Affaires
Tanger-Med arrivera à saturation d’ici 2015, un port plus grand sera construit
Les premières infrastructures du port démarrent en juillet 2007. Les délais seront respectés.
52% des cas d’expropriation ont été réglés à l’amiable.
La CDG pour le moment actionnaire minoritaire de TMSA.
Les prévisions de trafic maritime plus importantes que prévu.
Saïd Elhadi Président du directoire de TMSA
Nous n’avons pas de crainte par rapport à la capacité du port à atteindre le niveau d’activité visé. Je dirais même que notre préoccupation est aujourd’hui d’assurer des relais de croissance à nos partenaires.
La Vie éco : Si vous deviez brosser un état des lieux du projet Tanger-Med aujourd’hui…
Saïd Elhadi : Par rapport au périmètre à mettre en service en 2007, les infrastructures portuaires sont en place.
Quand vous évoquez les infrastructures prévues pour 2007, de quoi s’agit-il exactement ?
Aujourd’hui, les infrastructures de base du port sont déjà là. Il s’agit des digues de protection et du bassin du port dragué aux profondeurs requises. Ont été également achevés les travaux de construction du quai du premier terminal à conteneurs, du quai vrac qui ne sera pas exploité en 2007, d’un poste roulier et d’un autre pétrolier.
L’entrée en service est prévue pour juillet 2007. Les délais seront-ils respectés ?
A priori, c’est bon. Du côté de TMSA, en notre qualité d’autorité portuaire, notre part du contrat en matière de travaux est respectée. Par rapport à l’échéance de l’été 2007, l’essentiel des travaux restant à faire pour les mois qui viennent est entre les mains du concessionnaire, APM Terminals. Il semble être à jour par rapport à son calendrier. Il devrait pouvoir recevoir les équipements de déchargement, portiques et autres, au mois de mars et démarrer normalement au mois de juillet.
Et pour le reste du port ?
Ce qui sera opérationnel en 2007, c’est le premier terminal à conteneurs, les services de remorquage et les services liés à l’autorité portuaire tels la capitainerie et le pilotage.
En 2008, des jalons importants sont attendus à partir de mars. Il s’agit particulièrement du centre tertiaire, le centre de vie du port, qui regroupera tous les bureaux de TMSA, de la douane et autres services de l’Etat, en plus des sociétés privées qui vont avoir à travailler sur place. C’est un bâtiment important, un centre d’affaires de 35 000 m2, extensible en fonction des besoins, qui va permettre aux entreprises qui le souhaitent de s’installer dans le complexe portuaire.
Avril 2008 connaîtra aussi la fin des travaux de la tour de la capitainerie, un ouvrage fonctionnel mais aussi emblématique pour le port. Puis, la fin du deuxième semestre de cette année connaîtra l’entrée en activité du deuxième terminal à conteneurs. Fin 2008, c’est le terminal hydrocarbures qui démarrera. A l’été 2009, c’est le port passagers et roulier qui entrera en activité. Quant au troisième quai à conteneurs, il sera concédé en 2007 pour être opérationnel à fin 2009.
A quelle date le port de Tanger-Med atteindra-t-il sa vitesse de croisière ?
Globalement, l’ensemble des quais à conteneurs sera opérationnel en 2010, et, logiquement, on devrait atteindre la vitesse de croisière en 2012 avec plus de 2,5 millions de conteneurs EVP (équivalent vingt pieds) traités, sachant que les capacités du port permettent d’atteindre 3,5 millions. A long terme et avec les gains de productivité, on pourra probablement pousser un peu plus loin vers 3,7 ou 3,8 millions de conteneurs par an.
La Tunisie avait annoncé, il y a quelques mois, le lancement d’un port similaire. Cela pourrait perturber vos prévisions…
C’est un projet qui a effectivement été annoncé, mais je ne dispose pas d’informations précises sur l’état d’avancement de sa mise en œuvre. De toutes les manières, il s’agit d’un marché différent. Nous visons le trafic adressé à la Méditerranée de l’Ouest, l’Afrique de l’Ouest et le Nord de l’Atlantique, avec la particularité de pouvoir croiser les lignes atlantiques Nord-Sud avec la grande ligne Est-Ouest, alors que le projet tunisien devrait davantage viser un trafic orienté vers la Méditerranée du centre.
Il ne faut pas oublier que ce sont les trois premières compagnies maritimes mondiales, en l’occurrence Maersk, MSC et CMA-CGM qui s’engagent sur Tanger-Med avec ce que cela comprend comme investissements et activités. Nous n’avons donc pas de crainte par rapport à la capacité du port à atteindre le niveau d’activité visé. Je dirais même que notre préoccupation est aujourd’hui d’assurer des relais de croissance à nos partenaires. En 2015, les infrastructures du port arriveront probablement à saturation et il est de notre devoir de leur proposer des possibilités de développement.
