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Affaires

Une TVA sociale pourra-t-elle booster les créations d’emplois ?

Le Conseil économique, social et environnemental a fait une proposition visant à  réserver 2 points de TVA à  la couverture des besoins nouveaux de protection sociale.
Aujourd’hui, les charges sociales évoluent plus rapidement que les prélèvements fiscaux.
La mise en place d’une TVA sociale devrait toutefois être envisagée dans le cadre d’un contrat avec le patronat.

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TVA 2014 03 25

Dans son dernier rapport de novembre 2012 sur le système fiscal marocain, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en avait fait la suggestion, mais l’idée est quasiment passée inaperçue : recourir à la TVA pour financer la couverture sociale. Plus exactement, le CESE préconisait, dans le cadre de la réforme de la TVA instaurant deux taux, 10% et 20%, de réserver 2 points du produit de cette taxe au financement de la couverture sociale. «Au lieu de baisser le taux de droit commun de 20% à 18%, comme il avait été suggéré un moment, nous avons estimé qu’il serait plus intéressant de le maintenir à 20%, à condition que ces deux points soient affectés au financement de la couverture sociale», explique aujourd’hui le principal rédacteur de cette partie du rapport.

Sans la nommer ainsi, cette proposition du CESE s’apparente beaucoup à ce que l’on appelle sous d’autres cieux «la TVA sociale». A cette différence, de taille, que la TVA sociale, là où elle est appliquée (en Allemagne et au Danemark, notamment), implique un allégement proportionnel des charges sociales pesant sur les revenus salariaux, donc sur les entreprises en fin de compte.
Pour le moment, le CESE ne va pas jusque-là. Il s’agit juste, à travers ces 2 points de TVA, de ne pas alourdir davantage les charges des entreprises pour financer les besoins nouveaux de couverture sociale (Ramed, fonds de solidarité…). «Notre idée, c’est de créer une caisse sociale, dans laquelle serait logé le produit de ces 2 points de TVA, soit l’équivalent de 6 milliards de DH, à charge pour le Parlement de voter chaque année l’affectation de cette somme», précise encore le responsable de la partie fiscale du rapport du conseil.

Les cotisations sociales sur  les salaires plus lourdes que les prélèvements fiscaux

La proposition n’a pas été retenue, peut-être le sera-t-elle plus tard ! Le gouvernement a préféré, entre autres, solliciter les entreprises et les salariés en instituant une contribution à la solidarité nationale, mais cette contribution, comme on sait, est limitée dans le temps (trois ans). Du coup, il n’est pas exclu que la proposition du CESE soit reprise lorsque la contribution salariale et patronale sera arrivée à son terme. Sous cette hypothèse, il serait peut-être intéressant d’aller jusqu’au bout de la piste suggérée par le CESE, c’est-à-dire tout simplement d’envisager la mise en place d’une TVA sociale, comme certains à la CGEM le proposent depuis quelque temps déjà.
En France, le projet de TVA sociale avait été sérieusement envisagé, notamment par la droite gouvernementale, mais c’est resté à l’état de…projet. Par contre, dans les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, la Réunion), la TVA sociale a été instaurée dès 1994. L’Allemagne, également, a mis en place une TVA sociale depuis 2007 pour financer une partie de la protection sociale. Plus précisément, le gouvernement de Mme Merkel a augmenté la TVA (taux de droit commun) de 16% à 19% et baissé les charges sociales de l’équivalent de 1 point de TVA. Les taux bas appliqués aux produits de première nécessité n’ayant pas été modifiés.
Certains n’hésitent pas à expliquer la forte compétitivité de l’Allemagne par rapport à ses concurrents européens, en particulier la France, par l’introduction de cette TVA sociale qui, dans les faits, a agi comme…une dévaluation compétitive ; la baisse des charges sociales sur les entreprises produisant, en effet, le même impact que la dévaluation de la monnaie. Par le passé, la dévaluation était une pratique courante des pays (comme l’Italie par exemple) qui avaient besoin de booster leurs exportations, ce qui n’est plus possible avec l’adoption de la monnaie unique, l’euro. Aujourd’hui, l’exemple le plus connu, et même le plus décrié (par ses concurrents), de dévaluation compétitive vient de Chine. Ce pays, en effet, maintient volontairement sa monnaie, le yuan, à un niveau faible pour encourager son industrie, ses exportations. Les pays industrialisés ont beau protester contre cette politique monétaire, rien à faire !
On le voit, chacun agit comme il peut pour améliorer sa compétitivité. Le Maroc, qui souffre précisément de la faible compétitivité de ses exportations, au moment où ses importations augmentent à un rythme élevé, peut-il recourir à la TVA sociale pour alléger les charges sociales des entreprises et, in fine, les coûts sur son offre exportable ? Encore faut-il connaître avec exactitude les éléments qui handicapent cette compétitivité : s’agit-il des coûts de production, donc, entre autres, des coûts salariaux, ou bien de la faible intensité technologique contenue dans les produits exportés ?

