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Tabac : 80% des buralistes opèrent dans l’illégalité !

Ces commerces sont tenus par des gérants et non les titulaires des licences alors que l’autorisation de vente de tabac est intuitu personae. 30% des licences actives appartiennent à des personnes décédées.

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Grand cafouillage dans l’exploitation des licences de distribution de tabac au détail. Au Maroc, l’octroi de ces autorisations relève, depuis la libéralisation effective du secteur en janvier 2011, des prérogatives du ministère de l’intérieur. Un pouvoir qu’il délègue à son tour aux préfectures pour des raisons de proximité et de fluidité du service. Or, «lorsqu’il s’agit d’octroi ou de mise à jour de la licence (en cas de décès du détenteur), c’est la croix et la bannière pour les buralistes», explique un gérant de bureau de tabac. Par conséquent, de nombreux gérants préfèrent exercer en toute illégalité.

Concrètement, il existe près de 24 000 licences de commerce de tabac dont 18000 sont actives (chiffres de la Société marocaine des tabacs). «Selon nos estimations, plus de 80% des licences sont tenus par des gérants et non par les titulaires de licence», explique un représentant de l’Union nationale des commerçants de tabacs et produits alimentaires. Les opérateurs, eux, annoncent que près de 30% des propriétaires des licences actives sont décédés. Ce qui pose un problème juridique. En effet, l’autorisation de vente de tabac est intuitu personae. Dès lors, l’entière responsabilité juridique est assumée par son titulaire. Contacté à ce sujet, la cellule communication du ministère de l’intérieur explique que «ce dossier est géré directement par les préfectures et que le ministère ne dispose d’aucune liste consolidée des détenteurs des licences sur le territoire national».

Des buralistes revendaient leur surplus à des confrères non autorisés à exercer

Ce méli-mélo cause un grand manque à gagner pour les opérateurs de tabac, principalement les nouveaux entrants (Japan Tobacco International, British American Tobacco, et Philip Morris Maroc). «Aujourd’hui, nous ne pouvons pas signer des contrats avec des buralistes qui ne disposent pas de licence en leur nom. Cela limite notre champ d’action», explique le management d’un opérateur. Selon lui, sur un total de 18000 licences actives, seules 13000 répondent aux exigences légales. Un constat confirmé par la Société marocaine des tabacs (SMT). Une source proche de cette entreprise explique qu’à cause de ces problèmes, des buralistes détenteurs de licences achetaient d’importantes quantités pour en revendre à des collègues en douce. Or, suite aux redressements fiscaux (sur la base des factures livrées par les opérateurs au fisc), cette pratique a été abandonnée. Certains opérateurs se disent donc obligés d’enfreindre la loi pour pouvoir signer des contrats et écouler leurs stocks. «En 2013, nous avions remis le nouveau modèle de contrat type exigé par la tutelle à tous nos clients et leur avons demandé de les signer et légaliser au niveau de la préfecture. Certains nous ont ramené des contrats signés par leurs pères décédés et qui sont aussi paraphés et validés par des responsables des préfectures», est-il expliqué.

La rentabilité d’abord

Les opérateurs concernés rejettent toute responsabilité au mépris du Dahir des obligations et contrats qui exige la connaissance parfaite de la situation du cocontractant. Il faut dire que «cela ne pourrait pas poser problème pour les opérateurs puisqu’ils sont de grands groupes internationaux qui maîtrisent les rouages de la loi et savent bien se protéger», regrette un professionnel qui avance que certains livrent même des points de vente «illégaux» et exigent un paiement comptant en liquide.

Le problème des licences n’est pas la seule cause du manque à gagner pour les opérateurs. La répartition géographique des points de vente y contribue également. Les cigarettes au Maroc sont distribuées via trois circuits, en l’occurrence les points de vente classique (kiosques, librairies, téléboutiques et bureaux de tabac) qui constituent 93% du réseau de distribution, les cafés, hôtels, restaurants (4%), les stations-services et les supermarchés (3%). 72% de ce réseau est localisé dans le milieu urbain et 28% dans les zones rurales. De par cette configuration, ce sont à peine 61% des détenteurs de licences qui se situent dans les zones couvertes par les trois opérateurs installés sur le marché après la libéralisation (JTI, BAT, et PMI). Il s’agit du Grand Casablanca qui regroupe plus de 16% des licences actives, Rabat-Salé (9,5%), Sous-Massa (9,5%), Tanger-Tétouan (6,5%) Nador-Al Hoceima (5,5%), Fès-Boulmane (6%)… Le reste du pays est peu desservi.

Il s’agit en fait d’un choix délibéré de certains opérateurs qui estiment que les volumes ne justifient pas une distribution permanente dans des régions éloignées telles que Laâyoune, Dakhla… ou encore dans les zones rurales. En quelque sorte, il y en a qui tiennent à leur rentabilité en prenant le risque d’enfreindre la loi.