Saturation déjà ! Donc extension plus que possible…
Il est normal, quand on construit un port, de s’inquiéter des possibilités d’extension. Ces possibilités d’extension ont été identifiées depuis 2004 de manière préliminaire et ont servi à la planification territoriale nécessaire en vue de sauvegarder les espaces nécessaires au niveau des documents d’urbanisme.
Ensuite, puisque l’on sait que le port devrait être saturé aux alentours de 2015, nous sommes allés plus loin dans les études techniques, dans le chiffrage des budgets et l’étude des variantes techniques. Au cours des mois à venir, nous passerons à une étape de consultation des faiseurs de trafic que sont les compagnies maritimes et les opérateurs portuaires pour sonder l’intérêt des uns et des autres. En fonction de cela, des décisions seront prises.
Cela sachant déjà que le troisième terminal à conteneurs n’était pas prévu dans le schéma initial et qu’il a fallu lui dédier l’espace prévu initialement pour le terminal passagers. En somme, il y aura carrément un nouveau port. Un Tanger-Med bis ?
Tout à fait. D’abord, concernant le terminal passagers, ce dernier a été en effet implanté dans un port à accès nautique séparé du port principal, mais faisant partie de la même enceinte portuaire. Maintenant, s’il y a extension de l’activité conteneurs au-delà du 3e terminal, il s’agira forcément d’un nouveau port à l’ouest, mais faisant toujours partie de la même enceinte portuaire. Techniquement, il y a un potentiel pour réaliser en deux phases un port même un peu plus grand que le port actuel. Je pense qu’à long terme, le potentiel de trafic sera là pour justifier la construction d’un tel ouvrage, et pour permettre au complexe portuaire Tanger-Med de traiter jusqu’à 8 à 10 millions de conteneurs.
Comparativement parlant, comment cela nous classe-t-il ?
Avec le périmètre actuel, Tanger-Med peut traiter jusqu’à 3,5 millions de conteneurs. A titre de comparaison, Algésiras traite un peu plus de 3 millions, Le Havre un peu plus de 2 millions, Rotterdam est à près de 10 millions, Jebel Ali et Dubaï font dans les 7 millions, Hong Kong, Singapour et Shanghai naviguent dans les 20 millions.
Mais il faudra aussi tenir compte des extensions possibles des ports de la région…
Avec la demande en infrastructures portuaires qui se manifeste, il y aura à mon avis de la place pour plusieurs projets sur plusieurs marchés. Le trafic portuaire mondial de conteneurs a pratiquement doublé en l’espace de 5-6 ans. D’ici 2012, l’augmentation de ce trafic sera d’au moins 50%.
Quel serait l’intérêt pour un opérateur de choisir Tanger- Med plutôt que le port d’Algésiras ?
Tanger-Med offre des avantages indéniables dans la région. En plus des critères d’emplacement, le transbordement nécessite des niveaux de productivité élevés et des coûts serrés. Je suis convaincu que Tanger-Med sera compétitif à cet égard. Par ailleurs, Tanger-Med n’est pas seulement un port mais aussi une plateforme logistique et industrielle adossée au port. C’est cette plateforme qui stabilisera le port de manière définitive avec les installations d’opérateurs internationaux qui contribueront à développer fortement les trafics d’import-export.
Quel est le rôle de Jebel Ali, votre partenaire émirati dans le projet ?
Jebel Ali nous accompagne pour la gestion de la zone franche logistique. Il est partenaire de la commercialisation et de la gestion de cette zone dans le cadre de la filiale Medhub. Il n’est pas actionnaire de cette structure mais partenaire de gestion.
Qui finance le port Tanger-Med ? On dit que la CDG est pour l’instant le banquier du port…
Il se dit beaucoup de choses. Le port Tanger-Med coûtera environ 11 milliards de DH. TMSA, qui agit pour le compte de l’Etat dans sa réalisation, investira 6 milliards de DH. L’investissement restant sera réalisé par les opérateurs privés, concessionnaires de terminaux ou d’activités.
Et les 6 milliards de TMSA ?
Il y a d’abord les fonds propres de TMSA qui sont de 880 MDH, ensuite une subvention à hauteur de 2 milliards de DH octroyée par le Fonds Hassan II qui, par ailleurs, nous prête 650 MDH à titre d’avance en compte courant d’actionnaire. Ensuite, il y a un don de 100 millions de dollars du Fonds Abu Dhabi qui nous prête, là aussi, 200 millions de dollars. Ce sont là les financements déjà mis en place, mais ce n’est pas suffisant. Il faut encore un financement pour continuer l’effort d’investissement sur le port passagers et dans les zones franches. Nous prévoyons donc de lever des fonds cette année à hauteur d’un milliard de DH et autant en 2008.