Malgré tout, on peut penser qu’un abaissement du niveau des cotisations sociales compensé par la TVA pourrait au minimum aider à améliorer l’offre d’emplois. Aujourd’hui, l’économie marocaine crée peu d’emplois, en tout cas pas assez pour résorber la demande additionnelle, qui plus est dans le contexte de transition démographique que l’on sait (voir sur ce point La Vie éco du
7 au 13 mars).

Une des raisons (est-ce la principale?) de la frilosité des entreprises en matière de créations d’emplois tient probablement au poids des charges sociales. Des chefs d’entreprises expliquent souvent que s’ils payaient moins de cotisations sociales sur les salaires, ils recruteraient davantage qu’ils ne le font aujourd’hui. Cela reste évidemment à vérifier, et il y a peut-être un moyen pour cela : le contrat insertion mis en place depuis bientôt une dizaine d’années, et en vertu duquel les entreprises qui emploient des diplômés sont exonérées de charges sociales pendant deux ans. Une évaluation de ce dispositif pourrait éclairer sur sa pertinence, même si, en le reconduisant chaque année, le gouvernement semble l’avoir jugé satisfaisant. Et si tel était le cas, sa transformation en dispositif de TVA sociale mériterait au moins d’être examinée.

Selon l’évaluation faite par le CESE des prélèvements obligatoires au Maroc, «les charges sociales sont souvent plus lourdes que les charges fiscales». Dans le détail, le rapport du conseil montre que les salaires bruts compris entre 2 500 DH et 13 000 DH par mois, soit le niveau de salaire du plus grand nombre de travailleurs, subissent des prélèvements sociaux beaucoup plus lourds que les prélèvements fiscaux. Exemple : pour un salaire brut de 2500 DH par mois, il faut acquitter des cotisations sociales de près de 660 DH, soit 22% du coût salarial total, alors que fiscalement cette tranche de revenu est exonérée. Et encore, il ne s’agit ici que des cotisations sociales obligatoires applicables dans le secteur privé. Si on devait y ajouter les cotisations pour la retraite complémentaire, comme c’est la pratique dans les grandes et moyennes entreprises, les prélèvements sociaux pour le même salaire brut de 2 500 DH par mois grimperaient…à 29% du coût salarial. C’est évidemment énorme. D’où cette conclusion du CESE : «Vouloir continuer à asseoir les charges sociales sur les seuls revenus du travail contribuera à aggraver le poids des prélèvements obligatoires sur le travail et donc à en renchérir le coût davantage».
Cela dit, rien ne garantit que les gains obtenus d’un allègement des cotisations sociales seraient utilisés pour recruter davantage ou réduire les prix pour se procurer un avantage concurrentiel.

Des entreprises pourraient tout aussi bien être tentées de détourner le système pour améliorer leur profit. C’est pourquoi un tel dispositif, s’il devait être mis en œuvre, devrait l’être dans le cadre d’un contrat où le gouvernement et le patronat fixeraient ensemble les engagements de chacun.