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Tanger Med vs Algésiras : La contre-attaque de Madrid

Dominé dans le détroit de Gibraltar par son rival du Sud, le port d’Algésiras va bénéficier d’un plan du gouvernement espagnol
de 1,77 milliard d’euros pour améliorer sa compétitivité. Un projet perçu comme une menace de ce côté de la Méditerranée.

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Les relations entre le Maroc et l’Espagne n’ont jamais été aussi bonnes et les perspectives de coopération entre les deux pays co-organisateurs, avec le Portugal, du Mondial 2030 sont des plus prometteuses. Mais des relations au beau fixe cela ne signifie pas absence de concurrence. Celle-ci est même acharnée entre les deux voisins dans certains secteurs. Et c’est de bonne guerre !

Prenons le cas des ports Tanger Med et d’Algésiras qui se livrent une rude concurrence en Méditerranée occidentale et dans le détroit de Gibraltar, l’un des passages obligés de la grande route maritime Est-Ouest du commerce international. Pendant des années, le port espagnol a dominé le trafic de fret entre la mer Méditerranée et l’Atlantique. Mais la montée en puissance du complexe portuaire tangérois depuis son lancement en 2007 a fini par lui damer le pion (ainsi qu’aux autres ports espagnols du bassin, comme Valence et Barcelone). En 2020, Tanger Med devenait le premier port à conteneurs en Méditerranée et, depuis, l’écart entre les deux ports «jumeaux» n’a cessé de se creuser : plus de 8,61 millions de conteneurs équivalents vingt pieds (EVP) ont été traités par le port tangérois en 2023, en croissance de 13,4% par rapport à 2022, tandis que l’activité de son rival espagnol a stagné autour de 4,7 millions EVP.

En tonnage, l’écart se creuse aussi. Tanger Med a manutentionné 122 millions de tonnes de marchandises en 2023 (record absolu en Méditerranée), contre un peu plus de 105 millions de tonnes pour le port d’Algésiras. Le constat est le même pour les indicateurs de performance, en particulier le temps de chargement des navires et la productivité des terminaux. Tanger Med s’est ainsi hissé à la 4e place mondiale du Global Container Port Performance Index (CPPI), un classement réalisé chaque année par la Banque mondiale et S&P Global, où le port d’Algésiras est relégué au 13e rang. Bref, dans le match qui les oppose, le port marocain bat son rival espagnol à plate couture… Une situation hégémonique que les autorités espagnoles veulent aujourd’hui contrecarrer, en lançant un très ambitieux plan d’investissement, en y mettant les gros moyens.

Un plan anti-Tanger Med ?

Début février, au lendemain de l’annonce des performances record du port tangérois au titre de l’année 2023, le ministre espagnol du Transport, Óscar Puente, annonçait un investissement colossal de 1,77 milliard d’euros pour renforcer le port d’Algésiras comme porte d’entrée vers l’Europe et la Méditerranée. Précision importante : il s’agit de fonds publics, ce qui en dit long sur la détermination de Madrid à redresser la barre.

L’un des avantages du port de Tanger Med par rapport à celui d’Algésiras, c’est qu’il a été pensé dès le départ comme un projet intégré, avec la présence d’un écosystème industriel à proximité du complexe portuaire, comprenant pas moins de six zones économiques, ainsi que des zones logistiques de premier plan, et une activité industrielle en plein essor (automobile, textile, aéronautique, électronique, etc.).

Mais là où le port espagnol pourrait prendre une longueur d’avance sur son voisin du sud, c’est en se connectant à un vaste réseau de ports secs et de zones logistiques situés dans les principaux centres de production du pays. C’est précisément ce que prévoit le mégaplan de 1,77 milliard d’euros concocté par le gouvernement espagnol. Ce plan prévoit dans ce sens la mise en place de corridors de fret, pouvant aller jusqu’à Saragosse, à plus de… 1.000 kilomètres à l’intérieur des terres hispaniques. De quoi drainer un flux additionnel de marchandises vers le port d’Algésiras. Il faut dire que les ports secs, également appelés plateformes logistiques multimodales, ont une utilité éprouvée. Ils permettent une meilleure gestion des flux de marchandises et un gain de temps dans le process de traitement. Ils permettent aussi de fluidifier le trafic autour des terminaux et de baisser les coûts. En d’autres termes, ils apportent de la compétitivité pour les opérateurs économiques de l’import/export. De ce côté-ci de la Méditerranée, on ne s’y trompe pas, et on n’hésite pas à parler de «plan anti-Tanger Med» et de «menace», dans la mesure où l’objectif final est de capter du trafic maritime additionnel, au détriment du port marocain.

L’implication forte de l’État espagnol dans ce projet est à la hauteur des enjeux et pourrait rebattre les cartes du trafic maritime en Méditerranée occidentale. Pour permettre à Tanger Med de garder une longueur d’avance sur son rival du nord, les autorités marocaines gagneraient ainsi à développer le réseau de ports secs près des grands centres de production (à Agadir, Kénitra, par exemple) et les raccorder aux ports du pays.


Nador West Med, une «extension» stratégique
Les travaux du port Nador West Med touchent bientôt à leur fin. Les travaux de génie civil de cette infrastructure se termineront en juin, a récemment annoncé le ministre de l’Industrie et du commerce, Ryad Mezzour. L’exploitation est prévue pour le début de 2025. D’un coût de 10 milliards de dirhams, le port permettra de traiter 3 millions de conteneurs, avec une vocation de manutention des produits énergétiques. De quoi renforcer considérablement le rôle portuaire du Maroc dans la région et drainer une partie de l’activité maritime mondiale, au moment où Tanger Med atteint sa pleine capacité de 9 millions de conteneurs.
Pensé comme une extension stratégique de Tanger Med, il en reprend le modèle. Ainsi, parallèlement à l’infrastructure portuaire, des zones industrielles, logistiques et de services seront aménagées sur la zone franche adjacente au port et sur la zone de développement et qui seront ouvertes aux investisseurs et destinées à abriter les métiers mondiaux du Maroc. Les enjeux de connectivité du port à l’arrière-pays sont là aussi au cœur des préoccupations. Un ambitieux projet de connexion au réseau autoroutier national est d’ailleurs en cours, notamment via l’autoroute Guercif-Nador.