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Urbanisme : Tout un chantier pour des villes décomposées
Les documents d’urbanisme, qui datent des années 90, sont à revoir de fond en comble. La preuve : Marchica, Bouregreg et Zénata, par exemple, sont des projets réussis mais rattrapés par des limites. D’où la question : «Quelle planification urbaine pour une ville durable ?»

La question de l’urbanisme et de la planification urbaine a toujours été au centre des préoccupations des opérateurs, qu’ils soient institutionnels, privés ou administratifs. La nécessaire revue des documents d’urbanisme qui, rappelons-le, régissent le Maroc depuis les années 1990 s’impose avec insistance.
Le pays a essayé d’aller à contre-courant de cet urbanisme rigide, avec la création de pôles urbains novateurs comme Marchica, Bouregreg ou encore l’éco-cité Zénata. Des modèles réussis qui donnent la part belle au cadre de vie du citoyen en termes de proximité, d’équipements publics, d’espaces verts…, mais qui ont montré leurs limites, puisqu’ils doivent s’inscrire dans toute une logique d’urbanisme national. Et c’est justement sur ce point que se sont attardés tous les intervenants à la 7e édition du Forum des Centraliens Supélec, qui a eu pour thème : «Quelle planification urbaine pour une ville durable ?»
Il va sans dire que le système à travers lequel fonctionne le pays est devenu progressivement désuet au fur et à mesure face au développement des territoires et de l’évolution de l’urbanisation. Actuellement, le Maroc compte 65% de la population urbaine et péri-urbaine et 58% d’entre eux vivent dans les 8 grandes aires urbaines. Cette croissance grandissante n’a pas pu être maîtrisée au regard de la rigidité des documents de planification urbaine, de l’absence d’instruments opérationnels, de cette réglementation contraignante, avec un zonage figé et aussi de l’ouverture démesurée à l’urbanisme.
Dérogation : Un mal pour un bien ?
Pour pallier ces contraintes, la dérogation a été considérée comme l’alternative ultime aux règles d’urbanisme. Sauf qu’au lieu de concerner des cas isolés, elle s’est généralisée pour contourner cette réglementation. Un mal pour un bien ? Après près de 20 ans de pratique, des audits scientifiques et multidisciplinaires devraient avoir lieu pour approuver ou rompre avec cette pratique. Rappelons qu’il y a plus de quatre ans, le CESE s’est penché sur l’impact de la dérogation dans le domaine de l’urbanisme. Il a recommandé de renoncer à cette logique, d’estomper les facteurs de blocage de l’investissement et de remédier aux dysfonctionnements du système de planification et de gestion urbaine.
Tous ces éléments ont donné lieu à «un éclatement de l’unité urbaine, des rapports centres-périphérie déséquilibrés, un déficit en infrastructures et équipements urbains de base et en services publics. Ce qui a créé de facto un déséquilibre entre la croissance démographique et le développement économique des villes et une accentuation de l’économie informelle avec une extension des disparités sociales», explique Amine Belkasmi Idrissi, président de la Fédération Majal, regroupant les fédérations des agences urbaines au Maroc. L’un des exemples les moins réussis en matière d’urbanisme n’est autre que les villes nouvelles. «Elles ont été traitées plus comme des parcelles de terrains que des villes à part entière. Elles ont été mises en place sans respecter le calendrier normatif de réalisation, à savoir prévoir les dessertes et les équipements, avant même de chercher à densifier les villes», affirme Habib El Begdouri, architecte urbaniste.
Tout n’est pas à plaindre
S’il y a d’autres problématiques qui s’ajoutent au système de l’urbanisme au Maroc, c’est bien la fragmentation institutionnelle et la dispersion des compétences, avec toute une armada d’acteurs intervenant dans la gestion des villes, mais aussi le financement. «56% des voies d’aménagement de Sidi Moumen, par exemple, ne disposent pas du budget nécessaire pour leur réalisation qui se monte à près de 1,25 milliard de DH», indique Abderrahim Ouattas, vice-président du Conseil de la ville de Casablanca. Tout n’est pas à plaindre. Le pays a réussi à produire des espaces urbains de qualité avec un SNAT, 12 SRAT, plus de 2 000 documents d’urbanisme depuis 1997 et une centaine d’hectares ouverte à l’urbanisation. Il se trouve juste que ce système est en fin de cycle. Plusieurs pistes de réflexion ont été recommandées par les intervenants ayant toutes trait à la promotion d’une nouvelle approche de la planification urbaine. Elle devrait intégrer les incidences du changement climatique, la rareté des ressources, les enjeux de la nouvelle mobilité et une approche centrée autour du citoyen permettant l’inclusion et la mixité sociale. Il s’agit aussi d’appuyer le développement des villes intermédiaires, de réinjecter les atouts de conception des médinas et de s’inspirer des expériences marocaines réussies et des benchmarks internationaux des villes durables. Tout un chantier…
Gouvernance, société civile, data… des recommandations à étudier
Comme la gouvernance est une composante essentielle dans l’actualisation de l’urbanisme au Maroc, il a été recommandé de créer une instance nationale en charge d’identifier les orientations stratégiques, de mettre en place les normes et les réglementations et d’évaluer les documents d’urbanisme. A côté, l’implication de la société civile est de mise, à travers l’installation d’un conseil auprès des communes, composé de scientifiques, sociologues, urbanistes…
Promouvoir le partenariat public-privé est tout aussi important pour assurer le financement de l’urbanisme et accélérer la réalisation des infrastructures publiques. Le financement devrait passer également par l’innovation dans la gestion du foncier et ce, à travers un mécanisme de titrisation innovant.
Tout cela ne serait réalisable sans la collecte de la data. A ce niveau, il est recommandé de développer une intelligence territoriale effective par la mise en place de dispositifs d’observation et de collecte de données du terrain et d’indicateurs urbains durables.
