Affaires
Transport de voyageurs : comment le gouvernement compte supprimer les agréments
Les opérateurs seront inscrits à un registre spécial et classés selon leur aptitude. Les agréments seront accordés aux professionnels à travers des appels d’offres et ces derniers devront se soumettre à un cahier des charges.

Cette fois-ci sera peut être la bonne. Le gouvernement le déclare officiellement : il est décidé à faire passer le projet de loi sur le transport routier public de voyageurs appelé à remplacer une législation archaïque datant de 1963 (il modifiera et complétera le dahir du 12 novembre 1963) et consacrant l’économie de rente. Le projet avait été préparé par l’ancien Exécutif après plusieurs études destinées à cerner cette activité. Mais, déposé auprès du Parlement en août dernier, il était resté sans examen compte tenu des résistances qu’il pourrait rencontrer de la part des détenteurs d’agréments qui ne manquent pas de relais dans les deux Chambres du Parlement et même de la part des parlementaires eux-mêmes dont certains en bénéficient à titre personnel.
Le texte proposé pour la réforme ne souffre d’aucune ambiguïté. Dès le début, il prévoit l’abolition des agréments qui doit intervenir avant le démarrage de la réforme. On compte aujourd’hui, dans tout le Royaume, 3 651 agréments, dont le quart n’est pas exploité. Dans la note de présentation, les rédacteurs insistent sur «la suppression de ce système distribuant de manière discriminatoire des rentes sans rapport avec l’investissement ni avec le travail nécessaire à l’exploitation des services de transport». En effet, le système des agréments de transport, conçu à la base pour réguler l’activité de transport, a dévié vers un système où les autorisations n’étaient plus délivrées aux transporteurs professionnels mais à des particuliers, en remerciements pour services rendus. La majorité de ces personnes les louait en fait à des tiers, ce qui a engendré plusieurs effets pervers : atomisation du secteur, manque de professionnalisme, insécurité sur les routes et une offre incapable de suivre l’évolution de la demande malgré la multiplication du nombre d’agréments. Ainsi, la part du transport par autocar dans les déplacements interurbains est passée de 57% en 1976 à 52% en 1988 pour tomber à 35% depuis quelques années. La réforme doit donc passer impérativement par la restitution du transport de voyageurs aux professionnels sur la base de dispositions légales nouvelles.
Deux transporteurs au moins par ligne ou réseau de ligne
La première mesure est l’inscription des opérateurs à un registre spécial sur la base de capacités techniques, financières et humaines qui seront fixées par un décret d’application. La seconde a pour objectif de classifier ces opérateurs inscrits selon le niveau de satisfaction des critères d’aptitude au regard de la qualité de la flotte, de l’organisation et de l’encadrement des ressources humaines.
Ensuite, des appels d’offres seront lancés et ouverts aux seuls inscrits au registre spécial. Les soumissionnaires devront décliner une offre qui sera appréciée, entre autres, en fonction d’une redevance à verser à l’Etat. Des tarifs plafond et plancher sont prévus par le cahier des charges et les lignes ou les réseaux de lignes devront être assurés par deux transporteurs au moins pour inciter aux regroupements. Les droits d’exploitation qui en découleront feront l’objet d’une signature de convention avec l’Etat et donneront lieu à l’établissement d’un cahier des charges.
La future loi prévoit aussi la création d’un fonds d’aides sociales qui sera alimenté par la moitié des redevances à percevoir de la part des transporteurs. L’autre moitié sera, elle, destinée au financement des actions de l’Etat en matière d’accompagnement des réformes du secteur, notamment le volet formation.
Autre nouveauté, la commission des transports étant dissoute de fait après l’abolition des agréments, il sera mis en place une autorité régulatrice des transports pour identifier les lignes et les réseaux de lignes répondant à la demande, selon des critères d’exploitation rationnels.
Question majeure, que deviendront alors les actuels détenteurs d’agréments dont le nombre reste toujours inconnu du public (la liste n’a jamais été dévoilée), ainsi que les propriétaires d’autocars qui exploitent les agréments en location ? Certes, il est prévu une période de transition de trois ans pour basculer progressivement d’un système de rente à un système économiquement viable, mais un tel bouleversement ne devrait pas avoir lieu sans problèmes.
D’abord, prévoit le projet de loi, les agréments qui n’ont jamais été exploités ou dont l’exploitation est arrêtée depuis plus d’un an à la date de l’entrée en vigueur de la loi seront annulés d’office. Ensuite, ceux en exploitation seront maintenus jusqu’à leur date d’expiration même si celle-ci intervient après la période de trois ans à partir de l’entrée en vigueur de la loi. Pour ceux dont la date d’expiration intervient au courant de cette période de transition, elles seront prorogées jusqu’à la fin de cette même période.
Une porte de sortie est laissée aux titulaires actuels d’agréments en ce sens qu’ils peuvent aussi s’inscrire au registre de transport sans justifier des conditions d’aptitude professionnelle, ni de capacité financière dans un premier temps, mais ils doivent se conformer à ces critères dans un délai de trois ans. Le hic est que beaucoup de ces titulaires d’agrément, vu leur profil, auront du mal à se convertir en transporteurs. La solution serait qu’ils s’associent à des professionnels en vue de présenter une offre valable, mais il est évident que le démantèlement de tout le système et la professionnalisation souhaitée prendront beaucoup plus que les trois ans visés par la loi.
