Affaires
Une bombe à retardement dans le logement social
De nombreux promoteurs ne pourront pas remplir leur engagement pris vis-à-vis de l’Etat de produire au moins 500 logements sur 5 ans. En cause, des retards dus à la lourdeur des procédures administratives et à l’essoufflement de la demande

Une bombe à retardement risque d’exploser dans le secteur immobilier. N’ayant pu remplir leurs engagements dans le cadre des conventions signées avec l’Etat pour la construction d’unités à 250 000 DH, de nombreux promoteurs pourraient être amenés à rembourser les avantages fiscaux dont ils ont déjà profité, ce qui, au vu des montants en jeu, pourrait leur porter l’estocade.
Pour comprendre la problématique, rappelons que les professionnels qui signent avec l’Etat des conventions pour la construction de logements sociaux, doivent réaliser un minimum de 500 unités dans un délai maximal de cinq ans à compter de la délivrance de la première autorisation de construire. Pour une grande majorité des opérateurs engagés dans le programme, ce sera bientôt l’heure des comptes. Le plus gros des conventions de l’habitat à 250 000 DH a en effet été signé entre les promoteurs et l’Etat il y a plus ou moins 5 ans. Un total de 216 conventions représentant 601 200 logements à produire a été paraphé l’année du démarrage du dispositif en 2010. Plus de 193 100 unités se sont rajoutées au lot l’année d’après et 230 200 autres habitats ont été signés en 2012. Sur les 3 premières années du dispositif, on atteint donc plus d’un million de logements, soit plus des deux tiers de l’ensemble des unités conventionnées à ce jour, totalisant 1,4 million.
Mais beaucoup de ces promoteurs conventionnés ne devraient pas être en mesure de remplir leur part du contrat, particulièrement parmi les petits opérateurs. Ceux-ci ont adhéré en masse au programme, ce qui était d’ailleurs le propos du dispositif puisqu’il a abaissé le seuil minimal à produire (fixé auparavant à 1 500) pour donner une chance à toutes les catégories de professionnels. Près de 84% des promoteurs ayant signé des conventions sur les 3 premières années du dispositif consistaient en effet en petites et moyennes entreprises, voire en personnes physiques.
Ahmed Bouhmid, président de l’Union nationale des petits promoteurs (UNPP), rapporte que «plusieurs défaillances ont déjà été observées dernièrement, et beaucoup plus de cas sont à craindre sur les prochains mois». Diverses raisons expliquent ces défaillances. «Un petit promoteur qui signe une convention avec l’Etat s’organise pour réaliser son objectif en deux temps avec deux programmes construits successivement, chacun devant être achevé sur la moitié du délai de 5 ans», explique le président de l’UNPP. Mais sur le terrain, les plans des professionnels ont d’abord été perturbés par les délais à rallonge pour l’obtention des autorisations de construire et de manière générale pour accomplir toutes les démarches administratives. Quand on sait que certains projets n’ont pu décrocher leur permis qu’au bout d’un voire deux ans, comme en témoignent plusieurs opérateurs, il y a effectivement largement de quoi déborder sur un planning de production.
La FNPI demande une prorogation des délais
L’autre déconvenue que les professionnels ne semblent pas avoir du tout prévu lorsqu’ils se sont rués sur le dispositif est l’essoufflement de la demande. Celle-ci se reflète bien à travers les stocks d’invendus constitués aujourd’hui au niveau de plusieurs programmes répartis à travers tout le territoire national. «Il est difficile de se lancer dans la réalisation de nouvelles unités alors que la commercialisation de l’existant se fait à un rythme ralenti quand elle n’est pas à l’arrêt», commente un professionnel. S’ajoutent à tout cela d’autres contraintes concernant, entre autres, la difficulté d’accès au foncier ou aux financements, que les petits promoteurs ont habituellement le plus de mal à gérer.
Mais il n’y a pas qu’eux qui accusent le coup. Les opérateurs de taille plus importante réunis sous la bannière de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) ont eux aussi, pour certains, du mal à aller au bout de leurs engagements. «Nous avons reçu plusieurs entreprises, sur les derniers mois, confrontées à ce type de difficultés», informe-t-on auprès de la fédération. La problématique est jugée à ce point grave par la FNPI qu’elle a suggéré dans le cadre de ses propositions pour la Loi de finances 2017 d’accorder à certains promoteurs défaillants ayant des retards dans la finalisation de leurs programmes une prorogation à titre exceptionnel des délais conventionnés.
Cependant, la fédération ne lie les défaillances constatées dans ses rangs qu’à des cas de force majeure. La FNPI ne demande d’ailleurs un traitement spécial que pour ce type de cas.
«Les promoteurs qui n’ont pas pu aller au bout de leurs conventions ont une maîtrise technique de leurs projets mais ils ont été confrontés à des facteurs contre lesquels ils ne peuvent rien», explique-t-on. Là encore ce sont les retards en rapport avec l’administration qui sont visés. L’on cite aussi les difficultés de développement rencontrées au sein des villes nouvelles. Celles-ci accusent en effet, pour la plupart, d’importants retards dans leur planning de réalisation, ce qui se répercute immanquablement sur les projets des opérateurs qui y sont engagés.
L’administration fiscale se montre intransigeante
Quelle que soit la raison justifiant le non-respect de la convention, l’administration fiscale se montre intransigeante vis-à-vis des opérateurs, ainsi que le rapportent plusieurs promoteurs déjà tombés en défaillance.
La loi prévoit qu’à défaut de réalisation de tout ou partie d’un programme, un ordre de recettes est émis pour le recouvrement des impôts dont a été exonéré le promoteur. La facture peut rapidement s’emballer, sachant que le dispositif donne droit à une exonération pour l’ensemble des actes, activités et revenus de l’IS (ou de l’IR pour les personnes physiques) ainsi que des droits d’enregistrement et de timbre. Pour se faire une idée sur ce que représentent ces cadeaux, précisons par exemple qu’ils ont totalisé 891 MDH en 2012.
Vient ensuite la TVA versée aux promoteurs qui représente entre 40 000 et 42 000 DH par unité vendue qu’il faut aussi restituer. S’ajoutent encore à cela les amendes, pénalités et majorations.
Dans ces conditions, de nombreux petits opérateurs, contraints de restituer leurs avantages, n’y ont pas survécu, certifie-t-on auprès de l’UNPP. Même les promoteurs de taille plus importante stoppent leurs programmes et s’arrangent juste pour apurer leur situation vis-à-vis du fisc, ce qui au passage peut léser des particuliers. Et l’on en serait qu’au début de la déferlante…