Finalement, la CDG…
Au cours de la période 2002-2003, la CDG a joué un rôle d’incubateur du projet. Elle avait mis les moyens pour que la structure TMSA se mette rapidement en place, contracte ses premiers financements et puisse lancer les premiers appels d’offres. Le premier actionnaire historique de TMSA est la CDG, aujourd’hui minoritaire.
Et ça se limite à cela !
Nous avons l’intention de travailler avec la CDG au niveau des zones d’activités pour assurer la disponibilité de l’immobilier professionnel qui est pour nous un élément très important. Les quatre piliers qui nous permettent aujourd’hui d’être compétitifs vis-à-vis de la concurrence sont la logistique, la qualité des partenaires installés sur place et les services assurés, les incitations et facilitations de procédures mais aussi l’accessibilité de l’immobilier professionnel pour lequel nous avons besoin de l’accompagnement d’investisseurs institutionnels. La présence de partenaires comme la CDG est pour nous un élément déterminant.
A terme, combien d’emplois le projet TMSA va-t-il occasionner ?
Le port lui-même va créer
3 500 emplois directs auxquels il faudra ajouter tous les emplois indirects occasionnés par ces activités. A terme, le nombre des personnes qui vont travailler sur le site du complexe portuaire avoisinera les 25 000. Le programme de zones franches adossé à Tanger-Med devra, lui, permettre la création de 120 000 emplois à terme.
Les conditions d’expropriation font grincer des dents. Cette situation ne risque-t-elle pas de compromettre l’avancement des travaux ?
Sur le plan foncier, l’ensemble de l’assiette du port est apuré. Concernant le règlement des expropriés, nous sommes arrivés aujourd’hui à un taux d’arrangement à l’amiable de 58 %. La majorité des gens a donc opté pour un accord à l’amiable sur la base des prix fixés par la commission administrative d’évaluation.
La majorité, oui, comptablement parlant. Il reste quand même 42 % d’insatisfaits !
Il est tout à fait normal dans un tel processus qu’une partie des propriétaires expropriés s’estime faiblement rétribuée et conteste les prix proposés. Et d’ailleurs, la loi protège ces personnes qui ont droit à un recours en justice.
Quel est le prix du mètre carré aujourd’hui par rapport à l’époque où le projet Tanger-Med n’existait pas ?
Je n’en ai pas d’idée précise. Il serait normal que les prix augmentent. Mais je rappelle que, dans une opération d’expropriation, les prix sont fixés par la commission administrative à leur valeur à la date où l’opération d’expropriation a été lancée. L’Etat ne peut pas acquérir les terrains en intégrant au prix d’achat la valeur ajoutée que génèrent les projets qu’il y réalise.
Parlons des zones franches prévues. Il n’y en a que pour TFZ. Où est celle de Melloussa ?
Aujourd’hui, nous nous mobilisons pour TFZ (Tanger Free Zone) qui a tout aménagé et pratiquement tout vendu sur les 150 hectares de la première tranche. Reste une assiette foncière de 200 hectares extensible à 300. Il y a encore un potentiel sur TFZ et il n’est pas opportun de développer aujourd’hui une autre zone franche industrielle.
TMSA est un Etat dans l’Etat puisque le régulateur, l’Agence nationale des ports (ANP) n’a aucun contrôle sur elle. Pourquoi cette exception ?
D’abord, nous ne sommes pas régulateurs mais une autorité portuaire. Le port Tanger-Med est un port spécifique appuyé d’abord sur le transbordement de conteneurs, c’est-à-dire avec une logique offshore. C’est la principale motivation pour laquelle l’Etat a décidé au départ de mettre en place une structure à part pour gérer le port de manière cohérente à la fois au niveau autorité et au niveau développement de projets, mise en place de partenariats et exploitation. C’est un port qui se distingue par un modèle différent des autres ports dédiés à l’import-export.
Nous sommes donc une structure dédiée dont le modèle n’est pas unique dans le monde. Tous les grands ports sont organisés de cette manière-là avec des autorités indépendantes qui gèrent.
Et qui contrôle TMSA ?
TMSA est une société anonyme à directoire et conseil de surveillance contrôlé par l’Etat directement et à travers le Fonds Hassan II. Nous avons des structures de décision auxquelles nous devons nous référer. Il s’agit notamment du conseil de surveillance, présidé par Abdelaziz Meziane Belfqih, conseiller de S.M. le Roi, et au sein duquel siègent, entre autres personnalités, plusieurs membres du gouvernement, dont le ministre des finances, le ministre de l’équipement et le ministre de l’industrie. Ce conseil se réunit au moins 4 à 5 fois par an. Par ailleurs, toutes les opérations de concessions doivent être autorisées par le conseil et sont approuvées par décret du Premier ministre.