Affaires
Une politique de relance au service de l’emploi ?
La Stratégie nationale pour l’emploi vise à ramener le taux de chômage à 3,9% d’ici 2025. Il faudrait alors créer chaque année 200 000 emplois, en moyenne.

Le gouvernement aurait dû commencer par là, mais, comme on dit, il n’est jamais trop tard pour bien faire : prendre à bras le corps la problématique de l’emploi au Maroc. Et ceci non pas parce que le pays aurait un niveau de chômage exceptionnellement élevé (celui-ci est à moins de 10% depuis une dizaine d’années), mais parce que l’emploi existant est très largement un emploi précaire, ne répondant donc que très imparfaitement aux conditions de l’emploi décent développé et promu par l’Organisation internationale du travail (OIT) depuis une quinzaine d’années maintenant. Cependant, avec le cumul du chômage et du sous-emploi (dont le taux dépasse 10%), la situation devient en effet préoccupante. Mais, disons-le tout de suite, le gouvernement, comme pour se rattraper sur ce sujet, entend mettre en place un projet très ambitieux puisque la Stratégie nationale pour l’emploi (SNE) qu’il propose pour le pays ne se limitera pas à corriger les dysfonctionnements du marché du travail, mais plus encore à promouvoir des politiques macroéconomiques de relance, combinant, entre autres et en particulier, des mesures de nature budgétaire et monétaire à la fois.
N’ayons pas peur des mots, il s’agit là d’une politique d’inspiration keynésienne, dont l’intitulé est déjà révélateur : Stratégie nationale “pour” l’emploi et non pas “de” l’emploi. Et ceci ne devrait pas surprendre, au contraire il y a de la cohérence qu’un tel projet soit préparé par un ministre appartenant à un parti se réclamant du progrès et du socialisme.
Mais plus qu’une question d’idéologie, il semble établi que dans des économies comme celle du Maroc, l’intervention publique a encore du sens ; a fortiori sur des dossiers, comme celui de l’emploi, où le caractère social est prégnant. Les libéraux pur sucre peuvent toujours répondre que l’emploi est une affaire strictement économique. Il n’en reste pas moins vrai que là où la population active est très largement (60%) non diplômée, voire sans aucun niveau scolaire sauf celui de l’école primaire (57,5%), et où n’existent pas des filets sociaux capables d’amortir les chocs que peut connaître le marché du travail, l’emploi c’est aussi, dans ces conditions, l’affaire de tout le monde ; c’est-à-dire de l’entreprise essentiellement, mais aussi des pouvoirs publics. C’est pourquoi l’équipe chargée de la formulation de la SNE, en concertation avec des acteurs économiques, sociaux et de la société civile, a opéré «un changement de paradigme» sur la question de l’emploi, en plaçant ce dernier «au centre de l’action publique». Ce faisant, l’emploi devient désormais une préoccupation, «une responsabilité transversale» même, impliquant l’ensemble des départements ministériels, y compris leurs démembrements à l’échelon local. En d’autres mots, toute l’action publique doit avoir pour finalité première une création d’emplois en quantité et en qualité.
La baisse des prélèvements obligatoires encouragerait les entreprises à recruter
Concrètement, la SNE se décline en quatre axes (voir tableau) et chaque axe en objectifs opérationnels, avec à chaque fois une batterie de mesures proposée pour atteindre lesdits objectifs. Si cette SNE est mise en œuvre dans des conditions optimales, elle devrait pouvoir générer la création de 200 000 emplois par an sur la prochaine décade. Inutile de revenir sur le chiffrage d’un tel objectif ; les expériences précédentes, ici comme ailleurs, ont déjà largement prouvé l’inefficacité pour ne pas dire le danger d’un tel exercice. Toutefois, si on a bien lu les termes de cette SNE, les 200000 emplois en question sont l’objectif qu’il faut atteindre si l’on veut augmenter le taux d’emploi et baisser celui du chômage (voir encadré). En d’autres termes, les 200 000 emplois de la SNE, ce n’est pas un objectif à proprement parler, mais le volume d’emplois qu’il faudrait pouvoir créer chaque année, en moyenne, si l’on veut réduire substantiellement le taux de chômage d’ici à 2025.
Sans entrer dans les détails fastidieux des nombreux objectifs opérationnels pour chaque axe stratégique et des mesures les accompagnant, retenons néanmoins quelques- unes des propositions jugées à même d’améliorer la croissance et son contenu en emplois. On peut citer d’abord la nécessaire restauration des marges de manœuvre budgétaires. Pour les concepteurs de la SNE, l’action que mène le gouvernement dans ce sens devrait être poursuivie afin de dégager les moyens de financer l’emploi. Ils proposent à ce titre de poursuivre la réforme de la compensation, considérant que les transferts sociaux, jusqu’ici, n’ont pas été réalisés de façon optimale. On ne précise pas (dans le document en notre possession du moins) quels produits devraient être concernés par la décompensation, toujours est-il que cette piste est jugée intéressante pour pouvoir orienter les ressources publiques vers des actions et programmes générateurs d’emplois et de revenus. Un proverbe chinois bien connu rend mieux cette idée : «Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson».
L’autre usage à faire des économies budgétaires à réaliser serait de baisser ou d’alléger les prélèvements obligatoires sur les entreprises afin de permettre à celles-ci de recruter sans trop alourdir leurs charges. Bref, il faudrait, selon la SNE, arriver à dégager des marges budgétaires qui permettraient d’influer substantiellement sur les créations d’emplois. L’action publique, sur le plan macroéconomique, en faveur de l’emploi serait de mettre en place une politique de change «favorable à la croissance et à l’emploi». Sauf avis contraire, c’est une proposition quelque peu nouvelle, même si le FMI et la Banque mondiale ont régulièrement, depuis quelques années, recommandé dans leurs rapports sur le Maroc une nécessaire adaptation du régime de change. Le document de la SNE n’explicite pas les rapports qui peuvent exister entre une politique de change et l’emploi (ce n’est peut-être pas le lieu de tels développements), il semble néanmoins que ce qui est visé, c’est une certaine…dévaluation du dirham qui rendrait compétitif le produit marocain à l’export, et, ainsi, un développement plus accru de la filière export et donc des emplois. En tout cas, l’idée est de mettre la politique monétaire et de change au service de la croissance et de l’emploi. Ne serait-ce que sur le plan du débat intellectuel, la piste mérite d’être examinée.
Une autre mesure préconisée par la SNE, et qui s’apparente à une “flexibilisation” du marché du travail, c’est la révision des indemnités de licenciement. Le ministre de l’emploi et des affaires sociales, Abdeslam Seddiki, dans l’entretien qu’il a accordée à La Vie éco (voir page 14) juge nécessaire d’opérer un distinguo entre les indemnités de licenciement et les dommages et intérêts, considérant que le cumul des deux, comme c’est le cas actuellement, «constitue un régime d’indemnisation très élevé au regard des normes internationales». Il n’est pas sûr que les syndicats apprécieront…
