de s’admirer et parfois de se lamenter. On se contentera ici de la titraille puisque c’est par ce biais que l’info se met à signifier. Sans vouloir faire dans le didactisme à deux balles, disons qu’il y a le titre informatif, neutre ou basique qui se veut objectif et sérieux, et puis il y a le racoleur qui vend du vent, puis celui qui se veut engagé ou polémiste… Mais on peut trouver aussi le titre référentiel, plus intello et second degré, en passant par le rigolo et le décalé. Tout dépend de la gazette, de sa ligne éditoriale, du lecteur auquel elle s’adresse et de la qualité du journaliste et de sa… culture. Ah la culture ! L’inquiétant, ici, ce n’est pas le journaliste de la culture, mais la culture du journaliste. Mais c’est une autre histoire. A moins que ce soit la même…
C’est en résumé et schématiquement la typologie de la titraille dans un paysage journalistique cohérent et articulé. Maintenant, quel est le paysage du côté de chez nous lorsque vous passez dans la rue ? Un amoncellement de journaux bigarrés qui jonchent les trottoirs et les carrefours des grandes artères. Car, faut-il le préciser ?, la presse se ramasse à la pelle mais sur les trottoirs des grands boulevards des villes. Le peu de kiosques avec présentoirs, affichettes et friandises sont aussi rares que le sourire des kiosquiers. Quant aux marchands à la sauvette qui étalent toute cette titraille menaçante ou anxiogène, ils sont parfaitement raccord (comme on dit au cinéma) avec le ton des titres et les illustrations qu’ils essaient d’écouler.

Restons dans la titraille, mais cette fois-ci elle est l’œuvre d’une agence de presse internationale, l’AFP pour ne pas la nommer. Une dépêche datée du 1er octobre courant rendait compte de la dernière étude faite par le Haut commissariat au plan relative au «bien-être» des Marocains. Le titre de la dépêche est en soi une saynète dialoguée : («Etes-vous pleinement heureux ? Sept Marocains sur dix répondent «non»). L’étude en question (encore une) se préoccupait en fait de ce que les technocrates de ce commissariat  nomment dans leur jargon «bien-être subjectif global», un truc dans le genre du célèbre Canada Dry, lequel devrait  ressembler et avoir la couleur et l’odeur du bonheur mais que, tant qu’à faire, l’agence qualifie derechef de Bonheur. Tout cela pour dire qu’au Maroc il n’y a que trois Marocains sur dix qui aient atteint cette béatitude. Ce qui, vous en conviendrez, est déjà un score miraculeux sachant que le Bonheur, lui, n’est pas de ce monde.

Et à propos de monde mais  aussi pour conclure, c’est le quotidien du même nom daté du 28 septembre dernier dans la rubrique Planète qui nous offre ce titre : «Des usines d’insectes pour nourrir les Chinois». Et cette accroche qui résume le propos et le légitime : «De plus en plus d’experts de la FAO voient dans le développement de l’entomophagie un substitut à la viande ou au poisson». Et pour être complet, un encadré offre des recettes pour cuisiner asticots et grillons dont justement une… quiche aux asticots. La quiche lorraine peut aller se rhabiller, car voici venu le temps des asticots, des criquets et d’autres bestioles longtemps méprisées. Quand on se rappelle que Céline disait en plaisantant qu’ «écrire pour la postérité, c’est faire un discours aux asticots».