Affaires
Tabac : guerre souterraine entre British American Tobacco et Imperial Tobacco Maroc
BAT fait un lobbying intense pour dénoncer un monopole de fait dont profite l’opérateur historique Imperial Tobacco. Une réforme du mode de calcul de la TIC est prévue dans le projet de LF 2013 en plus d’un décret sur la suppression des prix minimum.
Le marché du tabac commence à peine à s’ouvrir qu’une guerre souterraine fait déjà rage entre les concurrents du secteur et particulièrement entre l’opérateur historique, Imperial Tobacco, propriétaire actuel de l’ex-Régie des tabacs, et le géant British American Tobacco (BAT), propriétaire entre autres de la marque Dunhill. Depuis quelques semaines, en effet, les deux se livrent une lutte sans merci par presse interposée, dans les arcanes du Parlement et de l’Administration. Enjeu principal de ce duel : l’ouverture du marché à une vraie concurrence. Une «vraie» parce que, estiment les responsables de BAT, l’ouverture du marché marocain du tabac effectuée en 2011 n’est que de façade.
Pour cela, le nouvel opérateur a développé un argumentaire axé sur deux points essentiellement : la fixation d’un prix minimal par le législateur et le système de taxation fiscal actuel. Pour ce qui est du premier volet, BAT dénonce la disposition de la loi 46-02 qui stipule que tout nouvel opérateur n’a pas le droit de pratiquer des prix inférieurs à la moyenne arithmétique des prix des produits déjà existants sur le marché. Du coup, aujourd’hui, les nouveaux arrivants, dont BAT, n’ont pas le droit de vendre des cigarettes à moins de 27,53 DH le paquet.
Cette disposition confère donc directement un monopole de fait à l’opérateur historique puisque selon des estimations authentifiées par tous, 80% des ventes de cigarettes sont dans le segment inférieur à ce prix minimum et plus précisément sur la marque Marquises, commercialisée à 17,50 DH pour le paquet de 20 cigarettes. Pour BAT, l’ouverture n’a donc été effective que sur 20% du marché, les 80% restants étant un segment protégé au profit d’Imperial Tobacco.
BAT a pris une légère avance
BAT a aussi engagé une bataille sur le front fiscal. Le cigarettier américain estime en effet que le système actuel de taxation, en l’occurrence la taxe intérieure de consommation (TIC) qui est exclusivement du type ad valorem et non forfaitaire, est aussi de nature à créer des distorsions vis-à-vis de la libre, concurrence. Ainsi, selon l’argumentaire de BAT, une TIC proportionnelle au prix incite les opérateurs à fournir des produits à bas prix et probablement de bas de gamme et, d’un autre côté, oriente le consommateur vers ces produits bon marché. Mais ce n’est pas tout car chez BAT, on tente de démontrer que la taxation ad valorem constitue un danger pour les recettes de l’Etat puisque si le marché s’oriente vers les produits bon marché, cela risque d’impacter directement les recettes provenant de la TIC sur les cigarettes.
Evidemment, de l’autre côté, Imperial Tobacco n’est pas resté les bras croisés face à la menace qui pèse sur son business classique.
Certes, pour l’heure, il semble que BAT a pris une légère avance en arrivant à convaincre le gouvernement à introduire les mesures de réformes dans le projet de Loi de finances 2013 accompagné d’un projet d’amendement de la loi 46-02 pour abroger le principe du prix minimum. Mais si l’opérateur historique ne réagit pas clairement sur le volet du prix minimum, il s’étale longuement dans son argumentaire sur le système de taxation. Ainsi, et selon des estimations faites par IT, le nouveau mode de calcul de la TIC, tel que proposé dans le projet de Loi de finances 2013 risque de faire perdre à l’Etat beaucoup d’argent. L’explication avancée est simple : «Le volume du marché de consommation de cigarettes est resté stable depuis plus d’une dizaine d’années. L’application d’une taxation spécifique par paquet aura pour effet de figer les recettes fiscales de l’Etat à leur niveau actuel. Or, dans le cadre du système de taxation ad valorem, les recettes fiscales de l’Etat ont régulièrement progressé, augmentant de près de 57% en cinq ans. Sur la base de ce rythme, le changement de système fiscal ferait perdre au Budget marocain près de 950 MDH d’opportunités de recettes fiscales», peut-on lire sur un document interne d’IT qui fait office d’argumentaire.
Dans le même registre, les spécialistes d’IT démontrent aussi que la réforme fiscale proposée débouchera sur une injustice sociale. Et pour cause, explique-t-on chez l’opérateur historique, «alors que la fiscalité des marques nationales augmentera de 20%, celle des marques internationales de luxe destinées aux catégories les plus aisées diminueront de 20% sur la même période. Autrement dit, les pauvres payeront plus que les riches, et se tourneront vers le marché parallèle, qui déjà n’a cessé de prendre de l’ampleur ces dernières années. En effet, il est évident que la taxation spécifique encourage la contrebande de cigarettes en raison de son impact sur la compétitivité des marques bon marché».
Mais Imperial Tobacco va plus loin en évoquant les dimensions socio-économiques du secteur qu’on illustre par deux éléments chiffrés essentiellement : les 3 000 tabaculteurs auprès de qui s’approvisionne IT pour son usine de Aïn Harrouda, la seule au Maroc, qui, à son tour, emploie directement près de 1 500 personnes et fait travailler 400 PME en amont et en aval.
Imperial Tobacco veut une réforme en douceur
Pour autant, auprès d’IT il est d’emblée expliqué qu’il ne s’agit pas d’aller à l’encontre de la tendance mondiale qui est l’ouverture des marchés à plus de concurrence. En fait, toute la différence de vision entre les deux concurrents est dans la manière avec laquelle on doit réformer. Si du côté de BAT, position de challenger oblige, on prône une réforme rapide, à la limite brutale, et une ouverture tous azimuts, chez Imperial Tobacco on soutient que la réforme doit se faire de manière progressive de sorte à «ne pas sacrifier l’intérêt économique national et les milliers d’emplois liés à ce secteur». L’opérateur historique en donne pour exemple la législation européenne qui accorde à ses nouveaux membres une période transitoire qui peut atteindre 6 ans dans certains cas pour qu’ils alignent progressivement leur réglementation avec les directives de l’Europe.
Reste à savoir maintenant auquel de ces argumentaires le gouvernement Benkirane sera le plus réceptif. Certes, le fait que le projet de Loi de finances 2013 ait retenu la thèse de BAT confère à ce dernier une avance, mais IT est loin de vouloir rendre les armes facilement et le lobbying intense en coulisse des uns et des autres pourra facilement faire renverser la tendance.